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Ce que Ricky Gervais m’a appris sur les limites de l’humour

Règle numéro un: ne pas être un trou de cul

Par
Audrey PM
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Il était une fois moi qui écoute pour la première fois le premier épisode de la série humoristique The Office (version britannique) et qui reste estomaquée par le talent de Ricky Gervais.

Son acuité, son sens du timing, sa maîtrise du malaise, sa connaissance des faiblesses de la nature humaine et la façon qu’il a de faire ressortir malgré tout la beauté de l’humanité, ça me fascinait.

J’ai par la suite cherché toute l’information que je pouvais sur sa méthode d’écriture, sa façon de voir la comédie, son secret pour marcher avec autant d’aisance sur la corde raide des limites de l’humour.

J’étais déjà convaincue qu’on pouvait rire de n’importe quoi.

Je montrais cet extrait de Life’s Too Short à tout le monde et je disais:

«Regardez comme il maîtrise et manipule les préjugés du spectateur! La première chute que fait Warwick, on ne veut pas en rire, parce qu’une femme rit de lui, un nain qui s’enfarge; on juge la femme qui rit. Par contre, on va se donner la permission de rire de la seconde chute, parce qu’elle ne concerne que lui, c’est juste quelqu’un qui se pète la gueule, la dimension gênante/bien pensante a disparu! Et il exécute tout ça en MOINS DE 2 MINUTES C’EST DU GÉNIE!»

***

Sujet et cible: pas la même affaire

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J’étais déjà convaincue qu’on pouvait rire de n’importe quoi, que tout dépendait de la manière, mais c’est Ricky qui me l’a expliqué, clair comme de l’eau de roche:

Il faut savoir faire la différence entre le sujet et la cible d’une blague.

Et quand on traite de sujets sensibles, cet exercice demande une précision absolue.

Ça y est, me suis-je dit! C’est l’ultime et suprême baromètre du politically correct. On peut faire des blagues sur n’importe quel sujet, il suffit de savoir quelle cible on veut atteindre!

Le sketch d’Amy Schumer sur les footballeurs qui n’ont pas le droit de violer, ça porte sur le viol, mais ça ridiculise la culture du viol et ceux qui y participent. Génial!

La joke de Jean-François Mercier sur les filles qui s’habillent sexy, elle slutshame les femmes qui s’habillent sexy en les rendant responsables du désir que les hommes leur imposent. C’est non seulement une blague mal faite, mais c’est une joke sexiste. C’est de la marde !

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Une blague pas drôle est une blague qui est fausse

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En entrevue, Ricky aime répéter qu’une blague pas drôle était une blague fausse. Que l’humour est un processus intellectuel, pas une plateforme.

How very aristotélien, me disais-je, il ne suffit donc pas de savoir construire une blague avec précision, mais il faut savoir se baser sur la réalité, pas sur des préjugés.

Un cascadeur de l’humour arrogant et baveux.

Et le voilà qui sort le vidéo Equality Street où, incarnant son fameux personnage de The Office, David Brent, il illustre parfaitement (et dénonce du même coup) le ridicule du whitesplaining et de l’appropriation culturelle. Son personnage, que les gens se plaisent à détester, lui sert de véhicule pour dénoncer des comportements remplis de préjugés.

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Il est devenu ma référence, mon influence en humour. Un virtuose du comique risqué, un cascadeur de l’humour arrogant et baveux, que j’admirais profondément.

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Grandeur et chute d’une idole

Sauf qu’un jour, une amie m’a envoyé un vieux numéro de stand-up où il exposait avec la même verve et la même arrogance que j’admirais tant, toute sa haine et son mépris pour les personnes obèses.

What. The. Bloody. Fuck. Ricky, t’es-tu vraiment en train de fatshamer des êtres humains? Es-tu en train de baser tout un numéro sur le préjugé que les gros sont gros parce qu’ils ne sont pas capables d’arrêter de manger? Ricky, come on, fais-moi pas ça!

Je ne sais pas quoi faire entre ce numéro de marde et ta série Derek promue à grands coups de “Kindness is magic”!

C’est donc ben débile que ton dernier film sur Netflix, un retour de David Brent, envoie un message d’humanité et de tolérance, mais que tu refasses le même numéro dégueu chez Jimmy Fallon!

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Si on suit ton affirmation, c’est ok de parler d’obésité en humour, mais là, la cible de tes blagues sont des personnes qui vivent de l’oppression et EN PLUS tes blagues se basent sur de fausses croyances.

Pas cool, Ricky, pas cool.

Enfin bref, ce que j’en retire, c’est que le plus important quand vient le temps de flirter avec les limites de l’humour, c’est de ne pas écarter la possibilité de se découvrir des préjugés et d’avoir l’humilité de les reconnaître et les dépasser.

Des fois, ce n’est pas si grave de rater une blague, mais être ou non un trou de cul, c’est toujours un choix.

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