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Ce que j’aurais aimé savoir sur le cancer avant d’en avoir un
La rédactrice et éditrice Sophie Marcotte vous offre un aperçu du petit bagage qu’elle aurait aimé avoir quand une oncologue a prononcé devant elle le mot redouté, le fucking mot en C. Rassurez-vous : ce n’est ni lourd ni déprimant.
Quand j’ai reçu un diagnostic de cancer du sein agressif à 43 ans, en 2021, je suis passée par tous les stades habituels : incrédulité, déni, colère, tristesse, abattement… Mais surtout, j’avais trois millions et demi de questions : est-ce que je vais mourir? Comment je vais réussir à faire toutes les tâches insignifiantes du quotidien en sachant que j’ai un cancer? Pourquoi ça m’arrive alors que je prends bien soin de ma santé? Est-ce que je vais perdre mes cheveux à cause de la chimio? Est-ce que ça fait mal, la chimio? Est-ce que je pourrai continuer à travailler? C’est quoi, ça, un ganglion sentinelle? Si les traitements ne fonctionnent pas, on fait quoi? Est-ce que je vais devoir me faire enlever un sein au complet? Et si oui, je vais gérer ça comment, cette immense perte? Et ainsi de suite.
Ce qui m’a frappée, c’est à quel point on est zéro préparé.e à composer avec cette annonce. Pourtant, le risque qu’on la reçoive un jour est passablement élevé – et si c’est pas nous, ce sera un.e proche. En librairie, on trouve des guides pour être un bon parent, pour réussir son jardin, pour bien vivre un deuil, pour aller vers sa peur, pour cesser de procrastiner. Mais rien sur la façon d’affronter un cancer (attention, punch à venir en fin de texte). WTF?!
Voici donc 9 choses que j’aurais aimé savoir quand j’ai reçu mon diagnostic :
J’aurais aimé savoir qu’on a beaucoup plus de chances de guérir que de mourir
Théoriquement, je le savais. Je lis les journaux. Je les avais vus, les chiffres. Mais j’aurais voulu le savoir dans mes tripes.
Sauf que, comme tout le monde, j’ai été contaminée par les innombrables personnages morts d’un cancer (ou en train d’en mourir) dans les films, les romans, les séries (dernière en date : Marie, jouée par Marilyn Castonguay, dans Bellefleur). Leur empreinte est profonde : l’association cancer-mort devient ancrée dans notre subconscient. Ils sont où, les personnages de survivant.e.s qui vivent leur best life, comme c’est souvent le cas après une épreuve du genre? Voici une idée pour une pub télé : faire défiler les visages d’une cinquantaine de survivants et survivantes, tant célèbres que pas connu.e.s, pendant 30 secondes. Ça, ce serait un beau service public.
Car oui, le cancer, c’est une sale loterie.
Mais il y a présentement plus de personnes chanceuses que l’inverse. Faudrait graver ça dans l’esprit des gens, pour atténuer l’angoisse quand la nouvelle frappe.
J’aurais aimé savoir que l’annoncer à ses proches, c’est dur
Ça, je l’avais pas vu venir. Trouver la bonne paire de gants blancs avant de déballer la nouvelle à nos parents, notre famille, nos ami.e.s (et nos enfants pour les gens qui en ont), c’est pas évident.
La perspective de leur causer du souci, de la peine et de l’inquiétude est dure à porter. Et en même temps, on a notre propre angoisse à gérer. Ça fait beaucoup.
J’aurais aimé savoir que l’amour de notre entourage donne des ailes
Recevoir chaque jour des textos des gens qu’on aime et qui prennent de nos nouvelles et nous encouragent, ça remplit le réservoir de bravoure. (Et ça crée une dépendance. Quand ça arrête parce qu’on va mieux, ça nous manque un peu.)
J’aurais aimé savoir que la musique qu’on écoute en chimio sera peut-être gâchée à jamais
Deux ans et demi après mon dernier traitement de chimio, je pleure encore en entendant Dans ma main de Jean-Michel Blais, trame sonore dans mes écouteurs de ces longues et étranges heures.
Je suis peut-être un peu en choc post-traumatique…
J’aurais aimé savoir qu’on peut rire du cancer
Ou, en tout cas, faire des jokes sur le cancer. Au début, ça me scandalisait, mais j’ai vite compris que c’est parfois nécessaire, pour repousser les nuages noirs devenus trop denses.
Merci aux pétillantes filles de @labandecancereuse et du balado La carte cancer.
J’aurais aimé savoir c’est quoi, exactement, le cancer
Bravo à ceux et celles qui peuvent expliquer en quatre phrases claires comment une cellule cancéreuse apparaît, grandit, se reproduit et s’agglutine à d’autres pour former une tumeur. Je l’ignorais totalement, et je trouvais ça absurde : c’est une des maladies les plus répandues, et on ne sait pas comment elle fonctionne?
Mieux vaut connaître son ennemi.
J’aurais aimé savoir que ça prend une place énorme
Quand t’as un cancer, t’es soit à l’hôpital, soit au téléphone en train de prendre un rendez-vous médical, soit couché.e en revenant de ton traitement de chimio, soit occupé.e à lire sur les effets secondaires de ton nouveau médicament, soit en train de devenir spécialiste du nouage de jaquette (pendant la radiothérapie, on a un traitement chaque jour de la semaine). Ça monopolise beaucoup, beaucoup de temps.
Mais c’est aussi important d’essayer de faire autre chose et de se laisser distraire par d’autres sujets de discussion. Vous ne me croirez peut-être pas, mais le débat sur le retour des Nordiques peut presque devenir rafraîchissant.
J’aurais aimé savoir à quel point ça nécessite de l’adaptation
Nouveau vocabulaire, examens inconnus, personnel qui change, chimio annulée pour cause de globules blancs insuffisants, chirurgie qui n’a pas eu le succès escompté : on est à des années-lumière d’un long fleuve tranquille. Plutôt, faut faire comme le roseau et savoir plier dans la tempête.
J’aurais aimé savoir à quel point la vie goûte meilleur après
La gratitude, savourer le moment présent, YOLO, c’est la mode. Mais impossible de RÉELLEMENT le faire tant qu’on n’a pas senti la mort nous souffler dans le cou (même si on meurt moins du cancer, reste que c’est une maladie dont on sort très rarement sans traitements appropriés, alors oui, on y pense souvent, à notre fin potentielle).
Après un cancer, tout est mieux, plus intense, plus savoureux. T’sé, après une grosse grippe, quand tu trippes à goûter ton repas? C’est comme ça, fois 1000. Plein de choses nous font monter les larmes aux yeux : des soupers entre ami.e.s animés, une fougère qui se déroule au printemps, s’endormir en cuillère avec la personne qu’on aime.
Nos priorités sont rebrassées : soudain, ne pas avoir la coupe de jeans à la mode devient extrêmement secondaire. On se balade dans nos skinny, pas maquillée, avec quelques cheveux blancs fous, le cœur plein d’une lumière fulgurante. On est des survivant.e.s, dans le sens qu’on vit plus. On sur-vit. Et y a rien qui accote ça.
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J’aurais pu continuer cette liste longtemps, entre anecdotes, conseils et enseignements. Ça doit être pour ça que j’ai écrit un livre (il est là, le punch!). Ça s’appelle Cancer : mode d’emploi. Un guide pour affronter la tourmente. Il se vend moins que Le guide de l’auto, mais il fait plus de bien.