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Ce qu’il reste des clubs vidéo

Un patrimoine sur le respirateur artificiel.

Par
Jean Bourbeau
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Dès que l’on franchit le seuil, la première chose qui nous frappe, c’est l’odeur. Une fragrance irrésistible qui goûte les souvenirs : le parfum bien beurré du popcorn de mon enfance.

Et puis, la bulle éclate.

Le Superclub Vidéotron de Saint-Lin-Laurentides m’informe que c’est fini depuis quelques mois déjà. La succursale de Mont-Laurier propose désormais des forfaits cellulaires. Le Cinoche, rue Duluth à Montréal, a mis la clé sous la porte l’automne dernier. Pareil pour le Vidéodrome de la capitale. Si la faucheuse avait déjà bien entamé son chemin, elle s’acharne désormais sur les derniers survivants.

L’objectif initial de cet article était de faire le point sur ce qu’il reste de nos clubs vidéo. Un tour d’horizon de ces Gaulois de la distribution du 7e art.

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En 2022, on en comptait près d’une dizaine. Aujourd’hui, si mes recherches sont bonnes, il n’en resterait que quatre. Une hécatombe.

Vous vous rappelez de quand ils étaient partout?

Lors d’une récente visite au Vidéo Centre-Ville dans le quartier Saint-Sauveur à Québec, j’ai été émerveillé par l’amour pour le cinéma qui émanait des lieux. Entre la boutique et le musée, la magie semblait toujours opérer. Cependant, malgré mon désir de discuter de sa situation, le propriétaire a gentiment décliné mon invitation.

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Ma liste se raccourcit pour ne plus inclure que Sherbrooke, Val-David et La Malbaie.

Direction Rock Forest.

J’ai grandi pendant l’âge d’or des clubs vidéo, une tendre époque où le vendredi soir était synonyme de choisir ses films pour le week-end, après une longue errance latérale à travers les pochettes collées sur des boîtiers en plastique. Le téléviseur accroché au plafond diffusait les dernières nouveautés. Le son du rembobinage des cassettes VHS résonne encore dans les quartiers lointains de ma mémoire.

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Je pourrais même dire que j’ai eu ma première rencontre avec la pornographie au dépanneur Foucault. Ça ne s’invente pas, Michel serait fier de moi.

Durant mon adolescence, mon grand crush du secondaire était employée dans un club vidéo indépendant, juste à côté de chez moi. Je crois avoir vu tous les films sur ces étagères. Il n’est donc pas faux d’affirmer que les clubs vidéo ont joué un rôle de premier plan dans le coming of age de ma personne.

Mais le deal 3 nouveautés, 3 jours et un paquet de M&M’s, soyons honnêtes, semble bien révolu.

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Je m’arrête à un jet de pierre du très passant boulevard Bourque, où se niche un petit centre commercial à la mine archaïque abritant le Club Vidéo Flash.

Je suis ému d’être accueilli par la chute à retour. Je dois avouer, malgré les éloges ci-dessus, que cela fait des années que je n’ai pas mis les pieds dans un club vidéo, depuis la disparition de la Boîte noire, en 2016. Coupable.

Tel un effet domino, l’avènement du numérique a déclenché une série de fermetures des clubs vidéo. La pandémie, loin de les aider, a plutôt accéléré le déclin d’une industrie déjà moribonde.

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Nul besoin d’être Sherlock Holmes pour remarquer que les plateformes de diffusion en continu ont rapidement changé nos habitudes, mais l’expérience d’un lieu physique est difficile à égaler.

« C’est bien beau, scroller sur Netflix, mais rien ne vaut un bon club vidéo », souligne avec justesse Caroline, la gérante du Flash, qui ajoute par la bande qu’elle vient tout juste d’ouvrir un compte pour un jeune de 19 ans. « De l’adolescent à ses grands-parents », ajoute-t-elle au sujet de sa clientèle, en passant un pinceau sur un disque avant de l’insérer dans une machine destinée à en retirer les égratignures.

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La gérante précise qu’elle y travaille depuis 11 ans, mais œuvre dans l’industrie depuis près de deux décennies. Des bagarres pour une dernière copie jusqu’aux rangées désertes, elle a été témoin du déclin progressif.

Malgré la réduction de l’espace de près de la moitié, elle assure que les affaires continuent de prospérer.

« La section adulte se porte bien. Les ventes sont stables », déclare-t-elle.

Je discute avec le propriétaire, Jean-Guy Veilleux, un passionné du cinéma, qui a consacré trente années de sa vie à la gestion de clubs vidéo. Animé par une passion contagieuse, il a partagé son amour avec des milliers de cinéphiles.

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Il estime que le vent a réellement tourné il y a une dizaine d’années avec l’arrivée des plateformes numériques, mais également des sites de piratage, qui offrent l’équivalent de son catalogue et plus encore, gratuitement. Une compétition déloyale selon l’entrepreneur. Un constat difficile à réfuter.

Il met aussi en évidence que quand les clubs vidéo ont commencé à fermer les uns après les autres, seuls quelques clients irréductibles se sont manifestés pour contrer cette tendance.

Cela me rappelle que je n’ai jamais retourné un DVD au regretté Blockbuster du métro Sauvé. Coupable à nouveau.

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À court terme, Jean-Guy estime pouvoir survivre tant que les revenus couvrent les frais et le salaire de Caroline. Mais à long terme, la situation est préoccupante. « Si le club était ma seule source de revenus, il aurait déjà fermé ses portes ».

Jean-Guy ne peut cacher que cela lui serre le cœur.

« Il y a plusieurs années, j’aurais pensé que cela aurait toujours été là, mais maintenant, l’avenir est plus incertain que jamais. »

Le temps des clubs vidéo est bel et bien compté. La question n’est pas de savoir si, mais quand ils disparaîtront complètement.