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Quand je fête Halloween, je fête en grand. Comme cette fameuse éditon 2003, une soirée que je ne croyais pas terminer en composant le 9 et le 1 sur mon téléphone, l’araignée au plafond.
ALORS.
Nouvellement débarquée à Montréal, le Longueuil natal sur la frise du passé, le monde m’appartenait et tasse-toi de d’là que je frappais aux portes du matin. Seigneur que je me sentais hip!
Eille. Bagels St-Viateur au casseau et métro Pie-IX comme réponse claironnée si t’avais le malheur de me demander où je louais mon 4 ½, je vivais le goddamn dream du premier appartement dans la grand’ ville, avec grands projets de tout peinturer rouge et d’abandonner à mi-chemin parce que le rouge, ça se peinture mal en pas pour dire.
J’habitais pas Versailles, mais je feelais 100% menuet (je pense que j’étais un peu désagréable, aussi).
Toujours est-il que cette année-là, j’avais fermement l’intention de célébrer tous les saints en donnant les fêtes les plus mémorables que le deuxième millénaire pouvait offrir (un petit goût que j’ai vite perdu, parce que recevoir, c’est ben trop stressant pis tout le monde finit toujours dans mon garde-robe à recenser mes souliers).
Mon coloc et moi avions donc convenu d’organiser un concours de Miss Univers pour Halloween, concours auquel était convié le gratin de mon bottin, c’est-à-dire toute âme qui pliait des chemises sport avec moi chez Simons. On devait ben être trois filles sur 30. Le total pied.
Et ce qui était chouette, à cette époque, c’est qu’on avait encore le ptit kick de se donner un peu trop pour nos costumes. L’infatigable élan de la jeune vingtaine, ça s’écumait le Village des valeurs et le car à vidanges pour trouver LE kit qui ferait casser en deux de jalousie toué grands’ perches qui travaillaient dans la section Twik (et qui n’étaient, bien entendu, PAS conviées à la fête).
De saines rivalités.
Quelques miss ont d’abord timidement cassé la glace en robes du soir à moitié zippées, le visage plein de poudre et les petits talons trop hauts par en-dedans. Je savais que j’avais choisi le bon thème, mais la fête a abruptement gravi les échelons de la gloire quand « Miss Chasse et pêche » (mon ami Carl) est entrée, robe de patchwork en jean COUSUE À LA MAIN, moustache de feutrine et coupe au carré, suivie de « Miss Gothica » (Antoine) et de « Miss Texas » (Alex).
Des chefs-d’œuvres de chutes de reins mises en valeur comme c’est pas permis.
Et comme c’est de mise dans tout concours de miss qui se respecte, j’avais suggéré aux convives de préparer un petit talent show (le genre d’hôtesse rushante). Il se trouve que la consigne avait tout particulièrement aguiché Miss Gothica.
Son talent show se déroulait en deux parties: une chorégraphie gothique se soldant d’abord par un accouchement par le siège – une catin de plastique fut littéralement expulsée de ses entrailles gainées de bas résille.
Il y eut entracte et à la demande générale, comme 30 miss pactées réclamaient furieusement un rappel, Miss Gothica a improvisé un Taillefer et fille où elle démembrait ladite catin avec un couteau à pain et l’apprêtait avec de la vinaigrette ranch.
Un genre de GRAND SUCCÈS.
Mais titillée par la compétition haute voltige qui s’installait, Miss Texas, un grand gars vêtu d’une robe rouge à volants et d’une perruque qui frôlait le sol, a décidé d’improviser un numéro qui consistait à tourner sur elle-même pendant une longue, très longue minute. C’était tout. Les cheveux qui suivaient harmonieusement la spirale de son tournis, le chapeau de cowboy manié façon Lac des cygnes, jamais nous n’avions été témoins d’autant de grâce.
Au grand dam de Miss Gothica qui avait répété son numéro toute la semaine, Miss Texas, sa chevelure de trois mètres et son numéro cheap ont remporté les honneurs et un sac de crottes de fromage haut la main (et Miss Gothica a fini la veillée à régurgiter en talons hauts).
Mais ça ne se termine pas là.
Le parté, quelques heures plus tard, oui. Mais la frayeur, non.
Le lendemain soir, alors que je m’affairais à balayer les dernières paillettes et morceaux de dignité qui trainaient encore sur mon beau plancher de bois montréalais, j’ai entendu des pleurs. Des pleurs d’enfants.
J’ai une ouïe terrible, des acouphènes dans les deux oreilles, mais des pleurs d’enfants quand il fait noir, je sais reconnaître. J’ai d’abord cru que j’avais la berlue. Que ça venait de l’appartement du dessus. Du dessous. De la sortie de secours.
Nul bambin en vue.
Armée de mon balai Oscar, j’arpentais l’appartement en trouvant ça pas drôle. Et comme mon coloc était absent, je ne saisissais pas la source de cet horrible moment que j’étais après vivre. Chose certaine, j’étais prête à trancher la gorge de quiconque arriverait par en-arrière avec mon porte-poussière taillé sur le biais.
Puis soudain, j’ai compris.
Du moins, j’ai repéré l’origine des pleurs. Ça venait de mon armoire de cuisine. Calvaire.
Moi en 2003 (soit l’incarnation de la bravoure 1/10), seule dans ma cuisine, je devais ouvrir l’armoire à casseroles pour délivrer un enfant en détresse. C’était beaucoup d’information à gérer.
J’ai donc choisi le déni.
Mais comme les pleurs saccadés se rendaient jusqu’à l’autre bout de l’appartement, il me fallait agir (ou peut-être m’enrouler dans le rideau de douche à jamais). Ça fait que j’ai piqué la course de ma vie jusqu’à la cuisine – cette fois armée d’un bibelot africain – et j’ai ouvert l’amoire comme jamais armoire ne fut ouverte dans toute l’histoire des armoires DU MONDE.
Ça venait de la poubelle. MA POUBELLE PLEURAIT À CHAUDES LARMES.
J’aurais pu mourir là. Immédiatement. Mais fallait que je fouille entsoure des pelures de patates.
Je vous jure que je n’invente rien.
La sapristi de catin que Miss Gothica avait éventrée la veille était en fait une poupée avec des piles dans le dardjière. Une poupée qui pleurait. PERSONNE ne l’avait remarqué. Et je sais ben pas pourquoi elle s’est mise à pleurer le lendemain soir seulement, nul doute activée par la vinaigrette ranch dans laquelle elle avait copieusement baigné, mais même si j’aurais (ce si j’aurais est permis) dû être rassurée d’avoir enfin trouvé la source du malaise, j’ai figé. Paralysé, dis-je.
J’ai jamais eu peur de même, en fait.
On se souviendra que j’ai toujours eu un petit quelque chose avec les poupées (surtout celles qui tuent et qui, de surcroît, sont démembrées dans ma poubelle). Un petit quelque chose qui, et je le réalisais à cet instant précis, était pas t’afaitte encore géré.
Ça a bien dû me prendre une heure avant que je trouve le courage de sortir le sac à vidanges dehors, pétrifiée, pour aller le porter dans l’espèce de petite cave épeurante extérieure où tout le bloc garrochait ses sacs verts. Oh! Que je t’y ai donné toute qu’une swing.
Et même swignée avec toute la fougue de la main qui berce l’enfant, je pouvais toujours entendre la poupée pleurer dans les profondeurs de sa grotte d’immondices. Des petits pleurs doux, mais nets.
J’ignore si une pauvre gens a vécu un moment bizarre en allant porter ses sacs verts ce soir-là, mais ça ne m’appartenait plus. Ce soir-là, si quelqu’un avait à mourir, ce serait pas moi, certain.
La bise.
Et prudence, ce soir. Mais surtout la bise.