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À la manière d’Expo 67, le Carrefour Langelier fait rayonner un Montréal inclusif et (presque) moderne grâce à ses gracieux pavillons internationaux transformés en magasin de cossins multiethniques. Visite guidée et photo-roman saisissant de cette forteresse commerciale de l’est de l’île.
À l’entrée, un homme au pas décidé sort d’une Civic blanche. «Manque pas ta shot man !» lui adresse son comparse au volant. Plus primé que jamais, l’envoyé spécial ouvre la porte principale avec une assurance imperturbable, comme s’il allait commettre un acte répréhensible. Une chose est certaine : il n’est pas venu au Carrefour Langelier pour flâner, contrairement à cet homme complètement détruit par la vie.
La tension monte jusqu’à sa destination, la boutique Tapage, repaire ultime de linge adulescent et de snapbacks à 30 piasses. «Esti, tu m’croiras pas», lance-t-il au caissier, saisissant au passage une paire de shorts beiges dernier cri 2009. «J’ai passé la moppe en épais pis je me suis renversé de l’eau de javel dessus.»
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Au Carrefour, ce genre de proximité franche et sans détour entre le commerçant et le client est chose commune. Les gens s’y retrouvent pour se parler dans leur langue d’origine et, parfois, pour acheter. C’est particulièrement le cas dans les mini boutiques comme la Cordonnerie Langelier. «Dans le temps, les portes de chez nous étaient même pas barrées», raconte à la caissière un vieil homme à moitié assis en dehors du magasin. «À c’t’heure, c’est rendu que j’ai peur de m’faire voler le logement ! Sincèrement, je sais pu où on s’en va…»
Juste à côté, le vendeur du gracieux Meubles Idées Flash tente de vendre à une madame la chaise sur laquelle elle est assise depuis un bon 30 minutes. «J’suis pas encore certaine», dit-elle, inerte. Pourtant, c’est «beau, bon, pas cher», comme nous le rappelle si justement le slogan original.
L’apparat de surface est une tendance lourde au Carrefour. Dans le genre, la devanture outrancière du Frissoni a le mérite d’exister.
Si c’est marqué dans la fenêtre que c’est élégant et qu’en plus ça flashe en trois couleurs toute la journée, ça doit être vrai.
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Ce cinéma a bien saisi la mode actuelle : remplacer les «s» par des «z».
Côté magnificence, le « magasin de cadeaux » asiatique Vase Caravan est, de loin, le plus éblouissant. On peut y trouver des lumières, des bougies, des fausses fleurs, des ramen et, surtout, un bureau Western Union – pour ceux qui aimeraient envoyer de l’argent à un héritier congolais.
En plus, c’est également le magasin le plus poli de tout le centre d’achats.
Suivi de très près par le kiosque Tarot Diane Côté, une voyante hors pair qui nous salue constamment.
Malheureusement, tous les commerçants n’ont pas la même rigueur courtoise. Le Carrefour abrite en son centre le magasin Ardene le plus délabré de tous les temps, comme s’il peinait à se remettre d’un violent bumrush d’adolescentes en journée pédagogique.
Un magasin qui tutoie ses clients : «Sincèrement, je sais pu où on s’en va…»
Impossible de parler du Carrefour Langelier sans mentionner le Wal-Mart, qui s’étend sur près de la moitié de la superficie totale. Ici, on perd facilement patience face à l’immensité du magasin. «Trouve ton esti de pâte à dents à marde qu’on s’en aille», signale avec finesse une mère exaspérée à son enfant.
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Ce qui frappe le plus, c’est la rencontre culturelle, le point de ralliement multiethnique tacite. Compartimentées/segmentées à la grandeur du Carrefour, les communautés se côtoient ultimement au Wal-Mart parce que – c’est bien connu – les bas prix, ça n’a pas de frontières.