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C’est quoi le boeuf? : cinq façons de perdre un rap battle

« Quand je dis WordUp, tu dis WordUp! »

Par
Simon Tousignant
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Ah, le beef entre rappeurs. Ces conflits si éloquents et poétiques, sont les symboles d’une culture basée en partie sur l’égocentrisme et le machisme, mais pas que. Le rap possède cette particularité d’être autant un sport qu’un art, où s’entremêlent la créativité et le désir de surpasser la compétition. Vous me direz que c’est normal pour un.e artiste de vouloir être plus populaire que les autres. Par contre, c’est unique au rap d’en faire le sujet de chansons entières, voire d’albums complets. Avec C’est quoi le bœuf?, on se penche sur certains des conflits les plus marquants de l’histoire du rap. Cette fois, on change un peu la donne et on explore certaines facettes d’une culture basée sur le beef: le monde du battle rap.

Le rap est le seul genre musical qui fait également office de sport. Tout est basé sur la compétition, sur le désir d’être le meilleur MC, et c’est donc tout à fait naturel que cette facette du rap ait évolué vers le battle rap. C’est habituellement trois rounds d’une durée qui oscille entre une et trois minutes et qui oppose deux rappeurs qui ont comme seul but de s’envoyer chier à tour de rôle, le tout avec du flow et des rimes. Comme à la boxe, si les adversaires n’ont aucune pitié, ils terminent généralement le combat avec une accolade qui démontre que toutes les cochonneries qui viennent de se dire, c’était pas sérieux.

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Le battle rap, c’est une affaire de millions de vues sur YouTube et de communautés qui s’étendent du Québec aux Philippines. Dans le rap francophone, ç’a été une rampe de lancement pour de grands noms tels que Nekfeu, Jazzy Bazz ou Dinos qui se sont démarqués lors des premiers événements Rap Contenders. Plus près de chez nous, des vedettes actuelles telles que Loud, Koriass, Obia le Chef ou Maybe Watson sont passés par les WordUp! Battles où s’est rencontré Dead ObiesSnail Kid et Joe Rocca sont devenus amis lorsqu’ils ont été opposés dans un battle. Si les succès dans la musique sont plus difficiles pour les battle rappers américains, leur scène reste néanmoins la référence ultime pour tous les amateurs de cette culture.

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Alors, c’est quoi le rapport avec cette chronique? Ben, perdre un battle, ça peut faire mal et les battles les plus vicieux vont souvent bien plus loin que les diss tracks classiques qui accompagnent les beefs. Alors voici cinq signes qu’un rappeur est en train de perdre un battle.

Le choke

Rares sont les rappeurs qui ont choké et qui ont réussi à s’en remettre. Le choke, c’est tout simplement oublier son texte. Qu’il s’agisse d’un manque de préparation, de nervosité ou de distraction lors de la performance, les MCs qui chokent se retrouvent dans un néant où la mémoire fait défaut devant un public silencieux qui est pendu aux lèvres des rappeurs. La pression monte rapidement et souvent, il est difficile de reprendre, alors le choke se transforme souvent en round incomplet. L’égo en prend un coup, et le non verbal trahit souvent l’esprit de défaite du rappeur qui choke.

L’exemple le plus cocasse du choke se retrouve dans le battle qui oppose Dizaster à Canibus. Ce dernier, un vétéran rappeur dont les fans attendaient le premier battle avec impatience, se mesurait à une des figures importantes du mouvement battle rap chez nos voisins du sud dans le cadre d’un événement de King of the Dot (KOTD), une compagnie canadienne de battle rap qui organise également des battles aux États-Unis. Lors de la performance, un Canibus visiblement perturbé par l’ampleur de l’événement oublie son texte, avant de… sortir son cahier de rimes afin de les réciter. Faux pas ultime, le rappeur avait déjà perdu le battle avant la fin du premier round.

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Parfois, sans être aussi décisif, même un léger choke peut changer l’issue. Par exemple, on peut penser à Jam (Brown Family) contre Obia le Chef, ou ce même Obia opposé à un Loudmouth qui deviendra plus tard Loud. Dans les deux cas, on a eu droit à des battles de haut qualibre où des petits chokes de Jam et Loud ont causé leur défaite, les battles étant autrement tellement serrés que les juges n’ont pas eu d’autres choix que de donner la victoire à Obia.

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La violence physique

Que ce soit clair, la violence physique est totalement interdite dans les battles. Lorsque la bagarre éclate, c’est souvent signe qu’un des participants n’a pas su gérer les propos de son adversaire, et la défaite n’est pas loin.

Par exemple, lors du battle qui opposait Math Hoffa à Dose, ce dernier a reçu une droite de son opposant qui a causé la fin. Pourtant, Dose n’avait pas dépassé les limites, mais Math n’a pas été en mesure de contrôler ses émotions, et la merde a pogné.

Parfois, c’est l’intensité même d’un battle qui peut mener à une échauffourée. Lors du match pour le titre WordUp! opposant Freddy Gruesum à Franko Bucci, ce dernier s’est mis à pousser son adversaire lorsque ses contacts physiques répétés ont dépassé les limites. Heureusement, les esprits se sont calmés et le battle a pu reprendre, et on a même eu droit à une accolade. Par contre, difficile de donner Bucci vainqueur après cette altercation, et Gruesum s’est sauvé avec une ceinture de champion qu’il aurait probablement gagnée de toute façon – à mon avis du moins, moi qui étais juge.

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En bref, lancer un coup lors d’un battle, c’est s’assurer d’avoir l’air con.

Les personnals

Les personnals, ce sont des attaques personnelles qui visent des facettes bien précises de la personnalité, ou de la vie d’un battle rapper. Si la mode est aux gun bars et autres angles d’attaque plus superficiels depuis quelques années, le personnal reste l’attaque la plus incisive et la plus propice à pousser un rappeur vers des réactions d’agacement.

Le meilleur exemple de l’effet des personnals au Québec est sans aucun doute le battle qui oppose Freddy Gruesum et C-Drik. Un peu comme le clash Dizaster vs Canibus, celui-ci mettait en vedette un ancien de la scène rap et un battle rapper aguerri. Les lignes de Gruesum sur les enfants de C-Drik ont jeté un froid dans la salle alors qu’on entend ce dernier dire à son adversaire de «faire attention». Outre la supériorité des rimes de Gruesum, on a senti que ce moment avait fait basculer le battle de façon catégorique et on n’a plus jamais revu C-Drik dans un battle après ça.

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Les accessoires

Quand un rappeur est incertain de son contenu, il n’est pas rare de le voir amener des items pendant son battle pour bonifier sa performance. Le problème, c’est que ces props finissent souvent par avoir l’effet contraire alors que la foule essaie de comprendre le lien entre une photo qui est brandie et la personne visée, par exemple.

Parfois, c’est plus cocasse, par exemple lorsque Chacalcolik a amené une boîte en bois lors de son battle contre Freddy Gruesum (encore lui!). Lors de son deuxième round, il en a sorti un dildo géant. Lors de son troisième round, il en a sorti un… nain huilé. Le problème, c’est qu’il affrontait un maître du freestyle qui a réussi a rebuttle -répondre en direct au contenu de son adversaire lors du round suivant, ce qui est impressionnant puisque la grande majorité des battles sont écrits d’avance – le stunt de façon épique, et le battle était à ce moment perdu pour Chacalcolik.

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Plus récemment, lors du battle opposant Vernz et Coco Belliveau, Vernz a tenté d’allumer de la sauge lors de son intro. Problème: sa torche au butane ne fonctionne pas. Avant même le début du battle, le rappeur était déjà désavantagé par l’échec de sa présentation. Il ne s’en est pas remis et a perdu le battle sans équivoque.

Le bodybag

Un bodybag peut rassembler certains éléments mentionnés plus haut et se veut le symbole d’une victoire claire et nette, d’où le terme bodybag qui désigne les sacs dans lesquels on met les corps de gens décédés.

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Parfois, le bodybag a lieu parce qu’un des adversaires est nettement au-dessus de son opposant. Lors de la première édition des WordUp! Battles il y a dix ans, le battle entre SPS et SCK est devenu le premier exemple de bodybag au Québec. Ce battle 2-vs-2 a démontré ce que ça prenait pour gagner un battle: d’un côté, SCK sont arrivés avec des rimes joyeuses et légères. De l’autre, on a découvert le duo SPS (Skilz pis Suspek-T) qui a terrassé ses adversaires à coup de rimes crues, de punchlines mordantes et de références NSFW. La perte d’innocence de leurs adversaires a marqué le battle rap queb et a donné naissance a des références incessantes lors des battles suivants où les rappeurs se comparaient à SPS, et leurs adversaires à SCK. Le plus grand signe qu’un rappeur s’est fait bodybag, c’est lorsqu’on commence à utiliser son nom comme synonyme du terme.

On a également pu voir Robert Nelson d’Alaclair Ensemble se frotter à St-Saoul et offrir au rap queb son bodybag le plus flagrant sur la scène du Club Soda. Le Roé est arrivé avec une énergie telle que même si son adversaire avait de bonnes lignes, un flow limpide, il n’a jamais été proche de Nelson qui a d’ailleurs causé ce qui est probablement la plus grosse réaction à un punchline de l’histoire des WordUp! Battles. Écoutez le battle pour la découvrir, ça vaut la peine.

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Voici donc cinq facettes à prendre en considération avant de se lancer dans le battle rap. Si vous arrivez à gérer tout ça, vous éviterez les beefs et pourriez même vous hisser au sommet des WordUp! Battles qui connaissent une vraie résurgence depuis la création de la série WordUp! X. Loud, Koriass et Obia n’y sont peut-être plus, mais qui sait, vous pourriez suivre dans leurs pas…