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Ce que les Vikings ont compris et nous pas
Des breuvages chauds à l'architecture, les Vikings modernes savent comment gérer leurs hivers.

Dans le cadre de lâĂ©vĂšnement Printemps Nordique, URBANIA et la Place des Arts sâassocient pour vous aider Ă dĂ©couvrir le cĂŽtĂ© innovateur des peuples Scandinaves.
Les EuropĂ©ens du Nord embrassent la saison froide Ă coup de glögg, de saunas abordables et de bougies par dizaines. Des modĂšles dâarchitecture dâhiver, des boissons Ă©nergisantes naturelles pour le frette et un mĂ©tro qui les hisse tout en haut de la montagne pour quâils la redescendent bottes et fixations aux pieds. Et les Scandinaves semblent savoir oĂč ils sâen vont avec leurs skis.
« Det Ă€r vĂ€ldigt kallt idag! » Câest avec cette banale entrĂ©e en matiĂšre â fait vraiment froid aujourdâhui! â que je croyais mettre dans ma petite poche ma prof de suĂ©dois lors de notre deuxiĂšme rencontre, Ă lâhiver 2006. JâĂ©tais Ă Lund, ville universitaire du sud de la SuĂšde, et il faisait mĂȘme pas si froid. En guise de rĂ©ponse, Anita mâa regardĂ©e de la tĂȘte aux pieds. Ă la place du small talk mĂ©tĂ©o conciliant auquel je mâattendais, elle mâa sĂšchement rĂ©pondu : « Det finns inget dĂ„ligt vĂ€der, bara dĂ„liga klĂ€der ». Sur le coup, je nâai rien compris. Je nâen Ă©tais quâĂ ma deuxiĂšme leçon de suĂ©dois. Puis jâai lu et entendu Ă rĂ©pĂ©tition cette classique ritournelle qui nous dit que les mauvaises tempĂ©ratures nâexistent pas, quâil nây a que de mauvais vĂȘtements. Il revient donc aux Vikings de sâadapter aux humeurs de dame Nature, et non lâinverse.
Partant de lĂ , et sur la base de plusieurs observations, jâai rĂ©alisĂ© que de lâautre cĂŽtĂ© du Gulf Stream, y avait une acceptation gĂ©nĂ©ralisĂ©e de la saison froide. Une rĂ©signation que jâavais rarement cĂŽtoyĂ©e au pays du navigateur Ă©garĂ©, Jacques Cartier. Sachons-le, Ă parallĂšles Ă©gaux, les hivers sont franchement moins rigoureux pour eux que pour nous. Les EuropĂ©ens du Nord ne sont pas tous pour autant des fanatiques des bains de minuit en plein mois de janvier. Sans triper sur lâhiver, ils ont acceptĂ© lâinĂ©vitable, ils ont jetĂ© la serviette et choisi de faire avec. Eux.
« Au Canada, on a tendance à nier le besoin de créer une architecture qui célÚbre cette idée de protéger les habitants du climat. »
« Au Canada, on a tendance Ă nier le besoin de crĂ©er une architecture qui cĂ©lĂšbre cette idĂ©e de protĂ©ger les habitants du climat », explique dâentrĂ©e de jeu Lisa Rochon, critique en matiĂšre dâarchitecture pour The Globe And Mail. « TrĂšs influencĂ©s par nos voisins amĂ©ricains, nous Ă©rigeons encore des tours en verre et nous copions un modĂšle de disposition des maisons dans nos banlieues qui font fi des routes du vent, de la neige. » Ă titre dâexemple, lâauteure du livre Up North : Where Canadaâs Architecture Meets the Land croit quâil y a Ă©normĂ©ment de travail Ă faire en ce qui a trait aux cours intĂ©rieures, encore peu prĂ©sentes ici : « Elles rĂ©pondent Ă des besoins pratiques et esthĂ©tiques, il sâagirait de crĂ©er des cours microclimatisĂ©es qui nous protĂ©geraient des intempĂ©ries. »
Lisa Rochon estime que les Scandinaves ont une longueur dâavance pour ce qui est de lâarchitecture qui sâadapte au climat. Dâabord, « les normes Ă©nergĂ©tiques pour la construction sont beaucoup plus sĂ©vĂšres en Europe du Nord â lâisolation, le triple vitrage â les exigences scandinaves sont drĂŽlement plus Ă©levĂ©es, surtout au Danemark. » Mais au-delĂ de ces considĂ©rations pratiques, la journaliste pense que « lâarchitecture doit exprimer lâĂ©chelle monumentale des paysages. Jâadmire ça des Scandinaves, leurs chapelles, leurs maisons dâopĂ©ra et les musĂ©es ont une architecture Ă©pique, mĂȘme Ă petite Ă©chelle. Ăa reflĂšte ce cĂŽtĂ© spectaculaire des paysages, du climat. »
Farte, mais farte égal
Le paysage dâOslo est pour sa part marquĂ© par le cĂ©lĂšbre tremplin dâHolmenkollen, pour le saut Ă ski. Du centre-ville de la capitale norvĂ©gienne, un billet de mĂ©tro suffit pour se rendre au Oslo Winterpark, oĂč 18 pistes attendent les amateurs de ski alpin. Il est donc frĂ©quent de croiser les skieurs dans les wagons de la ligne 1, munis de leur Ă©quipement, sâamusant des regards surpris des touristes pour qui ski Ă la montagne rime forcĂ©ment avec voiture. Et câest sans parler du ski de fond, Ă©levĂ© au rang de religion dans ce pays qui compte prĂšs de cinq millions dâhabitants. Leur temple de la glisse se compare au nĂŽtre, celui de la rondelle. « Avant, le hockey se pratiquait dans la cour arriĂšre, mais aujourdâhui, ânotre sport dâhiverâ, il est pratiquĂ© de plus en plus Ă lâintĂ©rieur, remarque Sylvie Halou, directrice gĂ©nĂ©rale de Ski de fond QuĂ©bec.
«En NorvĂšge, le ski de fond est dâoffice le sport que les Ă©lĂšves pratiquent Ă lâĂ©cole. Les tout-petits aussi y sont initiĂ©s; dans les garderies, plutĂŽt que de marcher dans la neige, ils glissent sur leurs skis dĂšs trois ans.»
En SuĂšde, se tient dĂ©but mars la Vasaloppet, une course de ski de fond qui rassemble annuellement 40 000 participants et des milliers de spectateurs. Ce happening sportif, nĂ© en 1922 et aujourdâhui transmis Ă la tĂ©lĂ©vision, âfait partie de lâĂąme nationale suĂ©doiseâ, dixit le site web de la compĂ©tition. Quand on demande Ă la directrice gĂ©nĂ©rale de Ski de fond QuĂ©bec pourquoi son activitĂ© hivernale de prĂ©dilection nâa jamais rĂ©ussi Ă rallier autant de sportifs ici quâen Europe du Nord, Sylvie Halou Ă©voque dâabord la culture : âEn NorvĂšge, le ski de fond est dâoffice le sport que les Ă©lĂšves pratiquent Ă lâĂ©cole. Les tout-petits aussi y sont initiĂ©s; dans les garderies, plutĂŽt que de marcher dans la neige, ils glissent sur leurs skis dĂšs trois ans. On a un gros travail Ă faire ici, car on a transformĂ© lâhiver en perturbation et la neige en catastrophe. On est nĂ© dans ce climat-lĂ , mais câest comme si nous nous Ă©tions dĂ©sadaptĂ©es Ă notre propre rĂ©alitĂ©. Ă coups de : âNe sors pas dehors, il fait froid!â, câest une transmission insidieuse qui se fait vers nos enfantsâ, dĂ©plore la fondeuse.
Gamine, Hilary St Jonn nâa jamais entendu ses parents bougonner contre lâhiver. Faut dire quâĂ Walnut Creek, dans la rĂ©gion de la baie de San Francisco, il Ă©tait plutĂŽt clĂ©ment. Rien ne prĂ©disposait la Californienne de 29 ans Ă devenir cette amante du froid, qui blogue au swedishfreak.com sur sa passion des activitĂ©s extĂ©rieures en SuĂšde. Lâamour lâa fait installer ses pĂ©nates Ă Skelleftea, ville au nord du 64e parallĂšle. âCâĂ©tait frappant de rĂ©aliser Ă quel point les SuĂ©dois sortent Ă lâextĂ©rieur. MĂȘme quand il fait trĂšs froid en plein milieu de lâhiver, les parents promĂšnent bĂ©bĂ© en poussette, prĂ©voyant des poches chauffantes pour les mains gelĂ©es et traĂźnant un thermos rempli de boisson chaude.â Et parmi ces chauds liquides, les SuĂ©dois ont leur breuvage Ă©nergisant hivernal, le BlĂ„bĂ€r, une Ă©paisse mixture ultra vitaminĂ©e faite Ă base de bleuets, dont se rĂ©galent les sportifs depuis plus dâun siĂšcle. Une quantitĂ© phĂ©nomĂ©nale est dâailleurs consommĂ©e pendant le Vasaloppet.
Pores, ouvrez-vous
Cinq parallĂšles plus au nord de Skelleftea, en Laponie, au pays des Samis â peuple autochtone dâEurope du Nord â le doctorant amĂ©ricain Tim Frandy sâest installĂ© dans la municipalitĂ© la plus septentrionale de Finlande, Utsjoki. Le spĂ©cialiste en Ă©tudes scandinaves et en folklore de lâUniversitĂ© du Wisconsin explique que âlâhiver, le froid, la neige et la noirceur sont dâimportants symboles culturels, trĂšs prĂ©sents dans lâart sĂĄmi. En langue sami du Nord, il existe plus de 250 mots pour parler de glace et de neige. Les Samis ont un terme magnifique, unique : SkĂĄbma, qui signifie la nuit dâhiver ou cette pĂ©riode de deux mois pendant laquelle le soleil ne se lĂšve pas sur lâArctique.â Est-ce que les Samis ont de nombreux mots pour parler de sauna? Le chercheur aux origines finlandaises ne me lâa pas dit.
«De plus en plus de Finlandais sâidentifient Ă lâEurope cosmopolite, continentale, dĂ©laissant un peu leur spĂ©cificitĂ© nordique. Ils sont nombreux Ă partir en Espagne en fĂ©vrier. Mais quand ils se retrouvent dans le sud de la France, au dĂ©but du printemps, ce sont les seuls assez fous pour nager dans les eaux encore glacĂ©es.»
VĂ©ritable icĂŽne de la finlandicitĂ©, le pays de cinq millions de tĂȘtes compterait 1.6 million de saunas, un ratio qui les placerait certainement en pole position dâun palmarĂšs inexistant. Sec, vapeur ou humide, mĂȘme lâĂ©difice du Parlement Ă Helsinki compte son sauna. Contrairement Ă notre relativement rĂ©cente appropriation du concept spa, vendu ici comme une activitĂ© de luxe et dont les prix prohibitifs savent tenir loin des bains glacĂ©s les moins nantis, il sâagit, dans la chĂšre Scandinavie, de lieux accessibles, parfois mĂȘme de propriĂ©tĂ©s municipales. Ă Malmö, ville portuaire du sud de la SuĂšde, il est possible de sauter dans lâĂresund glacĂ© aprĂšs une sĂ©ance de sudation. Pour 8 $ sâouvriront les portes du Ribersborgs Kallbadhus, Ă©difice en bois construit sur pilotis Ă une centaine de mĂštres de la cĂŽte suĂ©doise. Une coutume dominicale qui attire de nombreux tous nus (rĂšglement oblige) quand le froid sâinstalle.
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Trois hivers durant, jâai donc observĂ© vivre les Scandinaves. Et je me suis demandé : pourquoi eux et pas nous? Certains pointent du doigt notre passĂ© colonial. Il y a 500 ans, des peuples qui en connaissaient bien peu sur les rudeurs de nos hivers ont reproduit ici leurs façons de faire, de vivre : inadĂ©quates et malhabiles compte tenu de nos rĂ©alitĂ©s. Pour leur part, les Vikings avaient une longueur dâavance de plusieurs centaines dâannĂ©es dâexpĂ©rience nordique. Mais comme lâexplique le doctorant en Ă©tudes scandinaves Tim Frandy, rien nâest statique. âDe plus en plus de Finlandais sâidentifient Ă lâEurope cosmopolite, continentale, dĂ©laissant un peu leur spĂ©cificitĂ© nordique. Ils sont nombreux Ă partir en Espagne en fĂ©vrier. Mais quand ils se retrouvent dans le sud de la France, au dĂ©but du printemps, ce sont les seuls assez fous pour nager dans les eaux encore glacĂ©es.â Comme quoi on sortira jamais complĂštement le Nord du Finlandais.
Ă la fin de mon sĂ©jour, jâai remerciĂ© Anita de mâavoir remis Ă ma place ce matin de 2006. La sexagĂ©naire mâa Ă©vitĂ© de passer pour la chialeuse de service et elle mâa appris Ă me transformer, sans barbe ni bouclier, en Viking.
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4 moyens que les Scandinaves ont trouvés pour se protéger du frette
1. Le glĂžgg/glögg â ce dĂ©rivĂ© nordique du vin chaud â se dĂ©guste bien Ă©picĂ©, sans modĂ©ration, ou jusquâĂ Ă©coeurite du mĂ©lange cardamome-clou de girofle-cannelle.
2. Les plaisirs de la terrasse sâĂ©tirent un peu plus longtemps. Chaufferettes et coffres remplis dâĂ©toffes font depuis belle lurette partie du dĂ©cor des pubs scandinaves. Pour le plus grand bonheur de Marie-Claude Lortie.
3. Les brasseries danoises ont elles aussi compris quâil fallait donner du torque Ă lâhiver; en novembre, ils dĂ©voilent leurs JuleĂžl, biĂšres de NoĂ«l, attendues le jour du lancement par des hordes de buveurs dans les bars de Copenhague. Chaque annĂ©e amĂšne son Ă©dition de Carlsberg, de Tuborg etc., version ho ho ho!
4. Alors que nous les conservons trop exclusivement pour les soupers romantiques, les gĂąteaux dâanniversaire et les clips de Ricky Martin, les chandelles sont essentielles Ă lâhiver scandinave au mĂȘme titre que le chauffage.
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Pour apprĂ©cier toute la culture de nos cousins nordiques, rendez-vous Ă la Place des Arts du 4 au 29 avril pour lâĂ©vĂšnement Printemps Nordique.