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Carnets intimes de la députée : ça y est, je suis une « femme politique » maintenant
3 mars, 20h, à la chandelle
Quarante-huit heures au campe avec la grosse gang du projet de film. Bouffe, bière, fumée, conversations, caméra, Sol à la guitare. De beaux moments. Ils viennent de partir. J’ai repoussé mon départ à demain matin très tôt. Calme intense. Gémissements subtils du poêle à bois. Mes amis étaient heureux. Je cherche à créer de la communauté, je pense que j’y arrive un peu. C’est si bon. Pas de small talk, juste de la présence. Et de grandes paroles importantes, lancées comme si de rien n’était.
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Je suis déjà tannée de calculer les possibles éclosions de gens fâchés. Je ne veux rien protéger. J’ai de moins en moins peur. C’est la réalité qui m’intéresse. Pas me faire aimer de tout le monde. Je ne veux pas avoir l’air d’autre chose que ce que je suis. Ça serait trop fatigant. Et j’ai besoin de toute mon énergie pour les choses essentielles. Dieu sait qu’il y en a sur ce champ de bataille.
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Mon dieu, ça y est, je suis une « femme politique » maintenant. Ce qui me rassure ces jours-ci, c’est que je sens la force me revenir assez pour que je puisse me remettre à penser ma « démarche ». Ne pas faire les choses seulement parce qu’on me dit qu’elles doivent être faites. Non. Déterminer l’espace de mon action, de mon expression, et le protéger. Je constate, dès que j’arrive à étirer l’espace un peu, que plein de monde se garroche pour le remplir et pour qu’on l’étire davantage, ensemble. C’est beaucoup plus fort politiquement qu’une question en chambre ou qu’une conférence de presse. Mais il faudra en faire la démonstration des centaines et des milliers de fois avant que les regards ne changent de côté. C’est correct. Nous sommes de plus en plus nombreux et, plus important, de plus en plus décomplexés.
Ce qui me rassure ces jours-ci, c’est que je sens la force me revenir assez pour que je puisse me remettre à penser ma « démarche ». Ne pas faire les choses seulement parce qu’on me dit qu’elles doivent être faites.
Nous sommes en train de comprendre que les attaques de ceux qui veulent que nous échouions ne sont pas à éviter, qu’il sera impossible de les éviter, qu’elles peuvent venir, nous en ferons des exercices d’entraînement, cela ne fera que nous rendre plus forts. À force de nous ébrouer, la peur commence à se détacher de nos corps, à revoler loin de nous, parfois direct dans la face de nos adversaires. Nous montons. Évidemment, ils réagissent. Ils n’aiment pas trop ça. Il faut s’y attendre, s’y préparer, et trouver du bonheur dans la bataille. Il y en a.
L’avenir est de notre bord. Nous sommes petits encore, mais le cynisme est déjà en train de changer de camp.
Pour le reste, pour une grande partie de ce qui se passe à l’Assemblée nationale, qui recommence la semaine prochaine, c’est Edgar Morin qui a raison :
« La pensée politique en est au degré zéro. Elle ignore les travaux sur le devenir des sociétés et sur le devenir du monde. « La marche du monde a cessé d’être pensée par la classe politique », dit l’économiste Jean-Luc Gréau. La classe politique se satisfait des rapports d’experts, des statistiques et des sondages. Elle n’a plus de pensée. Elle n’a plus de culture. Elle ne sait pas que Shakespeare la concerne. Elle ignore les sciences humaines. Elle ignore les méthodes qui seraient aptes à concevoir et traiter la complexité du monde, à lier le local au global, le particulier au général. »
– Edgar Morin, La voie