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C’est quoi vivre dans un contexte de violence conjugale comme enfant
Plus je vieillis, plus je me rends compte que le cerveau est intéressant, mais qu’il peut aussi être franchement gossant. Par exemple, dans mon enfance, j’ai grandi dans un contexte de violence conjugale et je m’en suis rendu compte seulement à 27 ans. Qu’on pense aux accusations déposées contre Ti-Cuir ou au prochain homme qui va tuer ses enfants pour se venger de son ex, la violence en contexte amoureux et familial, c’est particulièrement difficile à comprendre de l’extérieur. Je vous offre donc une incursion dans ce que c ’est, du point de vue d’une enfant qui l’a vécue.
L’allégorie de la grenouille
Pour faire bouillir une grenouille vivante, il y a un principe simple qui dit que si on prend la grenouille et qu’on la met dans de l’eau déjà bouillante, elle va s’enfuir. Si par contre elle trempe dans l’eau et qu’on monte la température graduellement, elle ne se rendra jamais compte qu’elle est en train de bouillir. Vivre dans un contexte de violence, c’est exactement ça.
Avoir un père qui crie et qui explose, c’était normal pour moi. Je ne connaissais rien d’autre que le contrôle. La violence était physique et elle était aussi psychologique.
Avoir un père qui crie et qui explose, c’était normal pour moi. Je ne connaissais rien d’autre que le contrôle. La violence était physique et elle était aussi psychologique. Dans un contexte de violence familiale, tout le monde en subit les conséquences. Ça devient extrêmement stratégique d’être la personne la plus aimée ou le bouc émissaire. Le parent victime de violence doit naviguer entre la peur et le désir de voir ses enfants être épargnés.
Il y a des manigances, des stratégies d’évitement, des explosions (encore), de la violence verbale, de la violence physique et, surtout pour le parent victime, de la violence financière et sexuelle.
Pourquoi tu ne pars pas ?
J’ai souvent demandé à ma mère de prendre les petits et le reste des enfants et de partir. Une fois, après avoir explosé de violence, mon père est parti pendant 24 h. J’étais vraiment heureuse, mais à mon grand étonnement, le reste de ma famille s’est fâché contre moi alors que je ne comprenais pas pourquoi on ne pouvait pas simplement partir. Ma mère trouvait des raisons : les sous, l’éducation, le confort. Moi, je dormais chaque jour avec l’espoir qu’il meurt.
J’ai dû prendre une pause de mes deux parents quand je suis devenue mère. Ils ont annoncé leur divorce à la naissance de mon fils et après deux-trois coups chiens de leur part, j’ai décidé de cesser de leur parler. Ça m’a vraiment fait du bien. Quand j’ai repris contact avec ma mère, j’ai compris comment mon père s’était appliqué à la détruire, à détruire chaque parcelle de son estime jusqu’à ce qu’elle finisse par penser qu’elle n’était rien sans lui. Je lui ai demandé pourquoi elle n’était pas partie, puis elle m’a dit qu’elle avait tellement peur qu’on meure (et elle de mourir) qu’elle préférait vivre la violence « tranquille » du quotidien plutôt que la grande violence du départ. Ouch.
Des conséquences bien réelles
C’est fou parce que des fois on en vient à se dire qu’on aurait peut-être préféré avoir vécu de la violence qui donne des bleus, un peu comme Aurore l’enfant martyre, pour avoir des preuves à montrer. La violence quotidienne dans une famille nous marque d’un fer transparent dont on ressent la brûlure toute notre vie.
Que ce soit notre peur des hommes plus grands et plus forts que nous ou encore notre difficulté avec l’autorité. Ne pas avoir confiance en soi. Avoir du mal à connaitre ses limites. Avoir tendance à s’automédicamenter pour enfouir la douleur. Faire de l’hypervigilance. Être convaincue que la vie des autres était plus saine que la nôtre. Passer sa vie à se demander si on mérite d’être heureuse parce qu’on a jamais été habituée à un bonheur qui ne fait pas mal. Des petites choses comme ça qui sont tellement difficiles à expliquer, mais qui finissent par faire partie de soi.
La difficulté d’en parler
Ce qui serait vraiment cool et pratique, c’est si les personnes violentes pouvaient être abjectes partout et tout le temps. Ce serait plus facile de les dénoncer. Les gens nous croiraient aussi plus facilement.
On m’a récemment demandé si mon père savait que je parlais de mon enfance violente dans mes livres et sur internet, même dans certains médias. Ça m’a soufflée comme question. Je m’en fous un peu de savoir s’il le sait ou pas. Ce qui m’importe le plus, c’est la liberté de partager ce vécu que j’avais caché dans une partie de mon cerveau parce que je ne voulais pas revivre de traumatismes. Avec les thérapies, les médicaments, la peur au ventre, disons que j’ai autre chose à faire que de consacrer mon précieux temps à penser à lui comme une victime. C’est moi la victime, c’est nous en fait. Et se l’avouer est aussi difficile que de vivre avec le stigma de la violence. Ce n’est pas le fun à raconter, ce n’est pas le fun de s’avouer ça, non plus.
Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Dans mon ancienne vie, je gérais un groupe de mamans et quand une des mères a finalement décidé de parler de la violence de son conjoint puis de partir, on a organisé une collecte de fonds entre nous, question qu’elle puisse souffler un peu et se sentir en sécurité. Ensuite, j’ai passé la soirée à l’accompagner sur Internet pendant qu’elle appelait SOS Violence Conjugale, un service 24 h/24 h qui permet d’accéder à des ressources d’aide.
Disons que de pouvoir offrir de l’aide, de l’écoute et un espace de non-jugement, c’est primordial quand on reçoit un témoignage ou qu’on est témoin d’une situation de violence en contexte amoureux. Il y a des signes qui ne mentent pas : la peur, le manque d’estime, le contrôle financier, le contrôle de la personne et surtout des réactions excessives à des problèmes mineurs. La personne est forcée de trouver des excuses pour son partenaire et pour ses crises ou ses accès de colère. Si une de vos amies reçoit un texto dégueulasse de son chum qui lui dit « C’est ça, tu vas encore frencher n’importe qui ce soir, salope » ou une variante de la sorte, disons que c’est un red flag pour commencer à poser des questions.
Il y a des signes qui ne mentent pas : la peur, le manque d’estime, le contrôle financier, le contrôle de la personne et surtout des réactions excessives à des problèmes mineurs.
Être victime de violence, ça nous touche au plus profond de notre être et ce n’est pas évident d’avouer qu’une personne qu’on a aimée assez pour faire des enfants avec nous fait vivre de la violence. Ce serait donc ben plus facile si on pouvait montrer les bleus que ça fait à l’âme. Il faut parler de la violence, il faut cesser de minimiser ou de normaliser ses effets et il faut réaliser que c’est inacceptable.
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Si vous ou un proche êtes victimes de violence conjugale, vous n’êtes pas seul.e.s. On vous invite à contacter cet organisme:
1 800 363-9010
Identifiez-vous! (c’est gratuit)
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