La nouvelle est passée presque inaperçue.
Dans une entrevue publiée dans le Journal de Montréal le 12 juin dernier, le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette propose une « conversation collective » sur l’application de la Charte canadienne des droits aux lois du Québec.
En habile politicien, Jolin-Barrette sait manier l’euphémisme pour servir ses fins. Ainsi, à la lecture de l’entrevue, on apprend que le ministre propose plutôt d’édenter la Charte canadienne pour la rendre inopérante en territoire québécois.
En effet, Jolin-Barrette soutient qu’il est légitime pour le gouvernement du Québec de soustraire ses lois à l’application de la Charte canadienne. Il rappelle que le gouvernement Lévesque a appliqué la clause dérogatoire de cette charte à l’ensemble des lois québécoises en 1982.
En affirmant cela, Jolin-Barrette oublie de mentionner que le gouvernement du Québec avait utilisé cette dérogation à la Charte canadienne, de façon ponctuelle, pour protester contre le rapatriement de la Constitution canadienne sans son accord. Or, la dérogation était limitée à la Charte canadienne, le gouvernement ayant maintenu toute la force contraignante de la Charte québécoise pendant cette période.
C’est d’ailleurs en vertu de la Charte québécoise que les dispositions de la loi 101 concernant l’interdiction d’affichage commercial en anglais avaient été invalidées, car jugées contraires à la liberté d’expression, en 1988. Le gouvernement du Québec a par la suite utilisé la clause dérogatoire pour contourner ce jugement, ce qui a donné lieu à une condamnation devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU en 1993, suite à quoi la disposition de dérogation ne fut pas renouvelée.
Dans la même entrevue, Jolin-Barette soutient que les lois québécoises ne devraient être évaluées qu’en conformité à la Charte québécoise. Ce qu’il ne dit pas, c’est que son gouvernement a aussi suspendu les droits protégés par cette charte, bien conscient que certaines dispositions des lois 21 et 96 heurtaient de plein fouet les droits fondamentaux des minorités religieuses et linguistiques.
Le ministre expose sa position sous un vernis de fierté nationale et de défense des intérêts du Québec. Or, en voyant la CAQ suspendre nos deux chartes, on réalise que sa position en matière de droits fondamentaux est celle commune au sein des partis conservateurs, selon laquelle le gouvernement devrait avoir les coudées franches du contrôle judiciaire. Il s’agit de prôner un retour à la démocratie d’avant la doctrine des droits fondamentaux, celle de la raison du plus fort.
Soyons clair : la « conversation collective » initiée par la CAQ est à sens unique et les perdants de l’exercice sont connus d’avance. Cette « conversation » implique le renversement du spectre des droits fondamentaux pour passer d’un régime fondé sur les droits individuels à celui fondé sur les humeurs majoritaires.
C’est en vertu de ce genre de conception des droits fondamentaux analysée au travers la lorgnette des préférences majoritaires qu’on permet, aux États-Unis, à des commerçants de refuser de servir des client.e.s homosexuel.le.s, sur la base de leur « liberté de religion ». C’est le même genre de raisonnement qui amène des législateurs américains à vouloir « protéger » les personnes mineures de l’exposition aux drag queens, comme Jolin-Barrete a décidé de « protéger nos enfants » de l’exposition au voile.
Cette conception de la démocratie est fondée sur une confiance absolue envers les élu.e.s, qui, à l’instar d’une majorité réelle ou fantasmée, ne pourraient jamais se tromper.
L’Histoire démontre pourtant que les élu.e.s et les majorités peuvent se tromper; parfois gravement.
Si le passage mouvementé de Trump à la présidence de nos voisins démontre une chose, c’est bien qu’il ne faut jamais dire jamais en politique. Surtout que la méthode populiste de Trump a ruisselé jusqu’ici… Dans ce contexte, nous avons raison de nous inquiéter de voir la CAQ traiter l’instrument de protection constitutionnelle de nos droits fondamentaux avec une telle désinvolture.