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On l’a tous vécu, ce premier filet à cheveux déposé sur notre tête.
Le mien, c’était celui du Tim. Douce, douce époque. Teen carriériste du pourboire et des cappuccinos en poudre gratis, j’avais courageusement laissé mon emploi de vendeuse de tailleurs pour femmes du monde au Mail Champlain (des femmes d’affaires comptaient sur moi, jeune épaisse de 17 ans, pour les habiller pour cette présentation OF A LIFETIME avec graphiques en pointe de tarte. J’avais l’air de rien, mais j’étais fortiche, en tailleurs) pour m’enrôler au Tim Hortons, celui passé le Motel Oscar.
Et comme ma grande sœur y était assistante-gérante, j’avais le grain de peau on ne peut plus confiant. Le pore au-dessus de tout et le cheveu spiky; c’est que 1998 avait pour moi marqué le tournant d’une toute nouvelle aire capillaire. Vous vous souvenez, l’époque des roses bleu royal. Les roses Millenium. Eh bien moi, j’en avais le pendant du hairdoo; non pas dans le colori, mais dans l’élégance distinguée de dépanneur.
ENFIN.
Douce mère, que je savais pas ce qui m’attendait.
Le filet à peine positionné sur le crâne, donnant cette celtique impression que j’étais couronnée d’une ambitieuse pankace sous ma casquette pas-de-top rouge vin, je suis sortie derrière le comptoir. Un temple de dignité, micro-casque minutieusement ajusté à la bajoue, prête à remplacer à pied levé toute choriste du Blond Ambition tour qui se casserait une patte près de notre pancarte « slippery floor » (une pancarte unilingue). Le grand jour; ma toute première présence en tant que travailleuse du beignet. Amenez-en, des take-out, j’étais prête.
Mais à part être en mesure d’identifier le panier de glacés au chocolat et la sortie de secours, je ne savais rien. Parce qu’à ta première journée de travail, que tu sois le visseux de bouchons de tubes de pâte à dents, le gars qui dessine les lignes jaunes sur les boulevards ou chirurgien du maxillo facial, T’AS PAS UNE MAUDITE IDÉE DE CE QUE T’ES APRÈS FAIRE.
Au moindre stress, t’oublies comment attacher tes lacets et tu rotes en disant bonjour, la moitié d’un bouquet de persil plat entre les palettes. C’est comme ça.
Et moi, je l’ignorais encore, mais j’allais être maudite par ma clientèle de qualité.
Parce que je ne travaillais pas à n’importe quel Tim; je travaillais au Tim le plus achalandé de la province. Oui monsieur; j’allais certainement pas m’abaisser à laver les cabinets d’un débit de viennoiseries ordinaire « qui fonctionnait correct ».
LE MEILLEUR. Celui avec le line-up jusqu’à la porte d’entrée, qu’il soit 7h le matin ou 11h du soir. Le stressant. Et ce que j’ai rapidement compris, c’est qu’à la toute première seconde de la toute première minute derrière mon comptoir, j’étais une sinistre déception.
Le fongus de service. LA CHIURE.
C’est qu’à cette prestigieuse succursale, comme, je présume, à toutes les autres, il appert que toute serveuse se devait de maîtriser et ce, sans hésitation aucune, la commande précise et usuelle de chaque client, même si on s’était jamais vus de notre sainte vie, détail dans lequel nul ne s’enfargerait avec ses chaussures orthopédiques.
Un grand, deux laits un sucre.
Un chocolat chaud, mais dans deux cups.
Un moyen déca avec un ordre de toasts. PIS TU LE FAIS FRAIS, LE CAFÉ.
Un bagel (prononcé « bagelle ») plein goût avec ben du beurre.
Une timbit dans une napkine.
Une torsade avec une claque sua yeule.
Une bine.
Une bine.
QUI, commande « une bine »? Mes clients du Tim. Pas un bol de fèves aux lard ni un petit plat de flagolets. Arrange-toi avec une bine pis pars le micro-ondes.
C’est la première commande qu’on m’a faite.
Et comme toute carriériste de 17 ans à sa toute première commande de sa toute première journée, j’ai laissé s’échapper ce rire niais caractéristique de la culotte qui s’humidifie car, d’une part, ma cliente aux chevilles enflées dans ses petites sandales blanches était choquée noir qu’au premier contact visuel, je ne l’aie pas associée à SA TRADITIONNELLE BINE et que, d’autre part, « une bine » ne consistait pas en une seule fève en sauce harmonieusement disposée dans un plat de service en argent, mais bien en une généreuse platée qui éclabousse les rebords du bol à soupe, avec un petit pain, un jus de pêche, un beigne à la costarde et un sachet de poivre. Et t’avais intérêt à pas l’oublier, le sachet de poivre.
Mon deuxième client, lui, exigeait qu’on étende son beurre de pinottes sur ses rôties. C’était son petit moment. Son petit morceau de paradis. Chaque jour, même heure, son imperméable d’homme d’affaires de Greenfield Park revolait dans le vent de la porte d’entrée, annonçant de malaisantes minutes au cours desquelles il m’expliquait, chaque jour, à quel point il aimait ça, qu’on étende son beurre de pinottes pour lui. Quand ses toasts étaient encore chaudes pis que le beurre fondait jusqu’aux coins. Le pain ménage érotique. À sa simple vue, j’oubliais comment me servir d’un couteau. Je déchirais ses toasts. Je faisais un petit pipi.
Mais mes collègues y étaient habituées. Et je le serais bientôt aussi (NOUS DÉVELOPPERIONS MÊME UNE ROMANCE VISUELLE). Je devais juste passer à travers cette première journée. Cette première semaine. Ce client aux mains géantes (pas de farce, il détenait le record Guinness des mains) qui, chaque fois, se ferait aller les jointures en me chuchotant, accoté sur le comptoir, que sa femme était chanceuse d’avoir « onze pénis ».
Apprendre, à la dure, ce qu’était un tire de char. Parce que les gens ne pointeront jamais la denrée désirée. Ils exigeront un tire de char, petits filaments blancs aux commissures, en roulant des yeux le moment venu de s’agiter les mains boudinées en direction du rack à roussettes. Roues de tracteur. Tires de char. Ah.
Soupireront quand t’oublieras que dans leur sandwich au jambon, y veulent pas de jambon. Quand la soupe sera pas assez tiède. Ou que le valet aura pas parké le char à la bonne place.
Pourquoi je vous raconte tout ça?
Je vous raconte tout ça parce qu’hier, encore, un citoyen du monde, un grand prince du croissant dont le graal était de SOUPIRER FORT, faisait la file devant moi dans un café. Et la petite employée, en proie à cette violente incertitude quant au concept de respiration, incapable de différencier le plafond du plancher, d’ouvrir sa caisse ou de verser du café sans s’en éclabousser dans la cornée, vivait sans conteste son premier quart de travail. Sa première « bine ».
La pauvre caille; je lui aurais donné le sein. Vous aussi.
Mais pas l’empereur devant moi, cet homme qui avait un emploi du temps et qui consacrerait désormais sa vie, SES MÉMOIRES à faire sûr que toute personne qui croiserait son chemin jusqu’à sa mort soit dûment informée qu’une jeune incapable travaillait dans ce café, et que quiconque souhaitait avoir le privilège d’accéder à un muffin au son ferait mieux de déménager en Palestine.
EN PALESTINE.
Le citoyen Angus a quitté en garrochant d’un geste fin son screening su’l comptoir et en faisant revoler son café de prince partout en tentant de mettre, sans succès, un couvercle sur sa petite tasse de carton avant de partir, impatient mais surtout humilié par sa psychorigide maladresse, le pharynx furieusement irrité d’avoir expulsé autant d’air en si peu de secondes.
Eh bien ma foi, clients qui ne savez DEALER avec la maladresse de la première journée d’autrui, sachez que votre couvercle ne fermera jamais.
Et au nom de toutes les petites filles (et des petits gars) qui trembleront aujourd’hui en punchant pour la première fois, ALLEZ CHEZ LE DIABLE.
La bise.
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