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C’est la rentrée

Par
Kéven Breton
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Je me suis rappelé qu’au primaire on appelait ça des «étapes», et non pas des «sessions». J’ai trouvé ça logique. Parce que par définition, des étapes, ça ne se saute pas, mais des sessions ça s’abandonne.

Au début de chaque étape, l’instituteur demandait à ses élèves d’écrire son nom sur un bout de carton plastifié et de le coller sur le devant de son pupitre. Mais moi la prof connaissait déjà mon nom. Parce que j’étais un cas spécial.

J’avais donc aussi une attention spéciale. Un horaire spécial. Un pupitre spécial. Tous les autres écoliers devaient se contenter du legs de leurs prédécesseurs, un vieux meuble qui grince quand on l’éventre pour aller chercher son livre de math.

Mais pas moi. Moi j’avais droit à un tout neuf, construit sur mesure. Il était «plus ergonome», selon mon éducatrice spécialisée. C’était pour «faciliter mes déplacements» et «accommoder mon fauteuil roulant». Mais ça me faisait juste ben chier.

Parce que quand j’arrivais dans une nouvelle classe, j’avais juste envie de me fondre dans la masse. Alors que plusieurs cherchaient à se faire remarquer, moi, je préférais ben plus être de la majorité invisible que de la minorité visible. Mais comme je l’ai déjà expliqué, j’ai un signe ostentatoire qui m’en empêche.

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C’est une très touchante campagne publicitaire qui m’a rappelée tous ces souvenirs. Dans celle-ci, la mère d’une enfant autiste se désole de voir que les publicités back to school!!! de l’école de sa fille soient si peu inclusives. Elles montrent peut-être des «représentants» de minorités ethniques, mais ignorent tous ces jeunes avec un handicap, comme sa petite fille atteinte de la Trisomie 21. Et comme tous ces «un enfant sur dix» qui présente une déficience physique ou intellectuelle. Mais cette fraction, on ne la voit pas. Parce qu’on a encore la fâcheuse habitude de la stationner dans la même classe, «à l’abri» de tous maux.

Ainsi donc, la mère trouvait ça dur de donner à sa fille, le goût d’aller à l’école. Elle qui ne se reconnaissait dans aucun portrait dépeint. Je ressens.

Ça m’a rappelé mes valses d’hésitations angoissées dans le vent un peu frette de fin août. Celui qui siffle comme un air qu’on reconnait soudainement. Celui du retour à l’école. Ces avant-midi entre les rayons du magasin de fournitures scolaires. À me dire que, finalement, le choix de mes duo-tangs était effectivement bien accessoires. Qu’ils n’auraient aucune influence sur la perception que les autres auraient de moi. Qu’on me jugerait anyway sur mon moi apparent et pas sur la couleur de mes pochettes où mon nom est barbouillé en lettres attachées approximatives.

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Je me suis souvenu comment mon «intégration» s’est faite en milieu scolaire. Parce que l’institution priorisait effectivement une approche «d’intégration» et non pas «d’inclusion». Si vous vous imaginez que ce sont des termes interchangeables et synonymes, voilà un tableau qui démontre bien que non :

L’intégration, c’est tailler (un peu par obligation) une petite place isolée dans un environnement. Un lieu avec des parcours dédiés, en périphérie, avec des délimitations, des spéciaux, des exceptions et des à-part.

C’est un peu comme ceux qui confondent «adapté» et «accessible». «Adapter» une récréation, c’est permettre à la personne handicapée de s’amuser à Connect-Four dans la classe quand les autres kids jouent au soccer. Rendre une récré ou une sortie «accessible», c’est quand la personne vit la même chose que ses amis écoliers, avec le moins d’égard possible à ses limitations (j’haïssais les sortis de fin d’année à l’Amazoo).

Tentative de publicité back to school inclusive. Constat : IMPOSSIBLE de tenir un sac-à-dos en fauteuil roulant et d’avoir l’air cool.
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C’était pas vraiment mieux au secondaire. Ce vaste milieu de liberté où tous s’épanouissent. Nope, on me laissait pas d’autonomie. J’étais pas apte. J’avais BESOIN d’assistance.

La direction avait tranché qu’il était mieux pour la personne que j’étais d’avoir une heure précise à laquelle je devais me rendre aux toilettes.

Oui-oui. J’étais pas en mesure de choisir quand je sortais de la classe pour aller faire pipi. Ou si je pouvais y aller à la récré. C’était mieux si je suivais un horaire. « Parce qu’on a déjà eu un élève en fauteuil roulant, y’a cinq ans, pis c’était de même. » Fait que à midi quarante-cinq, sur l’heure du dîner, une éducatrice venait me chercher devant mes amis pour me mener à la toilette des filles – la seule accessible de l’école (!!)

Freud serait assurément d’avis que ça a fucké ben raide l’ado en moi.

Illustré ci-haut : joufflu confus aux lunettes rondes (qui se teignait par ailleurs les cheveux)
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C’est effectivement là que j’ai commencé à connaître mes passes de rebelles; à me chercher. Parce que j’étais autant en crise d’identité qu’une tomate.

Quand tous mes chums se sont mis à jouer au foot, avec les Dragons, je me cherchais un peu. C’est là que je me suis mis à écouter du Mudvayne.

QUE CELUI QUI N’A JAMAIS EU DE PHASE NÜ-METAL ME JETTE LA PREMIÈRE PIERRE.

Ça marchait pas vraiment. Ce qui a fait en sorte que, au secondaire, je passais plus mon temps sur les forums de jeuxvideo.com que dans les party.

Ouain, j’haïssais ça l’école. Le système, malgré ces beaux efforts, m’allait pas du tout. Mais ça, c’était au tournant des années 2000. J’imagine qu’il est plus inclusif, maintenant.

Rassurez-moi.

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Photos : Raphaël Bégin-Leclerc (sauf l’avant-dernière, elle je l’ai prise avec une Microsoft-EyeCam-2000)