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Ce qui doit être fait

Les aventures de l'homme moyen #52

Par
David Malo
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Pour ma chronique d’aujourd’hui, je vous propose un pot-pourri des choses qui ont été faites cette semaine et de celles qui doivent être faites.

Jeudi soir passé, une jolie fille que je ne connaissais pas est venue au bistro. Elle était seule et s’est assise au bar. S’asseoir au bar est, par convention, un signe d’ouverture sur les autres. Si on ne veut rencontrer personne, on prend une table en retrait où l’on amène sa zone de confort avec soi, c’est à dire des personnes que l’on connaît déjà. Un client que je connais très bien est allé se présenter à la jeune dame et a initié une conversation. Je le croyais plus timide. Voyant sa réceptivité, il s’est ensuite assis sur le banc juste à côté et ils ont discuté jusqu’à la fermeture. Il n’a pas présumé que la fille attendait quelqu’un, qu’il n’était pas assez bien pour elle ou qu’elle préférait sans doute rester seule. Il y avait des milliers d’excuses qu’il aurait pu se donner pour ne pas oser lui parler, mais il l’a fait. J’étais fier de lui. Il la trouvait jolie et avait envie de la connaître. C’est ce qui devait être fait.

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Dimanche soir, j’étais dans un café en train de cogiter sur ce texte. Une éméchée se pose sur le bras de mon divan pour parler à une fille juste à côté. Elle entre dans ma bulle, mais je ne dis rien. Les gens qui ne sont pas conscients des espaces personnels des autres ne peuvent souvent pas être raisonnés. J’évite la confrontation et je me contente d’écouter la conversation. La fille qui étudiait bien tranquillement portait un chandail à l’effigie d’une équipe de basketball locale. La non-respectueuse de bulle s’excuse à la jeune fille en prétextant le basketball comme entrée en matière.

« Scuse moi, tu joues au Basketball ?
Oui, je joue avec mes amies de temps en temps.
Tu connais l’Abc de Terrebonne ? »

La conversation prend vite une tournure qui ne fait aucun sens à un point tel que la fille en fait mention à son interlocutrice et demande la vraie nature du pourquoi elle lui parle. L’éméchée lui répond alors qu’elle voulait qu’on lui paye un café et qu’elle cherchait quelqu’un à qui parler. La jeune fille, plus embêtée qu’autre chose, lui répond qu’elle n’a vraiment pas le temps et qu’elle devait remettre un travail dans quarante-cinq minutes. Dire les vraies raisons pour lesquelles on aborde les gens, c’est ce qui doit être fait. Quand on veut se faire payer un café, on demande de se faire payer un café. Je ne crois pas que l’histoire que l’on raconte pour enrober la demande change l’idée du récepteur.

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L’éméchée s’est alors levée et a répété la même routine à quelqu’un d’autre. L’employée du café lui a alors indiqué qu’elle ne pouvait pas continuer de déranger tous les gens comme ça. C’est ce qui devait être fait.

L’aliénée s’est alors levée et est restée immobile quelques instants en fixant la joueuse de basket.

« Scuse moi, je ne te regarde pas les tétons hahaha. »

C’est ce qui a été dit. Pour vrai, c’était un peu malaisant.

La semaine dernière, je regardais les offres d’emplois dans le domaine des communications. Il y avait un poste d’adjoint au contenu pour un magazine qui était affiché. J’ai essayé de me convaincre que j’étais intéressé. La description de tâches, ça allait. C’était même passable au point que je puisse considérer faire plus d’heures et moins d’argent que ce que je fais au bar. L’heure de l’engagement professionnel était venue pour moi, car vivre à temps partiel ne laisse pas beaucoup de place à l’accomplissement. L’accomplissement est un besoin humain du haut de la pyramide, j’en conviens, mais ça fait longtemps que j’ai un toit et que je n’ai pas eu faim. Je suis rendu là. Je commence à écrire ma lettre de présentation et il ne me vient pas d’inspiration. En me demandant pourquoi je ne suis plus capable de postuler pour ces emplois, je me suis rappelé la dernière fois que je l’ai fait :

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C’était en 2006, j’avais passé les entrevues en me disant qu’il fallait bien un jour que j’arrête de niaiser et que je fasse carrière dans quelque chose. Au premier jour de la formation sur le système informatique. Je me suis dit :

« Hé merde, dans quoi me suis encore foutu les pieds, bravo David! »

Au moment où la formation se terminait, on m’a demandé si j’avais des questions. J’ai dit non alors que j’en avais pourtant une, mais qui ne se pose pas vraiment :

« Je ne sais pas si c’est juste moi, mais la job a l’air vraiment plate. »

J’ai su dès lors que mes heures étaient comptées, avant même d’avoir commencé. Je me suis alors juré de ne plus jamais me faire reprendre dans ce piège de la pression sociale. C’est ce que j’ai fait. J’ai arrêté d’écrire la lettre et j’ai envoyé mon meilleur CV, celui pour lequel personne ne daigne m’appeler après l’avoir lu. Celui où c’est marqué que mon objectif de carrière est de devenir propriétaire des Canadiens de Montréal.

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Envoyer des CV, c’est un vestige des anciens conditionnements dont j’essaie de me débarrasser. C’est plus apaisant de travailler pour la sécurité que de rechercher de grands espaces inexplorés, mais un jour on doit créer quelque chose qui vient de soi. C’est ce qui doit être fait.

Martin Luther King a un jour dit :

« La véritable grandeur d’un homme ne se mesure pas à des moments où il est à son aise, mais lorsqu’il traverse une période de controverses et de défis. »

Malgré tous les efforts que nous déployons pour nous convaincre et nous mentir, un jour arrive où nous devons briser, une par une, les peurs qui nous confinent dans une zone de confort trop petite pour nous. Tout ça afin de devenir un peu plus grand, un peu moins peureux, un peu plus nous-mêmes.

Un jour ça doit être fait.

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