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Pendant qu’au Québec l’hypothétique « berlusconisation » de la province déchire les partis politiques, que les regards assoiffés de sensationnalisme se délectent du procès de Luka Rocco Magnotta, que le virus Ebola suscite l’annuelle paranoïa collective et que le début de saison du Canadien finit par nous faire oublier tout ça, je poursuis mine de rien mon voyage à travers les régions indépendantistes d’Europe.
Après un séjour de près de trois semaines en Écosse et dans le sud du Royaume-Uni, j’ai levé l’ancre pour voir ce qui se tramait avec le mouvement indépendantiste breton. Car s’il est une région française que j’affectionne tout particulièrement c’est bien la Bretagne. Plusieurs raisons justifient d’ailleurs mon amour de cette région dont au premier plan l’amabilité du peuple breton, la beauté de ses falaises escarpées et bien évidemment, sa propension à brasser de la bonne bière, chose rare en France!
C’est donc muni d’un parapluie et d’une bouteille de chouchen que je suis parti à la rencontre de jeunes indépendantistes bretons question d’en savoir un peu plus sur l’histoire de leur mouvement et de l’état actuel des forces.
Car il faut bien le mentionner, si je connaissais l’existence d’un mouvement indépendantiste breton, mes connaissances n’allaient guère plus loin que quelques détails historiques et culturels et autres éléments folkloriques. C’est donc dans le but de pallier à cette lacune que je me suis rendu, au début du mois d’octobre, dans la capitale bretonne, c’est-à-dire Rennes.
Évidemment, quiconque s’est déjà arrêté en Bretagne n’est pas sans savoir que Rennes, bien qu’étant la capitale de la région, n’est pas la meilleure ville pour juger de l’appui à l’indépendance. J’en suis conscient. C’est un peu comme faire une recherche sur l’indépendantisme québécois et se rendre dans la ville de Québec pour en étudier ses manifestations… Bref, vous voyez où je veux en venir!
Ceci étant dit, je me suis donc rendu à Rennes car c’est là que m’attendaient Pierre et Steve ainsi que leurs amis, de sympathiques Bretons tous issus du Finistère, de Morlaix plus exactement. Pour faire ça court, le Finistère est un département de la Bretagne, où se trouve une bonne partie des indépendantistes pur et dur. C’est en quelque sorte le Saguenay-Lac-St-Jean de la Bretagne.
Mais avant de vous faire part de mes discussions et de mes impressions, revenons brièvement sur l’histoire du mouvement indépendantiste breton. Loin de moi l’idée de m’improviser historien de la Bretagne mais je crois que quelques repères historiques sont ici nécessaires!
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Tout d’abord, à l’instar d’une majorité de régions ayant des velléités indépendantistes, la Bretagne a déjà été indépendante avant de joindre la France. C’était avant que la duchesse de Bretagne épouse son deuxième mari.
Prendre mari impose-t-il aussi de prendre pays? Du moins, ce fut le cas d’Anne de Bretagne lorsqu’elle accepta de marier un roi de France, de surcroît Charles VIII, consacrant par cette union le rattachement du duché de la Bretagne avec le Royaume de France. C’était il y a déjà plus de 500 ans, soit en 1491.
Pendant des siècles, se rattachement de la Bretagne à la France s’est fait dans un calme relatif. Il faudra attendre la première moitié du XIXe siècle pour que surviennent les premiers sursauts du nationalisme breton. Jusque-là, les Bretons ne s’étaient pas, ou très peu, questionnés sur leur identité nationale. Dans cette France du moment, devenue République depuis peu, l’éveil de l’identité bretonne s’est fait d’abord en lien avec une certaine nostalgie de l’époque précédant la Révolution française, cette époque dominée par un très fort esprit monarchique et une omniprésence du clergé.
Ce seront toutefois les injustices récurrentes que subira la Bretagne au dépend de la France au XXe siècle qui mousseront le nationalisme breton. D’une part, dans le but d’assurer la cohésion sociale sur le territoire français et de faciliter la promotion sociale au sein de l’État français, l’utilisation des patois et des langues régionales seront proscrites à partir de 1902 causant, entre autres, la presque disparition de la langue bretonne.
D’autre part, les deux Guerres mondiales raffermiront dans l’esprit des Bretons l’idée qu’ils participent à une nation différente de celle de la France. Un peu comme les Canadiens français de l’époque, les Bretons auront l’impression d’être envoyés en première ligne, en d’autres mots, de servir de chair à canon. Dans le cas des Bretons, les chiffres parlent d’eux-même. Plus de la moitié des hommes envoyés sur les lignes succomberont aux combats lors de la Deuxième Guerre.
C’est dans cette mouvance que naîtra en 1964 l’Union démocratique bretonne (UDB), ou Unvaniezh Demokratel Breizh en breton, parti de gauche, écologiste et bien sûr indépendantiste. Le parti existe toujours aujourd’hui mais dispose d’une influence assez mince.
Dans le même ordre d’idée, il ne faudrait pas passer sous silence la création du FLB (Front de libération de la Bretagne) qui a sévi sensiblement au même moment que le FLQ au Québec avec sensiblement le même message et le même type d’attentats, c’est-à-dire en s’en prenant à des emblèmes symboliques, comme par exemple le Château de Versailles en 1978.
Toutefois, l’attentat manqué d’un McDonald à Quévert par un groupe d’indépendantistes radicaux en 2000, qui se soldera par la mort d’une jeune employée, viendra jeter une ombre au tableau. La mort de cette employée sera un lourd fardeau à porter pour les indépendantistes qui auront, dans les années à venir, fort à faire pour se distancier de cet acte.
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Ceci étant dit, qu’en est-il aujourd’hui du mouvement indépendantiste breton? C’est ici que Pierre et Steve m’ont été utiles. Car s’il est une chose qui m’est apparue évidente lors de mon séjour en Bretagne, c’est que les jeunes revendiquent avec une fierté évidente leur appartenance à la Bretagne. Et ils aiment en parler!
D’ailleurs, peu de Français remettent aujourd’hui en question le fait que la Bretagne constitue une nation distincte au sein de la France. Plusieurs éléments en témoignent. D’abord, il y a la langue qui, bien que peu parlée aujourd’hui, a repris ses droits sur le territoire breton. Elle est d’ailleurs ré-enseignée à l’école depuis quelques années et, depuis les années 1990, les panneaux de signalisation et autres enseignes sont traduits en breton.
Ensuite, la Bretagne dispose de son propre drapeau, le « Gwenn ha Du », de son hymne national, le Bro gozh ma zadoù (Vieux pays de mes pères), de sa littérature, sa musique (les Bretons ont aussi leur Gilles Vigneault en la personne d’Alan Stivell), sa gastronomie, ses traditions, et j’en passe.
Mais il ne faudrait toutefois pas réduire l’identité bretonne à ses seules spécificités culturelles. La Bretagne est également nettement plus à gauche sur l’échiquier politique que le reste de la France. Car s’il est un fait qui caractérise la Bretagne et cela, plus particulièrement depuis quelques années, c’est bien sa propension à voter résolument à gauche. Longtemps dominée par le vote catholique de droite, la Bretagne est aujourd’hui considérée comme un bastion de la gauche française. Elle aura d’ailleurs fortement contribué à élire François Hollande en 2012. Mais ça, faut pas trop leur rappeler!
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Alors, la question qui tue: Les Bretons vont-ils se séparer de la France bientôt? Pour être franc, si j’avais à parier ma chemise sur la prochaine région européenne à devenir indépendantiste, ce ne serait fort probablement pas sur la Bretagne.
La totalité des personnes que j’ai rencontré se disaient Bretons avant d’être Français. Toutefois, de là à se dire indépendantistes, il y a une ligne que peu osent franchir. Un sondage effectué en 2012 indiquait d’ailleurs qu’environ seulement 18% des Bretons seraient favorables à l’indépendance. (Chez les moins de 24 ans, ce taux atteint 33%.)
Pour beaucoup de jeunes Bretons – c’est le cas de Pierre et de Steve – le projet d’indépendance ne serait plus pertinent. Pierre m’expliquait que les villes de Nantes et de Rennes sont désormais des villes davantage tournées vers Paris et non plus sur la promotion et la défense de la culture et de l’économie bretonne.
Selon Pierre, pour que le projet d’indépendance retrouve une certaine pertinence, il doit être axé sur la culture bretonne et vers le retour à une économie plus locale. En d’autres termes, l’indépendance est indissociable d’un projet de société qui soit plus juste, écologiste, tout en ayant à coeur le développement économique et culturel de la Bretagne. Or, pour l’instant, aucun parti politique ne semble offrir aux Bretons une telle voie.
Pour sa part, Gaël, jeune breton rencontré dans le train me ramenant vers Paris, m’avouait être sympathique aux revendications des indépendantistes mais sans toutefois croire sa réalisation possible. Il m’expliquait en ce sens les nombreux avantages de faire partie de l’État français (les coûts liés à l’éducation, au système de santé et aux soins dentaires entre autres sont assurés par l’État). Une Bretagne indépendante pourrait-elle en offrir autant à ses habitants? Là résidait l’essentiel de son questionnement.
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Bref, les partisans d’une France unie n’ont donc par trop à s’inquiéter. De toute évidence, ce ne sera pas demain la veille que les Bretons quitteront la République française. Comme disait l’ancien entraîneur des Canadiens de Montréal Jean Perron, il y a encore loin de la soupe aux lèvres.
Mais heureusement, l’histoire n’est pas si facile à prédire. N’oublions pas que l’appui à l’indépendance de la Catalogne atteignait à peine 15% il y cinq ans de ça. Il dépasse aujourd’hui la barre du 50%. La montée des nationalismes en Europe n’est d’ailleurs pas sans inquiéter la France qui craint plus particulièrement deux régions, la Corse et la Bretagne. L’avenir seul nous dira ce qu’il en est!
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Toujours est-il que je file maintenant vers la Catalogne pour suivre le déroulement du référendum, ou plutôt de la consultation populaire, sur l’indépendance du peuple catalan. Parions que l’opposition de Madrid à laisser les Catalans se prononcer sur leur avenir ne sera pas sans créer un climat certes tendu, mais également fort intéressant!