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C’est la première fois que mon temps des Fêtes sera plus gris

Par
Alexandre Forest
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J’ai une amie qui est morte. Juste avant Noël. Je sais que c’est un peu dur de commencer comme ça, mais c’est comme ça que je l’ai appris. Dur de même. J’ai pas l’impression non plus qu’il y a une façon douce d’apprendre la mort de quelqu’un.

Ce texte-là va être plus pour moi que pour vous. Ce ne sera pas un hommage pour la personne non plus. Son hommage ne vous concerne pas vraiment, sans compter que sa famille et les amis, on s’en occupe un peu à tous les jours. J’ai simplement besoin d’en parler un peu.

C’était une amie. Je la voyais moins qu’avant. On avait moins de points en commun depuis l’âge adulte, mais c’était tout de même une amie. Elle m’appelait son frère. J’ai toujours trouvé ça un peu quétaine, mais, maintenant, je la comprends un peu plus.

C’est la première fois qu’un de mes proches meurt. J’ai déjà eu des animaux de compagnies qui sont morts, mais, croyez-le ou non, c’est pas du tout comme quand Grisou ou Caramel sont décédés.

C’est la première fois que j’ai dû me rendre à l’église de mon doux village de Sainte-Mélanie pour autre chose qu’une belle occasion. J’ai passé beaucoup de temps dans l’église de Sainte-Mélanie. Dans un village, l’église est l’endroit où on se voit. On pourrait bien se voir à la salle communautaire, mais, dans l’église, personne ose être impoli alors c’est là qu’on va. Je ne suis plus catholique, mais j’aime encore voir cette église-là. J’y suis souvent allé pour voir ma mère chanter (ma mère, une diva de St-Cyrille-de-Wendover qui s’est installée à Sainte-Mélanie pour offrir ses doux chants aux Mélaniens). J’allais la voir chanter ou diriger la chorale. J’ai même fait mes premiers pas sur scène dans cette église en interprétant l’ange Gabriel à la messe de sept heures. C’était le 24 décembre 2004 (selon mes souvenirs, j’ai fait un véritable tabac. Toujours surpris de pas avoir reçu un Gémeau pour ça).

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C’est la première fois que je voyais autant de gens à l’église. Considérant la vie qu’a menée mon amie, c’était quelque chose à quoi je m’attendais. Elle aimait tout le monde et tout le monde l’aimait. Tout le village a voulu lui rendre un dernier hommage. On se connaissait tous dans l’église. C’est pas gros Saint-Mélanie, mais réuni ensemble c’est quand même impressionnant. Il y a juste le curé qu’on ne connaissait pas. Heureusement, car il était très mauvais. Je n’aurais pas aimé le revoir au jour de l’an.

Je pense avoir passé 95% du temps aux funérailles à faire des jokes de mononcles. À m’imaginer qu’une personne lâche une flatulence pendant la minute de silence.

C’est la première fois que je ressens cette espèce d’incompréhension de la mort, en dedans. C’est facile sur le plan rationnel de comprendre qu’elle est plus là. Sur la plan émotionnel, il y a un décalage. L’âme de quelqu’un, sa personnalité, c’est pas quelque chose qui est tangible. C’est difficile à saisir que ça a disparu. Sans compter que, j’ai beau avoir plusieurs années de psychothérapie derrière la cravate, j’ai toujours un peu de difficulté à gérer mes émotions. Je suis du genre à faire de l’évitement quand vient le temps de vivre des émotions “pas l’fun”. Je pense avoir passé 95% du temps aux funérailles à faire des jokes de mononcles. À m’imaginer qu’une personne lâche une flatulence pendant la minute de silence. Quand la messe a fini, j’ai regardé mon frère en lui demandant : “Coudonc, y’a-tu quelqu’un de mort?”. Ça rend la chose plus ordinaire. Ça m’a convaincu un instant que ça me touchait moins. J’ai réalisé l’impact de l’événement quand j’ai fait l’heure de route pour retourner à Montréal.

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C’est la première fois que j’ai vu autant de gens vivre la même chose en même temps. On était tous tristes d’avoir perdu une amie. On était tous là pour se soutenir. On a tous trouvé le curé nul à chier (sérieusement, il faut en parler. Il avait pas l’air de faire la différence entre des funérailles et la météo. Je n’aurais pas été surpris d’apprendre qu’il a préparé la cérémonie entre deux épisodes d’Histoire de filles en abusant un peu du vin de messe.)

Comme j’ai dit tantôt, je fais de l’évitement quand surgissent des émotions « pas l’fun ». Ce texte-là fait pas exception. J’ai parlé un peu de tout, sauf d’avoir perdu une amie. J’ai de la difficulté à identifier les malheurs et d’aller les voir. Surtout d’aller les voir. Le jour des funérailles, j’avais envie de rester chez moi et je m’étais convaincu que j’avais pas d’affaire là. J’y suis quand même allé. J’ai compris pourquoi j’y étais quand j’ai vu les parents de mon amie. Mes deuxièmes parents. Jamais je leur ai parlé de mes sentiments ou de mes angoisses. Nos conversations ont toujours été plus en surface. De les voir et de les prendre dans mes bras m’a fait réaliser que le lien qui nous unit n’est pas, lui, en surface. Sans dire un mot, de se regarder et de vivre l’émotion ensemble était probablement la chose la plus aidante dans cette situation-là. C’est triste que ça ait pris la mort d’une proche pour réaliser ça, mais les gens autour de moi sont là pour moi et je suis là pour eux. Ça m’a pris tout ce texte pour être capable de le dire, mais c’est la première fois que je vais vous le dira: Nathalie, Daniel, je vous aime.

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Ça fait du bien de voir que les gens qu’on aime font plus qu’être là, même quand c’est tout ce qu’ils font.

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