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Carnets intimes de la députée : Catherine à l’Église

Morceaux d'intimité de Catherine Dorion.

Par
Catherine Dorion
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Lundi 25 mars, au café, en sortant de l’église

Sortie du bureau pour aller dîner toute seule au café. Soleil radical, chute d’eau au milieu du désert. Quelqu’un pousse la porte de l’église St-Roch. Je ne réfléchis pas, mes pieds suivent ses pas.

J’entre au moment où le prêtre vient d’enjoindre au monde de serrer la main à son voisin. Fuck, c’est gênant ça. Un homme arrive près de moi avec un sourire si doux, si peu contraignant, un sourire-don. Lui serrer la main me procure une douceur dans la poitrine.

Je m’assois parmi les fidèles. L’orgue joue, la dame aux cheveux blancs chante en avant avec sa voix éraillée comme sortie d’un disque ancien. L’église chante en réponse : des dizaines de voix de personnes qui à première vue n’ont rien à voir ensemble. Ça m’émeut tout de suite.

On pense que les larmes viennent à cause de quelque chose, mais la plupart du temps elles ne sont qu’un pigeon voyageur qui remonte du ventre jusqu’à nos pensées dès qu’on accepte d’ouvrir sa cage. Et qui nous apporte gratos un morceau de l’énigme.

On pense que les larmes viennent à cause de quelque chose, mais la plupart du temps elles ne sont qu’un pigeon voyageur qui remonte du ventre jusqu’à nos pensées dès qu’on accepte d’ouvrir sa cage.

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Une femme détraquée parle fort en se promenant dans les allées : « LA POLICE VA TU NOUS FAIRE UN DISCOURS ÉLECTORAL COUDONC ? » Je me demande si elle m’a reconnue, si elle viendra crier dans ma face. Je n’ai pas peur. Elle peut venir me voir. Je la regarderai avec amour et tout ira bien. Ce qu’on peut se sentir fort quand on a le coeur bandé de bonnes émotions.

Un peu plus et je dirais : Dieu est venu me toucher. Mais je suis agnostique, je ne tire pas de conclusion. Je laisse simplement le massage intérieur se faire. Les larmes coulent encore. Toute cette tension, peut-être. Ou la beauté de ce moment collectif où tout le monde est arrêté, sorti soudainement de sa prison temporelle qui le pousse à gauche et à droite et en avant et par en dessous au gré des caprices de la productivité.

Je regarde subtilement mon voisin de droite, un homme dans la soixantaine qui prie les yeux fermés. Ses dix doigts entrelacés, déposés sur ses cuisses, vêtements gris, une oreillette sur la joue. Un homme occupé. Il respire profondément, sur un rythme régulier. Il est disparu dans sa prière. Il y est. Il n’est pas en train de penser à ce qu’il doit faire après, à l’augmentation de son rendement, à ses dettes, au projet de loi sur la laïcité, fouille-moi.

Je regarde subtilement mon voisin de droite, un homme dans la soixantaine qui prie les yeux fermés. Ses dix doigts entrelacés, déposés sur ses cuisses, vêtements gris, une oreillette sur la joue. Un homme occupé. Il respire profondément, sur un rythme régulier. Il est disparu dans sa prière.

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La beauté de sa concentration me happe – encore. Nouvelle salve d’émotions. À quoi pense-t-il? À sa mère? À son fils? À la mort? Au calme? À la perte? À la vieillesse? Il est dans la stratosphère au-dessus du bruit ambiant, au-dessus de l’obsession de vitesse qui nous occupe sans nous lâcher comme une envie de fumer. Je le trouve tout à coup immensément beau – une image de tableau ancien, malgré l’oreillette.

C’est ça, la beauté : la vie qui réussit à faire passer une craque de lumière au milieu du trouble des journées, des habitudes, de la tourmente intérieure.

Dehors, je remarque sur la porte de l’église un gros graffiti : « DIEU EST MORT ». Je suis triste qu’on ait fait cette grafigne à ce pauvre gros édifice qui résiste à la rentabilité, planté là au milieu du quartier comme un anachronisme, comme une offrande étrange de bouffée d’air et d’espace émotionnel pour ceux qui étouffent dans la pollution mentale.

Je ne sais pas si Dieu a déjà été vivant, mais je sais que je voudrais que dure cet endroit hors du monde où personne n’a rien à dire sur rien, même pas sur une détraquée qui crie des choses absurdes au milieu du prêche. Elle aussi profite de ce moment où tout le monde autour s’astreint à accepter d’abord, à ouvrir son cœur d’abord. Il n’y a pas qu’elle. Nous avons tous besoin de ça. D’irriguer le désert à grands coups de chutes Montmorency.

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