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Ces agences qui vont au bat pour les drags
« Si des paillettes te font chier, j’ai de la peine pour toi. »
C’est ce que Christine Blais répond à quiconque est d’avis que les drag queens prennent actuellement trop d’espace dans notre star-système local.
Il est vrai que les drags semblent prendre d’assaut nos écrans, en marge des succès de Rita Baga à la Canada’s Drag Race et à Big Brother Célébrités, en plus de l’annonce de son émission La drag en moi prévue cette année sur la plateforme Crave.
Outre Rita Baga, il y a Barbada, qui anime des lectures de contes pour enfants (malgré une certaine résistance) et fait des apparitions à l’émission Bonsoir Bonsoir, sans oublier Mona de Grenoble, qui tire son épingle du jeu en humour.
Si Christine Blais n’hésite pas à aller au bat pour défendre cette communauté, c’est qu’elle vient de fonder l’Agence IEL, une agence consacrée au artistes drag ou à ceux et celles qui partagent ses valeurs d’inclusion. « T’es pas obligé de fitter dans le thème tant que tu fittes dans la famille, que t’es ouvert et que tu ne juges pas. Mais c’est sûr que je ne vais pas représenter un humoriste blanc hétéro qui dit que sa blonde est folle », pastiche la gérante de 33 ans, qui m’accueille dans les locaux qu’elle partage depuis peu avec Julie Lacroix de l’agence Midi-Huit au complexe du 5000 Iberville, qui abrite des bureaux, lofts, manufactures et même plusieurs entrepôts appartenant au SPVM.
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« On est toutes les deux de petites agences, alors en cas de doute, c’est bien de se valider ensemble. En plus, nos artistes sont complètement différents, alors il n’y a pas de compétition », souligne Christine, louangeant au passage sa partenaire de coworking Julie, qui représente quelques humoristes, dont Phil Roy.
C’est d’ailleurs sur le plateau de l’émission Qui sait chanter? (Noovo), animée par Phil Roy, que Christine, qui accompagnait Rita Baga (alors membre du jury), a rencontré Julie.
Un coup de foudre professionnel plus tard, les deux femmes s’entassent dans un loft transformé en bureaux, celui de Julie au rez-de-chaussée, celui de Christine perché à l’étage, près d’un studio pour enregistrer des balados.
Pour Christine Blais, tout part de l’émission Les hauts et les bas de Sophie Paquin, pendant ses études en communication.
« Ça m’a intéressée au métier de gérance artistique. Il y a un côté business, mais avec des humains. Bref, je vends des humains, mais avec des talents », résume cette passionnée de culture québécoise, qui travaillait auparavant pour l’agence RBL, où elle gérait des dizaines de comédien.ne.s. « J’adorais ça, mais le côté humain n’était pas assouvi. Avec des acteurs et actrices, je ne pouvais pas prendre le temps d’accompagner la clientèle sur les plateaux, ce que j’aime faire. »
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C’est dans ce contexte qu’elle décide de fonder son agence à plus petite échelle – à échelle humaine en fait. « J’ai toujours trippé sur les drags. Dès mon arrivée à Montréal, j’ai commencé à traîner chez Mado. C’est un art qui m’impressionne beaucoup et qui englobe plusieurs formes artistiques », raconte Christine.
Elle écoutait même les premières saisons de RuPaul’s Drag Race avec des drags d’ici dans leurs appartements.
En voyant ce succès télévisuel migrer vers les plateformes comme Netflix et Crave, Christine Blais a compris que le phénomène frapperait aussi le Québec. Et qui de mieux que Rita Baga pour le porter, s’est-elle dit, en proposant à l’artiste de la prendre comme gérante. « On s’est dit : qu’est-ce qu’on peut faire maintenant pour sortir du Village? », rapporte Christine, qui a représenté Rita Biga durant trois ans, avant de voir leur chemin se séparer il y a à peine un mois.
Mais quel chemin elles ont parcouru ensemble! Le passage remarqué de Rita Baga à Big Brother Célébrités a largement contribué à propulser la culture drag québécoise sous les feux de la rampe.
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Malgré le départ de la prolifique Rita Baga, la gérante a signé les premières artistes de son écurie, soit l’humoriste Gabrielle Caron, la cocréatrice et animatrice du Womansplaining Show Anne-Sarah Charbonneau, l’autrice humoristique Virginie Chauvette (Rita Baga, Mona de Grenoble) et Mona de Grenoble en personne, une humoriste qui a le vent dans les voiles. « Je savais qu’elle avait tout pété à l’émission Le prochain stand-up et qu’elle était appelée par de grosses boîtes. Je me suis dit : c’est pas vrai qu’une drag va signer ailleurs », raconte en riant Christine, qui représente l’artiste depuis.
La gérante estime qu’il faut bien connaître le milieu des drags pour aspirer à le représenter. « La plupart des gens qui veulent les engager ne savent pas ce que ça implique, il y a beaucoup d’éducation à faire. Je vais chercher les meilleures conditions possibles, parce que leurs cachets dans le Village sont ridicules », assure Christine.
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Sans rien enlever au mythique cabaret Mado et au prestige d’y grimper sur scène, les drags n’y touchent qu’un maigre cachet. « Elles doivent traîner plusieurs kits, se déplacer, se maquiller, bref, elles payent pour aller travailler », résume Christine.
Les gens sous-estiment grandement l’étape de la transformation, enchaîne la gérante. « C’est 90 minutes juste le maquillage et les artistes font leur propre CCM (coiffure/costume/maquillage). C’est tellement de dépenses juste pour un “wow” en arrivant sur scène », illustre-t-elle.
Pour l’heure, Christine Blais se lance dans la mêlée avec confiance, flanquée de sa petite famille artistique à elle. « Barbada m’a aussi approchée dans les dernières semaines et je suis vraiment contente d’amorcer une collaboration avec elle », souligne Christine.
Elle souhaite surtout faire profiter ses artistes de l’effervescence ambiante concernant les drags, qu’on s’arrache un peu partout actuellement. « Big Brother a vraiment aidé et la société est de plus en plus ouverte. On sent une curiosité, même de la part des plus âgés. Les spectacles sont de plus en plus accessibles. Mona au Zoofest, par exemple, est celle qui a vendu le plus de billets et le plus rapidement », affirme Christine, qui sent aussi un fort attrait en région.
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« On a présenté un show en Abitibi-Témiscaminque avec trois drags de Montréal (dont Mona) et deux locales et c’était sold out. On a demandé qui parmi le public voyait des drags pour la première fois et 75 % des gens ont levé la main. Quinze minutes plus tard, tout le monde était debout », souligne Christine, encore émue de ce père venu voir son fils se produire en drag pour la première fois. « Il est monté sur scène après et a dit fièrement : “Moi, je veux une photo avec mon gars!” »
Elle croit enfin que les drags – au-delà du buzz – sont là pour rester, n’en déplaise à ceux et celles qui font déjà une surdose de paillettes et de glitters. « C’est un art qui existe depuis toujours, mais qui manquait de visibilité. Notre télé est tellement beige, est-ce qu’on peut ajouter un peu de sparkle? », résume-t-elle.
Première agence 100 % drags
Signe d’un air du temps, une autre boîte vient de se lancer en affaires, claironnant être « la première agence de drags au Québec ».
Les productions Midor représentent une dizaine de drags, proposant également leurs services pour vos évènements.
Son cofondateur Michel Dorion (avec son partenaire Jean-Sébastien Boudreault) est également drag depuis près de 35 ans, après avoir amorcé sa carrière à 18 ans grâce à un concours amateur organisé par le défunt Cabaret l’Entre-Peau.
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« J’y pensais depuis plusieurs années, à une façon d’aider les drags à avoir de meilleures conditions de travail », souligne Michel, qui est également copropriétaire du bar Le Cocktail.
En pause forcée à cause de la pandémie, Michel a décidé de mettre son projet en branle. « Je constatais souvent que les artistes avaient du mal à négocier des choses, même une bouteille d’eau dans leur loge, et qu’elles se contentaient juste de pouvoir travailler en n’osant rien demander », raconte Michel, qui a finalement lancé son agence en avril dernier.
Il a d’emblée été pris par surprise par la réception. « Je pensais que ça commencerait lentement, mais on a beaucoup de contrats dans des campings, du corpo et même pour du coaching d’acteurs », énumère Michel Dorion, qui concocte aussi des événements en agissant à titre de boîte de production.
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Le circuit des bars est le seul endroit où l’agence refuse de travailler, pour ne prendre aucun pourcentage des maigres revenus des drags.
Comme vétéran dans le milieu drag, Michel Dorion ne pense pas que le buzz entourant cette forme artistique s’essoufflera de sitôt. « Ça a toujours marché, mais maintenant, c’est grand public et les médias parlent de nous », constate-t-il.
Seul l’avenir nous dira maintenant si les drags sont là pour rester. En attendant, ne boudons pas notre plaisir de voir l’art se décoincer un peu.