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C’est le temps de parler du trap latin

Le genre est en train de prendre le contrôle de la planète entière.

Par
Antoine-Samuel Mauffette Alavo
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Si vous vous demandiez qui sont les artistes qui accompagnent Cardi B sur I Like That ou pourquoi Drake rappe en espagnol tout d’un coup, c’est que vous assistez à la montée de la vague latin trap. Plus que du rap en espagnol, cette évolution du reggaeton domine actuellement le monde musical. En effet, 8 des 10 clips les plus visionnés sur YouTube en 2018 étaient d’artistes hispanophones et le mouvement ne cesse de prendre de l’ampleur, même dans la Belle Province.

Laissez-nous vous guider dans la découverte du latin trap en passant par Miami, San Juan, Bogota et Montréal.

Les gros noms

J Balvin, Ozuna et Bad Bunny ne sont pas des noms nécessairement connus au Québec, pourtant ils ont amassé des dizaines de milliards de vues et leurs chiffres éclipsent ceux des Beyoncé et Travis Scott de ce monde. Malgré l’indéniable collaboration de la communauté latine lors de la naissance du rap dans le Bronx et le Spanish Harlem à la fin des années 70 ainsi que les contributions d’artistes comme Fat Joe, Big Pun et Cypress Hill, il semble que la communauté latino ait souvent été placée en marge de la culture hip-hop.

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Ceci explique pourquoi les OGs comme Farruko et Arcangel n’ont pas été trop remarqués lorsqu’ils ont pris un virage trap en 2015. Malgré leur succès, le monde avait les yeux rivés sur Migos et le retour de Gucci Mane. Toutefois, l’impact planétaire de Despacito a permis au style de musica urbana (qui regroupe le reggeaton, le dembow et le trap latino) de se creuser un nid dans les radios nord-américaines. Si au début le public québécois n’avait qu’en tête Gasolina de Daddy Yankee, Mi Gente de J Balvin s’est taillé progressivement une place de choix dans les programmations de Rouge FM et CKOI.

Les gros hits

Le premier succès crossover de trap latino est surement Krippy Kush de Farruko, une chanson avec un énorme beat et un featuring mémorable de Bad Bunny, un jeune rappeur portoricain qui dominait le genre. L’amour du weed étant un sujet universel, un remix avec Travis Scott et Nicki Minaj a vu rapidement le jour et s’est placé aisément dans le Billboard top 100.

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Pourtant, le jeune rappeur sapé de streetwear au style unique ne faisait que commencer. Au cours de l’année qui a suivi, Bad Bunny a enchainé les hits à coup de milliards de visionnements et le trap latino a commencé à inonder le monde de la musique urbaine latine, prenant la place qu’occupait précédemment le reggaeton.

On a vu des rappeurs aux cheveux colorés (Lary Over), adeptes de lean (Jon Z) et OG aguerris (Mickey Woodz) enregistrer des albums dans les métropoles dominicaines et colombiennes. Des anciens comme Cosculuella et Anuel AA profitaient aussi de controverses du rap (beef entre rappeurs et sorties de prison) pour grimper sur les charts et rétablir leur profil. Le trap latino a aussi permis à des rappeuses et chanteuses (Karol G et Becky G) de mélanger pop et trap atteignant ainsi une autre part de marché.

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Les immenses collaborations

Tout est toujours plus gros en Amérique latine, autant les views que les salles de spectacles (le duo Wisin y Yandel a d’ailleurs battu le record de billets vendus en supplémentaire en dépassant 150 000). Cependant, la montée du trap latin est également explicable grâce à une tactique promotionnelle et créative propre au genre : le remix collaboratif. Bien sûr, les featuring font partie intégrante des albums rap depuis toujours et les albums de trap américains comptent souvent plus d’une dizaine de chansons avec des rappeurs invités.

Mais avec le trap latino, il y a plus d’une dizaine de MC sur une même chanson! On invite tout le monde, et son petit cousin, sur un remix. La technique permet de rassembler plusieurs fans de différents horizons et d’augmenter la diffusion de la chanson. Le meilleur exemple demeure le remix de la chanson Te Boté de Casper, Nio García et Darell qui a frôlé le 2 milliards de vue en un an, et a d’ailleurs éclipsé la version originale. Certaines de ces chansons reprennent également des standards de salsa ou de merengue indémodables. C’est pourquoi elles sont appréciées autant par les gamins que les grands-parents. Te Boté est jouée partout sans qu’on s’en lasse et est même devenue la soundtrack non officielle de plusieurs memes latinos.

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L’impact du trap latino dans la culture pop est devenue indéniable. Drake, habitué de collaborer avec l’artiste de l’heure, s’est retrouvé sur l’album classique 100xpre de Bad Bunny. Par contre, cette fois, c’est lui qui s’est transformé pour rapper dans la langue de Cervantes. Fait ironique : deux des plus grosses collaborations en trap latino sont venues d’artistes américains aux origines latines, mais qui ne font pas de musique en espagnol. I Like it de Cardi B avec J Balvin et Bad Bunny a été nommée pour un Grammy, tandis que Tekashi 69 a fait deux chansons avec Anuel AA sur son plus récent album.

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Drama musical

Parfois, le monde du trap latino ressemble à celui des telenovelas, un univers où se mélangent meurtres, amour et autres intrigues affectant les plus grosses étoiles de la scène. Le pretty boy pieux par excellence Ozuna (il joue dans une série Netflix et nomme la bible comme son essentiel) a été projeté dans la controverse à la suite du tragique assassinat du rappeur trans portoricain Kevin Fret. L’enquête a révélé que Kevin Fret était en possession de documents compromettants dont un VHS d’un film de porno gai auquel avait participé Ozuna (on le voit sur la couverture) alors qu’il était encore mineur.

Cette histoire saugrenue a malheureusement mené à des sorties homophobes de la part de Don Omar, une ancienne star du reggaeton, qui en a profité pour lancer des coups bas sur les médias sociaux. Toutefois, il a rapidement été remis à l’ordre par Bad Bunny. Effectivement, si le machismo est une partie malheureusement intégrante de l’évolution de la musique caribéenne, que ce soit par le reggaeton ou le dancehall, il semble que le trap latino a eu un impact considérable sur l’ouverture d’esprit d’une génération entière envers la cause LGBTQI+. Un peu comme Young Thug qui avait généré une controverse en portant une robe sur la couverture de son album JEFFERY ou Bad Bunny qui a fait exploser la twittersphère lorsqu’un salon de beauté de Madrid a refusé de lui peindre les ongles, car il était un homme.

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Avec leurs sorties publiques, leur style personnel et leurs clips, les stars du trap latino comme Bad Bunny et J Balvin envoient un message de tolérance qui est absorbé par leurs millions de fans.

Monte Real

Alors qu’en est-il de la musica urbana au Québec? La présence de la communauté latine s’est toujours fait sentir sur les ondes des radios communautaires comme CISM et CIBL et des artistes dont Boogat, Cotola et Sonido Pesao ont pris le flambeau de rappeur, comme le pionnier Chavin, un des premiers rappeurs latinos du Québec.

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Aujourd’hui, une nouvelle génération d’artistes prend la relève et amène un son trap sur les scènes montréalaises. La force de la scène locale réside surtout dans des producers qui travaillent avec les plus grosses stars de Puerto Rico, République Dominicaine et Colombie : AC (Shakira), Realmind (Becky G) et Los Audiokimicos (Xavi the Destroyer) sont des ambassadeurs de la qualité des beats montréalais dans la communauté latine mondiale.

Que ce soit ici ou ailleurs, la scène urbana est en pleine effervescence. Si le trap a réussi son crossover pop en Amérique latine, c’est maintenant au tour du trap latino de prendre le contrôle à l’internationale. Alors, son influence ne pourra plus être ignorée.

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