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Il y a tout juste une semaine, je pleurais un peu plus que le client en demandait à des funérailles. Le plus vieil ami de mon grand-père. Les églises, les petites boîtes qui contiennent des gens en poussière, ça vient me chercher. Mais pas autant que le monsieur avec des lunettes en métal de fantaisie.
J’avais pourtant tenu bon tout au long de la cérémonie; j’étais assez fière. C’est que je suis de celles qui ont bien de la misère, dans les funérailles. Que je connaisse le défunt ou pas tant, chaque fois, c’est pareil: je pleure, mais de façon malaisante. Incontrôlablement. LE MONDE VIENT PAS BEN.
Je vous jure que je n’y peux rien; dès que la chorale part, je perds le contrôle de ma face et les petits enfants du disparu se demandent ce qui se passe avec la fille avec les joues en stroboscope et la duckface de douleur d’un mauvais cover de Safarir.
Dans des funérailles, mon visage, c’est comme les petites pattes de la grenouille morte auxquelles on pose des électrodes dans les cours de sciences dans les vues: spasmatique, il va dans tous les sens, c’est pas moi qui ai le contrôle et tout le monde aimerait être après faire n’importe quoi sauf vivre ce moment-là.
Mais voir mon grand-père poser sa petite main frêle sur le cube d’acajou qui contenait son meilleur chum, lui dire adieu, ça m’a fait décrocher de mon rôle de fille qui se servirait finalement pas de ses kleenex de secours.
On a le droit de pleurer, à des funérailles. Mais comme moi, ça devrait être interdit.
Toujours est-il qu’après ce petit moment de « puppetry of the dignité », le cortège s’est dirigé vers le temple du réconfort où l’on te sert de la salade crémeuse et du Kik cola jusqu’à ce que t’arrêtes de pleurer. Et alors que je faisais honneur à la poule qui avait certainement pas été élevée en liberté pour rien, j’ai remarqué cet homme guilleret, un convive qui, j’en avais l’impression, VOULAIT que nos regards se croisent.
La jeune cinquantaine, nuque fraîchement ciselée; il m’avait tout l’air d’un brave homme qui venait de profiter des 29 jours New Look. Audacieux en Montérégie.
Un peu plus tard dans la soirée, ma mère, pas peu fière, m’informe que ledit convive avait demandé autour de lui si j’étais bien «la fille de l’Internet». Ça arrive. Je ne suis pas Sissy Spacek, mais il arrive, dans de rares moments où c’est toujours un peu surprenant, qu’on me reconnaisse, puisque mon faciès est sur quelques plate-formes. Ça me gêne toujours.
Quelques regards complices plus tard, je l’oublie. Je mange mon petit gâteau blanc avec sa sauce au sucre à’ crème et je me sens peu à peu revivre. J’ai hâte à demain. Au moment de quitter, manteau sur le dos, fleur à la boutonnière, on se dit adieu. Tout le monde retrouve sa fébrilité, toast porté, gorge nouée, Yvon est parti. Puis j’aperçois mon complice d’occasion à la monture Deschâtelets-esque; il se dirige vers moi.
Un faciès inondé de la bienveillance et de la félicité caractéristique du gars qui vient coller la poupoune de premier prix sur ta génisse dans un concours agricole. J’ignore pourquoi, mais il a l’air d’avoir hâte de me parler. Mon visage s’illumine, je suis flattée. C’est ben, ben niaiseux.
C’est à cet instant précis qu’il m’annonce avec chaleur et d’un seul respire, petite main dans mon dos: «Je vais être direct: je te trouve vraiment insignifiante. J’haïs tout ce que tu fais».
IL EST EN FORME.
Il me questionne sur mes capsules Web et mon pedigree, le visage empreint du dédain de celui qui vient de prendre une bouchée de tarte à la marde. Il me demande pourquoi est-ce quessé que je fais ce métier-là, si je suis bien au courant que je suis «une si et une ça», il veut savoir pourquoi j’existe, en fait. Il me pose des questions. Et il exige des réponses. Il me fixe.
Je pouvais pas croire: le monsieur était sorti des Internets.
Ce monsieur typique qui, par soirs de pleine lune, branche sa machine, se craque les jointures et fait le tour de ses sites pour envoyer chiaille les élus de sa liste, qu’importe leurs écrits, et se manifester en tant que citoyen du monde qui a pas l’intention de se coucher à’ soir sans t’avoir dit qu’il t’haguissait.
Qu’il te paye avec ses taxes.
Mais ça fait partie de mon travail.
C’est ridicule de même et surtout un peu triste; si tu veux bloguer ou être simplement accessible sur les réseaux sociaux, ça vient avec la job. Faut que tu acceptes de dealer avec des casses de bain.
THE SWIMMING CAPS.
Du monde que tu connais pas mais qui ont le tour de venir te chercher. Et j’ai pas le feeling que ça ira en s’améliorant. Je ne vous apprends rien, certes. Tout le monde en parle, c’en est presque rendu banal.
Mais jamais, jusqu’ici, quidam en suit trois-pièces n’avait osé mettre son béret et sa crémone pour, EN PERSONNE, venir me faire ses doléances sur ma haute médiocrité. Au St-Hubert. À des funérailles, viarge.
Aucune forme de stress sur son visage lisse comme un péché; il n’y avait pas là l’ombre d’une petite fesse serrée: il vivait un grand moment. Il parlait à la fille qu’il lit dans sa machine. C’est sa job à elle, de l’écouter. De l’accueillir. Et de pas être sûre sûre de ce qui est après se passer. Est’ habituée, c’est ça, le show business. Pis si ça la blesse, a l’a jusse à pas faire ce métier-là.
Si je me souviens bien, son délicat laïus s’est terminé par un senti: «En tout cas, j’imagine que tu dois être intelligente. En tout cas, je te le souhaite».
DES VOEUX. Il m’a formulé vœux. Cerise sur ma tête et sur ce week-end qui s’annonçait fan-tas-tique.
J’étais en colère. Pas tant à cause de la twilight zone que je venais de traverser, mais bien parce que tout ce temps, TOUT CE TEMPS, alors qu’il venait à ma rencontre, je croyais qu’il venait me féliciter. Fallait-tu être tarte.
Moi, si noune. Et lui, si accompli. Je venais de me faire laver à cette mauvaise partie de canasta impromptue.
Mais attention, ¡cuidado!: je ne viens pas, ici, à la pêche au réconfort ni aux compliments; je vais bien. J’ai la ricanette, même. Je tenais simplement, comme j’ai pas pu te mettre ma botte victorienne à la fourche devant la famille endeuillée, petit monsieur, à te souhaiter un sapristi de beau week-end. Ripaille et bombance.
Et va chier.
Je suis peut-être dans le show business, mais je suis pas barrée pour cincennes.
La bise (mais pas à toé).
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