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C’est encore difficile de prononcer le mot « suicide » quand ça compte vraiment
« C’est vraiment difficile de demander à quelqu’un s’il ou elle a des idées suicidaires », me dit ma conjointe, fraîchement sortie d’une formation de sept heures sur le sujet.
Pour illustrer son propos, elle m’explique avoir participé à une mise en situation où elle devait demander à une collègue si elle avait des idées suicidaires. La collègue en question (qui n’a pas d’idées suicidaires du tout dans la vraie vie) avait comme mission de jouer la personne avec des idées noires. Non seulement ça a pris tout son petit change à ma bien-aimée pour poser la maudite question, mais sa collègue n’a même pas été capable de répondre par l’affirmative.
« Sarah, as-tu… heu, t’sais, des idées suicidaires? »
Sarah grimace, hésite longtemps pour finalement répondre « Mmmm… non? J’pense pas, en tout cas. »
J’ai été abasourdi par l’anecdote. Si deux personnes articulées en bonne santé mentale ont de la difficulté à aborder le sujet dans une situation fictive, imaginez comment ça doit être difficile lorsqu’on doit poser la question à quelqu’un véritablement en détresse.
Étant anxieux de nature (comme tout le monde de ma génération), le film de ma propre incapacité à aider un.e hypothétique ami.e ayant des idées suicidaires s’est immédiatement mis à jouer dans ma tête. Je suis donc allé consulter un expert pour essayer de comprendre pourquoi c’est si difficile et surtout, comment être utile dans ce genre de situation.
En parler sans en parler
« Ton histoire ne me surprend pas totalement », affirme d’entrée de jeu Jonathan MacArthur, superviseur clinique des services d’intervention chez Suicide Action Montréal. « Malgré les efforts pour briser les tabous, ça demeure un sujet difficile à aborder. On reçoit beaucoup d’appels de personnes qui ont les mêmes inquiétudes. Des gens qui veulent soutenir un proche en détresse, mais qui ne savent pas comment. »
Jonathan m’explique que si c’est encore aussi difficile de parler de suicide en 2022, c’est qu’il n’existe pas de signaux d’alarme universels qui s’appliquent systématiquement à chaque cas. Les proches se mettent beaucoup de pression sur les épaules pour trouver les mots exacts, mais il n’y a pas de méthode d’intervention parfaite.
«Malgré les efforts pour briser les tabous, ça demeure un sujet difficile à aborder.»
Il y a cependant une limite à ce qu’une personne qui n’est pas professionnellement formée peut faire. « Il y a d’autres manières de venir en aide sans se mettre toute cette pression si on se sent capable de le faire, indique Jonathan. Par exemple, s’intéresser à la personne en détresse. L’inviter à faire une activité. Si on est le moindrement proche, on peut aussi l’aider avec ses tâches ménagères ou l’assister dans ses démarches pour trouver de l’aide. Passer des coups de fil. Prendre de l’information. Des choses du genre. L’idée étant de faire comprendre à la personne que sa vie a de la valeur pour vous. »
Une personne en détresse aura souvent beaucoup de difficulté à s’affirmer et à s’exprimer sur le sujet, alors c’est important de faire preuve d’accueil et d’ouverture. Que la personne ait des idées suicidaires ou soit simplement dans une mauvaise passe, il y a une limite à ce qu’on peut faire. Quand la vie de quelqu’un devient trop lourde, on peut s’impliquer et l’aider à la vivre pendant un moment.
On souhaite que votre ami.e en détresse s’ouvrira alors à vous, mais si ça ne fonctionne pas, vous n’êtes pas à bout de solutions.
Quand dois-je sonner l’alarme?
C’est très noble de vouloir apporter son soutien à un.e proche en détresse, mais qu’est-ce qu’on fait quand on a le pressentiment que le pire pourrait se produire? C’est quand, le bon moment pour poser LA question difficile?
Selon Jonathan, ce n’est pas nécessairement à nous de faire ça.
«il ne faut pas se mettre toute la pression sur les épaules. Il y a des services pour venir en aide aux gens avec des idées suicidaires.»
« Si on pense qu’un proche souhaite s’enlever la vie de façon imminente, il faut appeler le 911 », m’explique-t-il en choisissant bien chacun de ses mots. « Les policiers et les services de secours vont évaluer l’urgence de la situation et agir en conséquence. Ils sont formés pour ça. Quand on est pas certain, on peut référer la personne au centre de prévention du suicide. Je le répète, il ne faut pas se mettre toute la pression sur les épaules. Il y a des services pour venir en aide aux gens avec des idées suicidaires. On en est un. »
Même chose si la personne pour laquelle on s’inquiète nous en parle ouvertement. Jonathan m’explique qu’il persiste encore aujourd’hui un mythe selon lequel les personnes qui parlent de suicide ne passeront pas à l’acte, qu’elles font ça pour avoir de l’attention. C’est là une idée extrêmement dangereuse.
Si la personne ne veut pas s’entretenir directement au téléphone avec quelqu’un , Suicide Action a implémenté depuis quelques années un outil de clavardage pour offrir un point de contact différent. Pour certaines personnes, c’est plus facile de s’exprimer par écrit.
Jonathan me raconte que les interventions sont en hausse chez Suicide Action Montréal depuis 2018. « Dans la dernière année seulement, on a eu une augmentation d’environ 24 % », me dit-il.
La pandémie et l’isolement ont assurément joué un rôle dans cette hausse, mais celle-ci pourrait aussi être reliée au fait que les gens sont de plus en plus à l’aise de parler de leur détresse et d’aller chercher de l’aide.
Jonathan voit d’ailleurs le futur d’un bon œil. « J’ose croire qu’on a progressé. Regarde juste le partenariat avec la STM. On affiche dans le métro et en échange, on forme leur personnel. On rejoint de plus en plus de gens. Le dialogue s’ouvre de plus en plus, même si ce n’est pas toujours directement. »
L’important dans cette histoire, c’est de comprendre que vous n’êtes pas seul.e. Si vous avez des idées noires ou si vous vous inquiétez pour un.e proche, il existe des services pour ça. Si vous vous sentez concerné.e par cet article, votre premier pas est d’appeler au 1 866 APPELLE (277-3553) pour aller chercher de l’aide.