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Celles qui étanchent la soif de Montréal : Tu deviens restaurateur? Que Dieu te garde.

Portrait de Laurence Dufour, sommelière et propriétaire du feu Comptoir Charcuteries et Vins, qui commente la fermeture récente de l’établissement.

Par
Emily Campeau
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C’est avec un voile de nébulosité et d’incompréhension que nous apprenions la fermeture des portes du Comptoir Charcuteries et Vins il y a quelques semaines. Quelques semaines pour nous, gens de la restauration au courant de tout, confrérie oblige, mais la nouvelle ne s’est propagée que tout récemment publiquement. La rumeur disait dégât d’eau, le répondeur aussi, mais partout déjà, dans un murmure incertain, tous se demandaient si on devait prononcer le mot-qu’on-ne-doit-pas-prononcer : fai#$8te.

Un mot dur et cru, qui sèche la bouche comme des tannins rêches, un piaillement disgracieux qui annonce une fatalité. Une faillite. D’un restaurant célébré, qui s’est accroché une clientèle fidèle et festive au cours de ses 7 années d’existence. Un départ trop tôt arrivé, un de plus, de ces établissements qu’on aime et qui vivent, puis survivent, pour finir par nous quitter, comme un chapelet d’amants qui nous file entre les doigts.

Le Comptoir, ce fut 7 années d’allégresse et de cochons qui ont péri pour la cause des meilleures charcuteries en ville. Ce fut les bouchons des milliers de canons de vins natures et vivants, ouverts pour calmer la grande soif des gosiers secs et avides. Un lieu où on s’attablait derrière une cuisine précise et friande, servie par des gens allumés et sans prétention aucune, avec le désir seul de nourrir la bouche et l’esprit. Nombreux sont les gens que j’ai rencontré qui ont découvert «le vin» au Comptoir, qui ont eu la révélation de LA bouteille, celle qui change la perspective et nous transforme en chasseur de crus. Le Comptoir restera longtemps une des buvettes qui aura eu une influence considérable sur la démocratie du vin à Montréal, où un discours accessible et ludique rendait soudainement moins snob ce monde complexe qu’est le vin. «On sauve pas des vies, on boit juste.»

***

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Laurence Dufour, sommelière, propriétaire et chef d’orchestre de tout ce beau monde, se confie ici en toute candeur sur la fermeture de son restaurant bien-aimé. Sur la dureté du milieu. Et sur un deuil difficile à porter.

Difficile d’imaginer qu’un lieu aussi culte et pivot de la scène de Montréal ait fermé ses portes. À la lumière des événements récents, où en es-tu?

C’est encore tout récent, j’en suis à faire le deuil, à répondre aux questions, à recevoir beaucoup d’amour, à me redéfinir, parce que oui, dans une telle aventure on a tendance à s’oublier.

On aura eu la chance d’avoir quelques années de gloire, pour certains maintenant, c’est à peine quelques mois.

Beaucoup de gens furent surpris et attristés par la fermeture inopinée et secrète du Comptoir. Peux-tu nous expliquer votre choix d’avoir gardé ça dans l’ombre?

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Il y a quelques années, l’achalandage avait commencé à diminuer, on tentait de suivre le nouveau marché, mais voyant que pour d’autres c’était encore plus difficile, il ne nous apparaissait pas essentiel d’en parler ouvertement. À l’époque, certains collègues restaurateurs nous avaient alors reproché notre manque de transparence. Quelques mois plus tard, notre discours changeait, on parlait des difficultés plus ouvertement. Plusieurs croyaient alors qu’on se plaignait le ventre plein.

De bien pires tragédies surviennent sans qu’on ne les ait vues venir, on s’est battus jusqu’au bout, et le bout c’était un mur! Ça ne se voulait pas un secret, mais c’est le genre de fin qui se célèbre difficilement.

Est-ce inconscient d’espérer ouvrir un restaurant qui dure dans la conjoncture actuelle?

Je n’ai pas la prétention d’avoir ces réponses, je n’aime pas soulever les problèmes sans proposer de solution de façon générale. Et j’en suis là pourtant, à me questionner comme tous sur l’aspect éphémère de cette nouvelle restauration. On aura eu la chance d’avoir quelques années de gloire, pour certains maintenant, c’est à peine quelques mois. Les médias sociaux c’est intense, les gens connaissent tout de ton resto sans l’avoir même essayé. À une ère où on a tout à portée de doigts, je trouve que l’on est facilement blasé, mais ça ça ne s’applique pas qu’au milieu de la restauration.

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Pourquoi est-ce important pour toi que la clientèle prenne conscience de la précarité de la situation que vivent les restaurateurs montréalais?

Délicate question. Je trouve qu’on lui en met beaucoup sur les épaules à cette clientèle. Sans clients nous ne sommes rien, j’en conviens, mais ne sont-ils pas là pour vivre une expérience, relaxer et avoir du plaisir? Cette responsabilité ne leur revient pas à mon avis. Je crois que l’on tue nous-mêmes notre propre marché. En revanche, avec les médias sociaux, certains peuvent nous faire beaucoup de mal, on a tous désormais notre propre lectorat pour clamer haut et fort notre opinion sur tout. Malheureusement, opinion et objectivité ne vont pas de pair.

La viande, notre matière première, se devait d’être le plus naturelle possible. Il en allait de même pour le vin!

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Un souvenir indélébile en particulier qui te reste des 7 années glorieuses du Comptoir?

Juste un? C’est chien ça! Je pourrais t’énumérer les nombreux anniversaires, un particulièrement festif post salon Raspipav la première année, de bien arrosées pré-congé des fêtes, les nombreux événements vignerons, ta rencontre même! Mais je vais être encore plus téteuse que ça. Les derniers jours où je me rendais au resto, péniblement, dû à la tristesse, j’ai mentionné à un ami que très rares avaient été les fois où je m’y étais rendue à reculons. Il m’a fait répéter ce que je venais de dire.

Qui sont les gens marquants de l’histoire du Comptoir?

Évidemment, les clients, on ne le répète jamais assez, sans eux on n’existe pas.

Ensuite l’équipe et les fournisseurs, qui deviennent la famille que l’on choisit, les seuls que l’on a le temps de voir en fait! C’est ça qui est le plus déchirant, dire au revoir à toutes ces belles personnes, au privilège que l’on avait de les fréquenter au quotidien. Des gens aussi comme Geneviève et Noé qui y travaillaient dans l’ombre, qui se sont façonné leur propre boulot et qui sont méconnus de la plupart d’entre vous!

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Mais bon, la personne la plus marquante demeurera Ségué! Réponse facile me diras-tu! N’empêche que c’est le noyau dur du projet, il a pensé, façonné et tout orchestré ce petit miracle. Il a eu la folie de me faire confiance et la maladresse de faire sortir le pire et le meilleur de moi. C’est pas rien ça!

Crédit photo : Martin Dubé
Crédit photo : Martin Dubé

Peux-tu mettre en mots l’immense influence que le Comptoir a eue sur la démocratisation du vin pour les buveurs montréalais et d’ailleurs en 6 ans d’existence?

Je peux te parler de ce que je souhaitais, je ne prétendrai jamais par contre y être parvenue, mais je peux être fière d’y avoir contribué! Dès le début le mandat était clair, au-delà du biologique, la viande, notre matière première qui se devait d’être le plus naturelle possible, il en allait de même pour le vin!

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Je n’ai pas suivi de formation en sommellerie, j’ai longtemps eu à vivre avec le sentiment d’être un imposteur, sentiment que je m’infligeais évidemment moi-même! Puis j’ai réalisé que ceci pouvait être une force, j’arrivais à table avec un langage plus familier pour décrire le vin et les gens étaient plus à l’aise d’échanger avec moi, de me questionner. Loin de moi l’idée de diminuer le travail assidu de mes collègues diplômés sommelier, simplement, vous témoigner ici que mon école à moi c’était Le Comptoir.

Je n’ai pas suivi de formation en sommellerie, j’ai longtemps eu à vivre avec le sentiment d’être un imposteur

J’ai appris du précédent sommelier Jack, j’ai appris de mes collègues, j’ai appris des agents d’importation, j’ai appris des vignerons qui passaient par là, j’ai appris des clients, de leur questions auxquelles je n’avais pas toujours la réponse, j’ai appris de Ségué et de son insatiable curiosité et puis évidemment de quelques flacons qu’on a ouverts au fil du temps. Le Comptoir aura été un lieu d’échanges et d’apprentissage pour beaucoup de gens qui y seront passés. C’est vrai que le partage du savoir c’est démocratique!

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3 bouteilles précises, qui ont marqué la vie du Comptoir?

Calice de Jean-Philippe Padié

Mon premier amour de vin! Pour sa simplicité et sa précision. Pour son côté festif et sans prétention. Parce qu’on ne se lasse jamais d’en boire. Pour tous les débats que l’on a pu avoir sur la macération carbonique. Probablement la cuvée la plus vendue de l’histoire du Comptoir.

Poulsard de Pierre Overnoy

Pour charmer les vignerons en visite. Pour revenir à l’essentiel. Pour se rappeler ce que le vin doit être et pourquoi on a choisi ce métier. Pour combler un besoin de pureté et continuer!

Quelle sera la vie post-Comptoir, où peut-on espérer se refaire servir du vin par toi?

Pour le moment je me la joue agent libre. Les amis de la restauration me proposent quelques remplacements çà et là. J’écris d’ailleurs ces lignes en direct de Rimouski. Ceux qui me connaissent savent que la proximité de la mer et les spectaculaires couchers de soleil me sont très thérapeutiques! J’ai eu quelques offres alléchantes, mais telle une fille en peine d’amour, je ne souhaite pas m’engager à long terme avec mon rebound! Je ne suis par contre pas fermée à rien si jamais..!

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Dans un monde idéal, comment imagines-tu ton prochain projet?

J’ai toujours voulu avoir un café…

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