Ah, le beef entre rappeurs. Ces conflits si éloquents et poétiques, sont les symboles d’une culture basée en partie sur l’égocentrisme et le machisme, mais pas que. Car le rap possède cette particularité d’être autant un sport qu’un art, où s’entremêlent la créativité et le désir de surpasser la compétition. Vous me direz que c’est normal pour un.e artiste de vouloir être plus populaire que les autres. Par contre, c’est unique au rap d’en faire le sujet de chansons entières, voire d’albums complets. Avec C’est quoi le bœuf?, on se penche sur certains des conflits les plus marquants de l’histoire du rap. On débute par le beef entre Booba et Kaaris, conflit qui divise les amateurs de rap français depuis des années.
« Un octogone sans règles »
« Ok Armand, tu proposes un octogone sans règles. C’est quand tu veux frère. Mais t’as parlé, moi j’ai parlé, j’assume. On attend la date, l’heure, le jour, pas d’arbitre, octogone, et je vais te baiser tes morts et leur cercueil sale fils de chien. »
https://www.youtube.com/watch?v=_K877I8iGsI
Le début de l’année 2019 a été marqué par ces phrases de Booba, balancées subitement dans une publication Instagram qui sera supprimée par la suite. La violence des paroles fait contraste au calme du rappeur. Il faut dire que dans un beef, on ne peut pas montrer ses émotions pour ne pas faire preuve de vulnérabilité (un péché capital dans les codes du genre).
Mais pourquoi tant de haine dissimulée? Tout simplement parce qu’il répondait à l’invitation de Kaaris à régler leur conflit comme de vrais hommes : dans un ring, devant des caméras, en pay-per-view, pour des millions d’Euros. Booba, 42 ans, et Kaaris, 39 ans, déjà riches et bien établis, en sont rendus là en 2019.
L’offre est venue de Kaaris à la suite de leur bagarre à l’aéroport d’Orly le 1er août 2018. Cette escarmouche a marqué l’imaginaire des fans de rap, et pas seulement parce qu’on peut aussi apercevoir Booba frapper un acolyte de Kaaris avec une bouteille de parfum (#thuglife). En fait, le beef entre les deux rappeurs date de bien plus longtemps que cette démonstration de testostérone…
Batman et Robin
Parce que comme dans bien des beefs avant celui-ci, Booba et Kaaris étaient initialement des amis. D’ailleurs, Kaaris doit son succès initial à Booba, qui l’a invité sur Kalash, chanson de son album Futur sorti en 2012. Grâce à ce titre, le style agressif plein de punchlines de Kaaris impressionne et met la table pour son premier album, Or Noir avec des bars comme « je n’ai confiance qu’en mon Desert Eagle et en Zizou dans les arrêts de jeu ». Le mélange des deux rappeurs est fou et laisse présager une union sacrée du nouveau street rap français.
Le problème avec Booba, c’est que son support peut souvent devenir un poids lorsque vient le temps de partager le spotlight. On l’avait déjà vu avec l’embrouille entre Booba et La Fouine, un autre collaborateur devenu ennemi, ou plus récemment avec Damso, lui aussi validé par Booba avant de s’en distancer.
Après la parution d’Or Noir, qui devient Disque d’Or en France, Kaaris a de plus en plus faim et cherche à s’éloigner de l’ombre de Booba. Lors d’un freestyle en mars 2014 sur les ondes de Skyrock, la plus grosse radio rap du pays, le représentant de Sevran ne cache pas ses intentions : « T’es numéro un, donc je n’ai pas le choix, je vais attendre que le soleil soit assez haut dans le ciel que tous me voient tuer le roi. » Même si K2A ne nomme personne, la cible est claire.
À partir de ce moment, c’est la guerre ouverte entre les deux rappeurs de la banlieue parisienne qui s’échangent des insultes par publications Instagram interposées ainsi que sur leurs chansons. Qu’il soit question d’apparence, de ventes, de famille ou de masculinité, Booba et Kaaris trouvent toutes les raisons, et tous les moyens de s’envoyer chier. Booba accuse Kaaris d’être incapable d’avoir du succès sans lui, alors que son rival dépeint le Duc de Boulogne comme un peureux qui s’est établi à Miami afin de fuir les gens de la rue en France.
Des adultes qui se battent dans un ring
La situation en reste là jusqu’à cette fameuse bagarre à l’aéroport du 1er août 2018. La bisbille entre les crews des deux artistes aura causé plus de 50 000 $ de dommages en plus de causer la fermeture temporaire du Hall 1 de l’aéroport d’Orly et retarder plusieurs vols. Les images ont fait le tour de la planète et ont offert une nouvelle raison aux détracteurs de la culture hip-hop de s’en donner à cœur joie sur les stéréotypes du genre.
Booba et Kaaris se retrouvent ensuite en cour, risquant des peines de prison assez importantes. Finalement, comme d’habitude, les riches s’en sortent : ils écopent tous deux de 18 mois de prison avec sursis (donc pas de prison) et 50 000 euros d’amende. Au contraire de leurs amis présents à l’aéroport dont la majorité écope de peines de prison ferme.
Depuis, la guerre Instagram a repris de plus belle, jusqu’à ce que Kaaris propose ce fameux combat de MMA sans règles. S’en suivent des mois et des mois de chamaillage, d’accusations et de supercheries. Parce que si Booba accepte le challenge sur le champ, il n’est pas simple de trouver un arrangement qui sert les deux parties, en termes du lieu du combat, des primes offertes et de la date. Depuis, les rappeurs et leurs fans divisent l’Internet. Pourquoi le combat n’est-il pas encore organisé? Qui va gagner? Team Booba ou Team Kaaris ? D.U.C. ou Dozo?
Finalement, la nouvelle tombe le 12 avril dernier : Kaaris a finalement signé la dernière proposition de contrat avancée par Booba en collaboration avec SHC, une association d’arts martiaux mixtes basée en Suisse. Il publie d’ailleurs une vidéo de lui qui signe son contrat relax, en bouffant un poulet entier; faut croire qu’il a toujours aussi faim. Le combat aura donc lieu à Genève en décembre 2019. On découvre alors le pactole que se partageront les rappeurs : 1,5 million d’euros pour le gagnant, et 500 000 euros pour le perdant.
https://youtu.be/tVDPrPnh3Mk
Je sais pas pour vous, mais deux millions pour des rappeurs quarantenaires qui n’ont aucune expérience professionnelle en sports de combat, c’est du cash en maudit. Je me dis que même en planifiant tout ça ensemble, ils n’auraient pas pu faire mieux. À moins que…