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Cent minutes de solitude

Avec un pincement au cœur, ciao la Colombie.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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On s’apprête à quitter la Colombie après presque un mois de coups de cœur en série et mon fils vient de fêter ses quinze ans à Carthagène, engraissant au passage chez moi cette impression d’être un vieillard périmé se grattant la tête devant un nouveau modèle de guichet automatique.

Voilà qui résume en gros les dernières semaines.

Non, pas de panique, inutile de lancer des objets en beuglant « NO ME GUSTA » avec des larmes de mangas, je vais derechef mettre de la chair après l’os de ce récit de voyage palpitant.

Mais de grâce, ne criez pas trop fort.

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Je combats un léger mal de bloc, gracieuseté d’une soirée à refaire le monde sur la terrasse de notre Airbnb autour d’une bouteille d’aguardiente, le poison local.

Qui sommes-nous? Quelle est notre place dans l’univers? Est-ce que Hugh Grant s’est comporté en douchebag ou les questions de la fille étaient juste nounounes?

Ma blonde et moi avons minutieusement répondu à toutes ces questions en écoutant une playlist de Patti Smith, au point de nous coucher plus tard que les enfants (pour une fois).

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Parce qu’ils vieillissent, les petits maudits, et vite à part ça. La preuve; les quinze ans de mon gars à Cartagena.

Aparté : tout est muy perfecto en Colombie et c’est compréhensible si tout le monde s’y garroche cet été comme si c’était le Portugal en 2022. La dernière fois, on vivait la dolce vita à Salento, mignonne bourgade à l’ombre des palmiers géants de Cocora, avec ses jolies maisons coloniales colorées.

Ensuite, on a passé une semaine à Medellín avec le joyeux bordel des grosses villes foisonnantes, et là, on achève un séjour à Carthagène des Indes, un paradis terrestre niché en bordure des Caraïbes avec sa vieille ville fortifiée, ses plages, son marché labyrinthique de quatre kilomètres, ses amuseurs de rue, ses vendeurs de gogosses persistants et ses succulents fruits de mer.

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J’écris ces lignes dans un café de la vieille ville, seul pour la première fois depuis un mois.

À moi environ cent minutes de solitude!

La réputation gastronomique du coin a d’ailleurs attiré mon fils ici – un foodie – pour souligner son anniversaire autour d’un repas qui pète solide notre budget.

Son seul cadeau, s’est-il subtilement plaint, à part quoi… à part UN FUCKING VOYAGE DE SIX MOIS LOIN DE TA POLYVALENTE.

Bref, quinze ans, vous imaginez.

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Non, vous n’imaginez sûrement pas, vous, lectorat d’URBANIA qui achetez compulsivement des chiens au lieu de vous reproduire à cause de votre écoanxiété.

Au pire, rappelez-vous vos quinze ans, il n’y a pas si longtemps. Pour les autres, vous savez que c’est un âge du crisse, où l’enfant jusqu’alors colleux et dépendant affectif perd sa voix hélium et se met à muer des phrases commençant par « en vrai » ou « genre-euh ».

Un mur s’érige du jour au lendemain – en pleine nuit, peut-être – entre eux et nous, leurs parents soudainement quétaines et dépassés.

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Ils se trouvent cool en plus, ces morveux. Et ils trouvent le moyen d’avoir honte de nous sans rien avoir accompli de grandiose (même son lit est fait tout croche), alors que ses parents ont quand même SURVÉCU AU CANCER ET À LA GUERRE EN AFGHANISTAN (ainsi qu’à une table en vitre).

Bref, on les déteste et on les aime, souvent en même temps.

Mais comme c’était sa fête, nous avons décrété une trêve. Une belle soirée dans un resto chic comme une honnête famille américaine de l’après-guerre, portant nos seuls vêtements qui n’ont pas été achetés à l’Aubainerie.

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Même s’il est coincé avec nous, je le trouve quand même chanceux de souligner sa fête en voyage comme ça. C’est nettement plus exotique que mes quinze ans à moi, en tout cas, à Saint-Eustache avec Martin Cormier, le seul ami que j’avais dans ce temps-là.

Ma mère a dû me faire un spaghetti (mon repas préféré…) et on est sûrement descendu au sous-sol après pour jouer à Final Fantasy sur le Super NES. Les filles ne s’intéressaient pas à moi, un peu à cause de Dungeons & Dragons et beaucoup parce qu’elles préféraient mon grand frère cool qui écoutait The Cure ou Soundgarden. J’en écoutais aussi, mais j’avais une coupe champignon, donc ça s’annulait.

Par chance, la société a vraiment évolué trente ans plus tard. Pensez-y, à l’époque, Brendan Fraser cartonnait au cinéma, Jean Charest s’était lancé dans la course du Parti conservateur et La Petite vie était le talk of the town, alors qu’aujourd’hui on est vraiment ailleurs.

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C’est donc entremêlé de ces réflexions hautement philosophiques que je traverse les quinze ans de fiston.

« L’âge, c’est dans le cœur », vous entends-je plaider, avant d’aller publier une pensée de croissance personnelle en couverture de votre page Facebook.

C’est gentil, mais hélas, l’âge est de plus en plus aussi imprimé dans ma face burinée.

Mais bon, de beaux problèmes de privilégiés, tout ça.

(Re)subir les touristes

L’adolescence, à date, n’empêche pas de très beaux moments père-fils. À Medellín, par exemple, on s’est enrôlé ensemble au Pablo Escobar Tour, retraçant la vie du célèbre baron de la drogue.

Avec d’autres touristes, un guide nous trimballait dans sa fourgonnette à différents endroits marquants de la vie du narcotrafiquant : le site du Monaco, son ancienne forteresse, la prison qu’il s’est lui-même construite (une reconstitution), le cimetière où il est enterré avec toute sa famille et le quartier où il a grandi.

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Une visite franchement intéressante et instructive, mais pas autant que la série sur Netflix quand même.

Difficile de rester stoïque devant l’imposant mur commémoratif sur lequel ont été percés 43 800 impacts de balles, en hommage aux victimes liées à Pablo Escobar et à la guerre sanglante qu’il livrait au cartel de Cali.

Seul bémol de cette visite et des autres du genre qu’on empile jusqu’ici : renouer avec cette race de touristes nombrilistes qui m’horripilent tant et que j’avais fini par oublier comme une violente gastro.

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Ah non, ils ne me manquaient pas, mais on dirait qu’ils sont pires depuis l’Asie ou la pandémie (tout est relié).

Pas qu’on est intolérant pis toute, mais faudrait m’expliquer un jour cette estifie d’attitude de marde comme si la planète tournait autour de toi.

Pas capable de dire bonjour/merci dans la langue du pays hôte, de mettre un sourire dans ta face quand on te salue poliment (t’es en vacances, crisse, pas à la prison d’Azkaban), de ne pas rechigner sur la bouffe, la lenteur du service, la « prestation » (juste ce mot…) de la chambre, la pauvreté ambiante (ouache!), de t’empêcher de monopoliser une rue quinze minutes sans t’excuser pour une crisse de photo où tu veux donner l’impression d’être seul au monde ou de te mettre un t-shirt pour aller clubber comme si t’étais au Beachclub de Pointe-Calumet.

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Pas capable de réaliser que t’es juste là parce que t’es tombé du bon bord de la clôture, sinon tu vendrais toi aussi des mangues à une piasse à la sueur de ton front comme ce monsieur qui a l’âge de ton père et que tu toises avec dédain.

Théorie : on assiste peut-être au dark side de la démocratisation des voyages, à cette idée débile de vouloir uniformiser l’expérience partout pour ne pas trop dépayser le touriste.

Il y a vingt-cinq ans, les voyageurs étaient encore surtout des hippies avec des pantalons à zippers et des chapeaux en tissus de aki. Là, ils voyagent avec des valises à roulettes et traquent dans des autobus climatisés les plus beaux paysages pour leur compte Instagram, le tout sans perdre le confort de la maison.

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Mais je généralise bien sûr et je suis sûrement juste un estie de chialeux. Mon gars a raison finalement de me trouver boomer.

Et il ne faut pas mettre tous les touristes dans le même sac à dos. À Medellín, je garde en tête l’image de deux jeunes touristes en train de descendre par les escaliers un homme en fauteuil roulant pour l’aider à se rendre au métro. Une image d’espoir.

Parlant de fauteuil roulant, je ne souhaite de malheur à personne dans la vie, sauf au fils de Daniel Brière.

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Apprivoiser Simone (essayer)

Le temps file. Non, je ne parle pas beaucoup de ma fille, je sais. Ma belle Simone fait des efforts pour aimer son voyage. Si Victor a « pogné de quoi » lors du dernier trip, l’histoire d’amour avec la bohème est plus difficile avec Simone qui compte déjà les dodos jusqu’au retour, en août.

L’autre jour, ses yeux se sont illuminés en réalisant que ça faisait presque un mois déjà.

Nettement plus sociable que son frère, elle s’ennuie de ses amies, d’Amélie, de Tennessee, de Margot, d’Éléonore, de Ghita, d’Aurélie et cie, de l’école aussi, de ses grands-parents, de sa famille…

Elle essaye de ne pas trop se plaindre, mais des petits nuages de mélancolie traversent épisodiquement son beau visage couvert de freckles à cause du soleil.

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On espère l’avoir à l’usure, conscients qu’on l’arrache à la routine des enfants de son âge, celle qu’elle préfère avec des Fruits Loops le matin, dans le sofa.

Moi, égoïstement, je suis juste content de l’avoir tout court, puisqu’elle est toujours sur la galipote, à la maison (comme son père).

Oh, elle est lambine par contre, la petite crisse. Comme elle voyage un peu sur les talons, ça lui prend chaque jour plus de temps que celui calculé par l’ONU pour atteindre l’égalité homme/femme dans le monde pour se préparer avant de sortir.

Non, je ne pensais jamais employer les mots « va mettre tes souliers pis tes bas » aussi souvent dans une vie. Sans oublier le désormais classique : « Quoi?!? T’as même pas encore brossé tes dents osti?!? »

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Pour la convertir à notre secte, on la soudoie à coups de piscines et de plages, deux passions de Simone avec la crème glacée.

On a justement une plage drette en face de notre Airbnb. Un Wifi qui fonctionne bien est aussi un must. Les pannes sont fréquentes, cependant. On le comprend dès que nos enfants commencent à regarder mon cell avec une carte SIM avec la même face qu’Éric Lapointe devant un shooter de Goldschläger durant ses deux semaines de sobriété en 2011.

La saison du homard

Paraît sinon que vous avez un hiver de marde. Courage, le printemps approche. Ici, c’est vraiment… (pause) …pas évident avec cette chaleur accablante. Désolé pour la pause précédente, j’étais allé me remettre de la crème solaire. Sans farce, s’il y avait une image pour l’expression « bronzer en gigon », ça sera celle qui suivra.

TRAUMAVERTISSEMENT : l’homme sur la photo ci-bas n’a pas exactement la même shape que le loup-garou friendzoné dans le film Twilight.

Bobo.

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On mérite nos coups de soleil, faut dire. Coupable d’avoir refusé le parasol « hors de prix » (5 $) des vendeurs de la plage, en faisant nos frais de résister aux attrapes-touristes. En déposant nos serviettes directement sur le sable sous le gros soleil de 11 heures, on ne croyait pas qu’on ressemblerait à un spécial terre & mer du défunt Red Lobster quelques heures plus tard. On va faire mieux, promis.

Ce qu’on adore sur la plage, c’est les vendeurs de plein d’affaires qui trimballent leurs étals. Celui des melons d’eau, des mangues, des bijoux en bois, mais surtout, le dude des crevettes fraîches, un vrrrai régal (insérez la voix de Tony le Tigre).

Si j’étais riche, j’exporterais l’idée chez nous en créant une chaîne de kiosques ambulants de crevettes.

Je ferais fortune.

J’ai déjà le nom et le slogan en plus.

« Ceviche Guevara : la révolution dans ta bouche. »

Les vendeurs itinérants sur la plage sont aussi une belle occasion de pratiquer l’espagnol. On s’améliore, vraiment, au point de capter au loin des bribes de leurs conversations.

– ¡Finalmente es Patrick Lagacé quien reemplazará a Paul Arcand!

– ¿¡¿Qué ?!? ¿¡¿Otro blanco cisgénero de 50 años?!?

– Suerte que tienen a Nathalie Normandeau…

– Una oportunidad.

Bon, trêve de niaiseries, mon temps de solitude est écoulé.

Après un mois, je sens qu’on s’enlise dans le voyage, qu’on prend notre air d’aller. Martine fait tranquillement le deuil de ses élèves adorés, après un petit blues.

Les nouvelles du Québec ont l’air de plus en plus loin. La saison des sucres, la vidéo des filles qui n’ont pas payé leur facture de pizza, les histoires d’historiens, Amqui (terrible, vraiment)…

On se reparle dans quinze jours, nouvelle fréquence de chronique, si vous n’aviez pas remarqué. Toujours aussi radine, URBANIA a décidé de couper mon salaire, sans doute pour se payer une nouvelle machine innovante pour faire du matcha au bureau.

On part demain passer quelques jours dans la jungle près du parc Tayrona. Si on survit, on s’envole ensuite vers le Chili, notre prochaine destination.

Et comme ma connaissance de ce pays se limite à Alexandra Diaz, ça promet d’être un séjour riche de découvertes.

Hasta pronto.

PS : vous pouvez aussi me suivre sur Instagram et sur TikTok.