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Ah, la politique ! Un monde brutal dans lequel on peut devenir la risée du Québec parce qu’on a porté un bonnet de plastique en visitant une fromagerie (#Duceppe #JeMeSouviens). Ceux qui se présentent et embarquent dans la game acceptent de vivre avec ce risque, mais peut-on en dire autant de leurs enfants ? On a posé la question à trois d’entre eux.
TEXTE CAMILLE DAUPHINAIS-PELLETIER
POUR LE SPÉCIAL NOS PARENTS DU MAGAZINE URBANIA
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La première fois que je suis allée voter, j’avais 18 ans, et j’ai coché la case à côté du nom de ma mère. Le jour des élections, j’étais surexcitée : après des semaines passées à patenter un site web de campagne, à faire du porte-à-porte avec elle et à regarder mon frère et mon père grimper dans des lampadaires pour installer des pancartes, j’allais enfin savoir si elle serait élue.
Les élections de 2009 n’ont finalement pas été les bonnes, mais quatre ans plus tard, elle est devenue conseillère municipale dans le district du Pin-Solitaire à Sherbrooke. Ça faisait vingt ans que notre famille habitait là. Vingt ans que ma mère déjeunait en lisant le journal et en commentant l’actualité municipale, s’intéressant ardemment à des dossiers de zonage très obscurs (et trop plates) pour le commun des mortels. « Avez-vous pensé à toutes les répercussions que ça peut avoir ? », lançait-elle au piètre auditoire que nous formions en mangeant nos céréales.
Sa face quand elle s’est assise pour la première fois dans sa chaise à l’hôtel de ville. Sa. Face.
Nos marches en famille sont devenues un vox pop du voisinage sur le passionnant sujet des nids-de-poule.
À partir de ce moment-là, tout est devenu plus compliqué chez les Dauphinais-Pelletier. Je travaillais pour le journal local, et évidemment, je ne pouvais plus rien écrire sur la politique municipale. Des collègues me posaient des questions « subtiles » pour essayer d’avoir des scoops, et quand j’ouvrais le journal, j’y découvrais régulièrement le visage de ma mère (et pas avec son air le plus doux). Nos marches en famille sont devenues un vox pop du voisinage sur le passionnant sujet des nids-de-poule. Bref, nos vies ont changé, mais je suis extrêmement fière d’elle et de tout le dur travail qu’elle a fait.
Je répète que ma mère est conseillère municipale à Sherbrooke et que ça a changé nos vies. À quoi peut bien ressembler l’expérience, dans les ligues majeures ? J’ai voulu en jaser avec quelques enfants de vedettes de la politique québécoise. Ça n’a pas été facile : la grande majorité des gens contactés ont poliment refusé de me parler. Ils préféraient conserver l’intimité qui reste à leur famille, et répondaient avec le ton précautionneux de ceux qui ne prennent plus de chance avec les médias. Les raisons officielles pour ces refus étaient toutes différentes (intimité, respect du parent, nouvel emploi, haine des médias, etc.), mais les réponses se concluaient presque toutes de la même façon : « Je suis vraiment fier du temps investi par mon parent et de son implication.
Heureusement, trois enfants de politiciens ont quand même eu l’audace de nous parler. Et nous, on leur a promis de ne pas les citer tout croche…
FACEBOOK ET LA CHAISE ÉLECTRIQUE
Catherine Vien-Labeaume
Fille de Régis Labeaume
Maire de Québec
Quand Régis Labeaume est devenu maire de Québec en 2007, on nageait en pleine époque MySpace, réseau social où on partageait plus nos goûts musicaux (et des citations cryptiques) que nos opinions politiques. Dix ans plus tard, alors que le maire Tremblay est sur Snapchat et que les partis politiques font des mèmes, Catherine Vien-Labeaume vit d’une façon vraiment différente les impacts du métier de son père. « Les réseaux sociaux ont en quelque sorte détruit la saine distance que j’avais établie entre les enjeux de la vie publique de mon père et mon quotidien », dit-elle.
Personne n’a envie de lire des appels à la condamnation à mort de son père en scrollant son fil Facebook, devant son café le matin.
Catherine était au début de la vingtaine au moment de l’entrée en politique de son père, et comme elle n’habitait plus à Québec, elle se tenait loin de l’actualité municipale. C’était facile de ne pas aller sur les sites de nouvelles lire les commentaires des internautes frustrés, mais maintenant, les opinions virulentes finissent toujours par faire leur chemin jusqu’à nous… « En 2007, lorsqu’il y avait un dérapage ou un débat acrimonieux, on pouvait s’attendre à une caricature dans le journal ou une joke à Infoman, mais de nos jours, c’est un “CONDAMNEZ-LE À LA CHAISE ÉLECTRIQUE !!!” avec 67 “J’aime”, vingt minutes après la publication d’un article sur Facebook. À moins de pratiquer un mode de vie monastique, c’est quasiment impossible de ne pas être confronté à ce type de violence ordinaire. Personne n’a envie de lire des appels à la condamnation à mort de son père en scrollant son fil Facebook, devant son café le matin. »
Effectivement, le souci de la nuance est très peu valorisé sur les réseaux sociaux (doit-on le répéter ?), et ça ne semble pas aller en s’améliorant. Les jeux de mots louches des politiciens attirent nettement plus l’attention que leurs projets de loi raisonnables. « Je vois souvent passer des commentaires négatifs, parfois carrément diffamatoires, d’amis plus ou moins proches, de connaissances ou parfois de gens que j’aimerais connaître davantage, et évidemment, veut, veut pas, ça change un peu la dynamique par la suite. C’est correct de ne pas être en accord, je ne le suis moi-même pas toujours, mais il y a une façon d’exprimer son point de vue adéquatement », soutient Catherine.
À moins de pratiquer un mode de vie monastique, c’est quasiment impossible de ne pas être confronté à ce type de violence ordinaire.
Des exemples de grande classe ? On n’aime pas les réformes de Gaétan Barrette, donc on le compare à Jabba the Hutt à grands coups de Photoshop. On trouve Manon Massé trop à gauche, alors on analyse sa pilosité dans des chroniques de journaux. Le lecteur moyen rit deux secondes, les proches des gens visés, beaucoup moins. Une sorte de « stress subliminal » finit souvent par les habiter. « Tu peux être de bonne humeur un matin, explique Catherine, mais une phrase douteuse prononcée par ton proche en conférence de presse peut créer une commotion et, par la suite, inonder l’espace public et “scrapper” ta journée complètement. Il y a bien pire que ça dans la vie, évidemment, first world problems, comme on dit, mais ça reste une réalité. »
ALLEZ, MAMAN, ON FAIT UN PAYS !
Tristan Malavoy
Fils de Marie Malavoy
Anciennement ministre, députée et présidente du Parti québécois. S’est retirée de la vie politique en 2014.
À la veille du référendum de 1980, la maison jaune serin de la famille Malavoy à Saint-Denis-de-Brompton était placardée d’affiches du OUI. « C’est un souvenir visuel qui est très vif pour moi encore. J’ai commencé à questionner ma mère tout jeune pour savoir ce que c’était, ce OUI », se rappelle aujourd’hui Tristan Malavoy, qui avait à peine cinq ans à cette époque, alors que sa mère, Marie Malavoy, n’était encore qu’une militante pour l’indépendance du Québec, comme tant d’autres.
Quelques années avant le deuxième référendum (de 1995, si vos cours d’histoire remontent à loin), Marie Malavoy a fait plus que ressortir les affiches du OUI : elle s’est présentée pour le PQ dans la circonscription de Sherbrooke. Son fiston curieux était devenu un jeune homme à l’aube de la vingtaine, doué en communications, intéressé par la politique et qui partageait une bonne partie de ses opinions sur le sujet. Pour une maman ambitieuse, c’était le jackpot.
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« En 1993, on était à la veille de l’échéance référendaire, c’était dans l’air. Mon implication au sein du PQ était très, très motivée par mes convictions souverainistes. Je militais déjà en vue d’un référendum à préparer, et j’ai contribué à mousser la candidature de ma mère », raconte Tristan. Et il en a fait, du travail de terrain : allo les fastidieux appels téléphoniques et le travail de pointage… « Elle a remporté son investiture, puis son élection et a été tout de suite nommée ministre de la Culture. Ç’a été très, très vite, Jacques Parizeau l’aimait beaucoup. »
On se doute que vivre ce genre d’expérience à un âge où l’on rêve plus d’une ascension du Machu Picchu que d’une tournée de circonscription avec sa mère, ça change la donne dans les rapports filiaux… « Ça a beaucoup nourri la relation que j’ai avec elle, ça l’a rendue plus complète. Notre relation mère-fils est faite de bien d’autres choses que de politique, mais ça lui apporte une dimension intellectuelle que tous n’ont pas, je crois. »
Notre relation mère-fils est faite de bien d’autres choses que de politique, mais ça lui apporte une dimension intellectuelle que tous n’ont pas, je crois.
Et au passage, ça lui a fait comprendre que le pouvoir vient avec tout un lot d’obligations, de moments qui n’ont rien de glamour, et bien souvent, de désagréments. « J’en ai retiré la conviction qu’une seule chose importe dans ce cirque : la valeur réelle des idées, des projets, des visions. La quête d’un succès politique personnel est un moteur qui tôt ou tard se met à tourner à vide. »
Aujourd’hui, Tristan Malavoy est romancier, poète, musicien, chroniqueur (entre autres !). Avoir Malavoy comme nom de famille (quand ta famille est la seule à porter ce nom au Québec),(ils sont les seuls au Québec), ça aide ou ça nuit ? « J’ai souvent eu l’impression qu’on allait tendre l’oreille vers ce que je fais plus facilement, qu’on allait davantage lire mes textes. C’est comme une petite clé. En revanche, je crois qu’on est doublement sévère avec moi : la déception qu’on éprouve à l’endroit de gens qui ont un nom un peu connu peut être pire. C’est très clairement un avantage et un désavantage », dit celui qui se fait parler de sa mère chaque semaine.
La quête d’un succès politique personnel est un moteur qui tôt ou tard se met à tourner à vide.
En général, on lui en parle en bien, même s’il a déjà traité Anne-France Goldwater de « maître ès inepties » lors d’un tweetfight en 2014, alors que l’avocate se réjouissait de la retraite de la politicienne « venue de la France pour détruire notre pays ». « On entend des méchancetés et des mensonges sur nos proches, et on est bien placés pour en juger puisqu’on les connaît beaucoup mieux que ceux qui écrivent sur eux. Ça m’amène à être plus nuancé quand je lis des critiques sur d’autres politiciens. Quand on tombe à bras raccourcis sur une personnalité publique, j’ai tendance à vouloir me faire ma propre opinion. »
Et ça donne envie de se lancer en politique, tout ça ? « Ça m’a plutôt découragé d’en faire à court terme, parce que je vois à quel point ça peut être prenant », commence par dire Tristan, mais ce n’est pas long qu’il nuance : « Je n’exclus pas d’en faire un jour. J’ai ma petite pierre à apporter, et il ne faut pas trop laisser le terrain à ceux qui font de la politique pour les mauvaises raisons. »
On gage qu’il n’aurait pas de misère à se trouver une bonne conseillère politique.
« LA FILLE D’YVON » DEVIENT KARINE
Karine Vallières
Fille d’Yvon Vallières
Anciennement député libéral, ministre et président de l’Assemblée nationale. S’est retiré de la vie politique en 2012.
Karine Vallières n’a jamais connu son père « prépolitique ». Quand elle était jeune, elle ne faisait pas la différence entre son métier et celui d’un père travaillant à l’usine ou d’une mère infirmière. C’est à l’école secondaire, alors qu’elle commençait à s’intéresser à l’actualité (pendant que d’autres préféraient développer leurs compétences en fumage de pot dans la cour arrière du centre communautaire), qu’elle a réalisé ce qu’impliquait pour elle le travail de son père. « On sait plus rapidement que les autres enfants ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. C’est le même apprentissage pour n’importe qui, mais quand tu es enfant de politicien ou de personnalités publique, tu comprends les conséquences beaucoup plus vite. »
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En effet, personne ne veut voir sa crise d’ado étalée dans les journaux… « J’ai trois frères qui étaient un peu plus grouillants que moi, et dans certaines situations, on a dû faire des meetings de famille ! » se rappelle-t-elle. Il y a du vrai là-dedans : les enfants de politiciens ne sont pas épargnés pas la cruelle loupe médiatique. Dans les dernières années, on a demandé à Amir Khadir de taper publiquement sur les doigts de sa fille lorsqu’elle s’est fait arrêter dans une manifestation. Le fils de Denis Coderre a fait les manchettes nationales lorsqu’il a été arrêté pour de la petite fraude de carte de crédit. Disons que ça encourage à faire profil bas…
On sait plus rapidement que les autres enfants ce qui se fait et ce qui ne se fait pas.
Yvon Vallières était en général un politicien aimé (il a quand même été député de Richmond pendant trente années consécutives), mais Karine se souvient des périodes électorales comme étant plus difficiles. « Au primaire, la première fois que tu vois une pancarte de ton père avec une moustache et des mots haineux, tu ne comprends pas. Pour toi, c’est la face de ton père qui est là, pas celle d’un politicien. »
Je suis bien d’accord avec Karine, et si je me fie à mon expérience, l’entourage du politicien prend souvent les attaques personnelles de façon beaucoup plus émotive que le politicien lui-même. Je me souviens systématiquement (et avec colère) du nom de ceux qui écrivent des commentaires insultants au sujet de ma mère, alors qu’elle leur reparle sans problème en nous disant qu’il ne faut pas oublier de différencier la personne de ses idées politiques. No big deal…
J’ai trois frères qui étaient un peu plus grouillants que moi, et dans certaines situations, on a dû faire des meetings de famille !
En vieillissant, Karine a non seulement réussi à se détacher des commentaires non constructifs à l’égard de son père, mais elle a aussi hérité de ses gènes de politicien. À coups de soupers spaghettis, de tournois de bowling et d’épluchettes de blé d’Inde, elle a eu la piqûre de la politique active : en 2012, elle a été élue dans la circonscription qu’il quittait.
Le « règne Vallières » se poursuit, mais la fille n’est pas devenue un simple prolongement du père. « Il y a deux ans, lors d’un événement public avec mon père, je me suis rendu compte qu’on lui disait : “Ah, vous êtes le père de Karine !” et qu’on ne me disait plus : “C’est toi, la fille d’Yvon !” La vapeur s’inverse. Mais pour moi, c’est une fierté que les gens me parlent de mon père, c’est lui qui a été ma motivation à faire de la politique. »
Et c’est pas parce qu’il est politically correct que l’amour filial est moins vrai.
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