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Carnets intimes de la députée : le reality show du Parlement

Morceaux d'intimité de Catherine Dorion.

Par
Catherine Dorion
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La députée de Taschereau, Catherine Dorion a, dans un petit meuble chez elle, des dizaines de cahiers qu’elle rempli depuis l’âge de 8 ans. Chaque deux semaines, elle y pige des passages et dépose ici ce qu’elle appelle ses « morceaux intimes ». Une belle façon de se rappeler que l’intime est bien souvent universel.

Le parlement

7 février 2019, 22h

Le parlement est un lieu désorientant. Déjà, à l’intérieur, dans les couloirs, je me perds tout le temps. Et ces murs épais, précieux, hautains, à travers lesquels la lumière du jour peine à se rendre jusqu’à nous. L’omniprésence des caméras, des journalistes… Nous sommes les acteurs de leur reality show, c’est entre autres ça la job, et ils se serviront de la moindre rixe innocente, du moindre enfargeage, du moindre décrottage de nez.

Les regards condescendants de certains hommes politiques, jeunes et vieux, qui ont intégré leur supériorité de façon presque animale, mais qui sont sans présence, sans tendresse.

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L’humanité des autres, députés aux yeux tendres et au coeur pas très loin de la main. Et les employés de l’assemblée. La plupart ont une joie douce au fond de l’oeil, c’est leur façon d’aimer certains politiciens plus que d’autres. Je me sens dans leurs bonnes grâces et cela me donne plus de fierté que si le conseil des ministres m’invitait à dîner.

Même les journalistes, quand ils sont détendus, sont doux.

Même les journalistes, quand ils sont détendus, sont doux. Mis à part un ou deux qui, lorsqu’ils me voient passer, scannent machinalement la façon dont je suis habillée (dans leur tête de média, Catherine Dorion = linge), la plupart ont l’oeil intelligent, vif et joyeux, je sais qu’au fond ils ont autant de recul sur leur job que moi sur la mienne, et que nous nous prêtons ensemble à un drôle de jeu quand nous nous y mettons avec les questions et les réponses et tout.

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On me dit de faire attention, qu’ils peuvent me faire une jambette juste pour faire réagir les autres, pour avoir du clic. Je hausse les épaules : on est tous pris dans le même bateau. Si la langue de bois ne fait pas des politiciens des méchants, la « scandalite aigüe » ne fait pas des journalistes des méchants. Tout ça est systémique et extrêmement fort. L’individu doit batailler fort pour son espace…

J’ai hâte de me sentir moins imposteure et plus souveraine là-bas. Pour leur montrer, gang de.

La politique, c’est ce par quoi on s’unit pour créer un monde plus doux, où l’amour, l’entraide et la liberté puissent enfin avoir la cote.

Leur montrer que la politique, ce n’est pas ça. Que la politique, c’est ce par quoi on s’unit pour créer un monde plus doux, où l’amour, l’entraide et la liberté puissent enfin avoir la cote à la place de la compétition, la course effrénée, les tensions exacerbées, le pitchage de bouette et l’érosion de l’empathie jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de nous.

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Sol le disait cette semaine en Chambre : « On n’a plus le temps. (Silence. Les parlementaires ne bougent plus, ne regardent plus leur téléphone.) Le Québec est en train de péter sa coche. (Silence de mort dans la Chambre. Personne n’y parle comme ça. Sol ne se gêne pas. Il a presque les larmes aux yeux.) »

Je me promène dans ces murs sans trop savoir où me mettre : dans un recul complet? Ou à fond dans la game? En attendant, je reste sur la corde raide, celle dont parle Koestler.

« Notre existence se déroule sur deux plans qu’on pourrait appeler la « vie tragique » et la « vie triviale »… Un des malheurs de la condition humaine est que nous ne pouvons vivre en permanence ni sur un plan, ni sur l’autre, mais que nous oscillons entre les deux. Quand nous sommes sur le plan trivial, les réalités du plan tragique paraissent absurdes. Quand nous vivons sur le plan tragique, les joies et les souffrances du plan trivial nous semblent superficielles, frivoles, sans importance… Il arrive que, dans des circonstances exceptionnelles, dans des moments de danger ou d’exaltation, on se trouve pour ainsi dire à la ligne d’intersection des deux plans ; situation curieuse qui oblige à marcher sur la corde raide du système nerveux. Il est un type d’homme condamné à marcher constamment sur cette corde raide : c’est l’artiste et, particulièrement, l’écrivain. »

– Arthur Koestler, Le Yogi et le Commissaire

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