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Ce que les choses devraient coûter

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Il m’arrive de m’offusquer de payer plus cher pour des légumes bios, des légumes qui, au fond, n’ont de spécial que d’avoir été produits dans les mêmes conditions que ceux que ma grand-mère mangeait quand elle était petite et qu’on appelait alors tout simplement «des légumes». Je ne m’offusque jamais de ça très très longtemps. Je marmonne quelques injures dans l’allée de l’épicerie, puis je poursuis ma route en me félicitant de faire la bonne chose pour l’environnement, en me convainquant qu’ainsi je n’aurai pas le cancer, et surtout, en me rappelant l’étape du binage. Si vous avez déjà entretenu un jardin, vous savez de quoi je parle.

Cette étape consiste à ameublir la terre et à en retirer toutes les mauvaises herbes qui entourent vos beaux gros légumes. C’est long. Pour un lot de 100 pieds carrés, mettons, à deux filles pas trop expérimentées, c’est une affaire de deux heures. C’est long, et il faut faire ça souvent dans l’été, avis à ceux qui envisageaient la possibilité d’investir un jardin communautaire cette année. Quand on connaît l’étape du binage, on comprend très bien pourquoi, lorsqu’on leur a proposé un produit qui les débarrasserait chimiquement des mauvaises herbes, les agriculteurs ont dit oui. Et quand on connaît l’étape du binage, il devient évident que ce ne sont pas les légumes bios, qui sont trop cher, mais les autres, qui ne le sont pas assez.

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Dans les années 40, ma grand-mère avait 20 ans et une livre de tomates, bio par défaut, coûtait 29 ¢. En dollars d’aujourd’hui, une livre de tomates bio devrait donc coûter 4,82$. À 2,97$ la livre, les tomates bio du IGA sont, en fait, une véritable aubaine. Au fond, on paie nos produits bios encore moins cher que ce qu’ils devraient coûter s’ils avaient suivi le cours normal de l’inflation.

N’étant pas économiste, certains détails m’échappent pour comprendre comment tout ça a pu arriver, et d’aucuns trouveront sans doute mon explication simpliste, mais il me semble que les grands mécanismes de l’économie mondiale aient créé chez les consommateurs des attentes de prix qui sont difficiles à atteindre dans des conditions de production adéquates tant pour l’environnement que pour les humains. C’est ainsi qu’on s’attend à payer un t-shirt 8$, et qu’on s’étonne que l’usine qui les produit au Bangladesh s’effondre pour cause de négligence, causant la mort de 381 travailleurs.

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Vous me direz qu’à l’époque de ma grand-mère, on mangeait plus souvent des pommes de terre que des salades de tomates et bocconcini, mais on avait aussi toutes sortes de trucs pour élever des familles de 12 sans avoir à faire travailler des enfants au Bangladesh pour les vêtir. Si vous croyez ne pas pouvoir vêtir convenablement vos enfants sans devoir faire travailler ceux des plus démunis, c’est peut-être que vous vivez au-dessus de vos moyens. La mondialisation vous a peut-être fait oublier que des vêtements, ça se partage. Avoir le pouvoir économique de vous acheter 20 t-shirts à 8$ par année vous a peut-être fait oublier que 2-3 t-shirts, c’est suffisant. En fait, se plaindre qu’un t-shirt à 22$ fait dans une usine où les gens sont payés 11$ de l’heure est cher, c’est vraiment un problème de riche.

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