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Notre journaliste et chroniqueuse d’humeur chérie, Émilie Dubreuil, est partie une semaine en Gaspésie, pays du trou, des Fous de Bassan en céramique et moult autres belles choses. Elle inaugure sa participation à notre nouveau site Internet avec ce magnifique carnet de voyage.
Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, les Boules, puis Grosses-Roches… Ici, la route commence à serpenter au creux des falaises offertes à la mer. Dans la brume, on aperçoit le phare de la Marthe, vient ensuite le motel quasi abandonné de Ruisseau Rebours, où je rêve de faire une sieste un jour. Déjà, dans le détour, le haut du Mont Saint-Pierre dénudé et noir s’annonce. Dès le début du virage, la petite maison toute jaune où habite Monsieur le maire se distingue des autres maisonnettes de la plage. Il a choisi le jaune, car c’est plus gaie, ça fait un peu de soleil dans la grisaille impitoyable de ce pays maritime. Tout de suite après, c’est l’Anse-Pleureuse. L’Anse-Pleureuse, la bien nommée : quatre, cinq, peut-être dix petites maisons abandonnées aux affres du vent. Il vente tout le temps ici, un vent qui siffle, bruyant, impitoyable.
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Déjà, Gros-Morne gangrené par l’ennui mortel qui s’y distille lentement comme un châtiment de la brume. Gros-Morne est l’un des villages les plus pauvres du Québec. L’isolement et le désoeuvrement y ont amené l’inceste, la violence, les suicides. Pourtant, Gros-Morne est d’une beauté sans nom : l’immensité de la mer partout et une jolie église qui veille au grain. C’est aussi la promesse d’un autre village derrière la brume déposée sur la montagne grise comme le ciel : Manche-d’Épée.
Après, c’est Rivière Madeleine qui n’a rien d’autre dans la vie qu’une passe à saumon, qui a appartenu à des Américains si longtemps que les pêcheurs ont encore une mentalité de locataires dans leur propre pays. Après Madeleine, La Vallée se creuse dramatiquement : montée, descente abrupte, puis c’est Grande-Vallée avec son église en latte de bois, perchée sur la falaise. La route continue ainsi jusqu’à Gaspé, tous ces villages esseulés au fond des baies, tous ces villages livrés à la rigueur du temps, du vent, de la solitude et de l’éloignement. Tous ces villages ont une histoire de grande misère. C’est la Côte Nord de la Gaspésie. La baie des froidures.
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Nous sommes en juillet, il fait novembre de brumes et de pluie, de tuques et de mitaines. Il ne reste que deux moulins à bois sur la côte, il n’y a plus de morues, moins de homards. La mine de Murdochville qui employait tant d’hommes, ici, est déjà un lointain souvenir.
Après la grande, c’est la Petite-Vallée. Dans toute cette grisaille humaine et économique que fuient les jeunes, le village en chanson et son festival est un véritable miracle. Avec un million et demi de dollars de budget annuel, c’est évidemment le plus gros employeur du coin et une bouffée d’oxygène pour cette région maintenue en vie par le respirateur artificiel des gouvernements. C’est aussi, pour une fois, la consécration de l’esprit d’entreprise qui fait défaut aux gens d’ici, habitués qu’ils sont à «jobber» pour d’autres. N’allez pas croire qu’ils sont paresseux, ils sont vaillants. Ils travaillent 12 heures par jour dans le bois et les mouches, se lèvent à trois heures du matin pour aller à la pêche et ne redoutent pas l’effort. Ils sentent le parfum du bois, ils aiment l’air salin. Malgré l’horizon, ils portent des ornières.
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Alan Côté, le fondateur du festival, un gros et grand gaillard sympathique, lui, a réfléchi. Il y a 27 ans, il s’est dit : «Si je ne veux pas que mon village ferme, si je veux faire découvrir mon pays magnifique de puissance, si je veux rester ici et y faire vivre ma famille, il faut inventer une job.» Il savait chanter, sa mère savait chanter, sa femme aussi. Ils ont décidé de chanter plus fort que la mer pour sortir de la misère. Depuis, c’est souvent ici qu’on découvre les talents de demain. Et tout le village s’en mêle : l’épicier, le curé, le pharmacien, le poissonnier, le fumeur de saumon hébergent les participants, les bichonnent, les aiment. Sur toute la côte, on réserve les billets de spectacles à l’avance pour être certain d’entendre ces jeunes venus ici pour apprendre et on les écoute attentivement, on critique, on compare et on boit un coup en se disant que même s’il ne fait pas beau, les gens d’icitte on le sang chaud.