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Le carnaval est l’équivalent des Olympiques de la musique haïtienne. C’est l’occasion pour chaque groupe de faire ses preuves. Même Luck Mervil s’y est mis cette année avec son premier « merengue » en carrière.
Sur une rythmique rapide, une chanson carnavalesque peut faire une carrière ou conforter une tournée pour le reste de l’année. Sans compter que les plus grands succès sont sélectionnés pour être en rotation fréquente dans les radios et toutes les fêtes jusqu’au 4 mars. C’est aussi l’occasion de porter les décideurs en dérision et critiquer leurs politiques ou attirer simplement l’attention avec des propos controversés.
Une chanson du carnaval peut durer jusqu’à 10 minutes et avoir plusieurs changement de tempo. Comme elles seront jouées en boucle dans les radios et sur les chars allégoriques, leur complexité fait qu’elles se laissent apprécier après plusieurs écoutes. Elles possèdent aussi plusieurs sous-entendus ou jeux de mots que les auditeurs se plaisent à déceler.
La page Soundcloud du site internet Plezi Kanaval, qui compile la presque totalité des chansons carnavalesques de l’année, compte près de 200 entrées. Durant le prochain mois, les amateurs de musique en Haïti vont s’obstiner pour savoir qui l’emporte, selon les différents styles en présence. Les radios vont graduellement changer leur programmation, ajoutant de plus en plus de musique de carnaval. La semaine précédent la grande fête, qui culmine le Mardi gras du calendrier catholique, il faudra chercher les stations qui ne diffusent pas de merengue (prononcé « meringue »).
Encore cette année, la rivalité Djakout #1 et T-Vice, les deux groupes compas les plus populaires, fait beaucoup parler d’elle. Les deux se lancent des pointes très évidentes. Aux premières écoutes, Djakout semble en avance musicalement par rapport à son éternel rival.
Barikad Crew, le groupe rap le plus populaire, revient aussi avec une chanson pour les clubs, TeRaPi. La barre est haute, puisque leur succès de l’année dernière avait enflammé toutes les pistes de danse sans partage.
Le groupe rap et reggae Brother’s Posse était aussi très attendu, lui qui avait dominé les radios l’année dernière avec « A Loral », une chanson qui scande que le gouvernement fait des promesses en paroles seulement. Cette chanson lui avait attiré les foudres de l’administration du carnaval, contrôlée en partie par le gouvernement, qui avait refusé de laisser le groupe parader. Le groupe retourne cette année avec Chochonèt (échaudé), qui envoie encore une fois des attaques à peine voilées contre l’actuelle administration Martelly.
« Je ne fuirai pas devant les Dominicains
Je ne fuirai pas devant les forces armées onusiennes (MINUSTAH)
Mais si c’est pour ma liberté, je suis échaudé
Si c’est pour la justice, je suis échaudé. »
Le groupe s’associe pour l’occasion avec Wòklò, la nouvelle sensation de rap engagé. Wòklò a sorti l’une des vidéos les plus fortes du genre l’année dernière, « Nap lonje dwèt sou yo » [On va les dénoncer].
Luck Mervil, toujours une grande star en Haïti après le méga-succès de son album créole, lance son propre morceau pour la première fois de sa carrière, lui qui venait d’atteindre un sommet avec une pub cheap (et légèrement mysogine) pour un concessionnaire automobile de Port-au-Prince. Sa chanson de carnaval se veut rassembleuse, y invitant plusieurs DJ et artistes populaires pour des caméos. Il appelle aussi à la fin des jugements faciles dans les fêtes et nomme différents styles de musique.
« Même si leurs mères veulent parler
Je n’ai pas de problème
Si le voisinage veut radoter
Je n’ai pas de problème
Si leur père est de la police
Je n’ai pas de problème
Si leur ‘chums’ me regardent
Je n’ai pas de problème
Aïe, aïe, ne me regarde pas mal. (bis)
Ce n’est pas de ma faute si tu es belle comme ça
Si tu me regardes comme ça, je vais te toiser [jeux de mot avec faire l’amour]. »
Le groupe de musique rock-racine Boukman Eksperyans aussi y est allé de sa critique du gouvernement.
Deux des trois fils du président haïtien Michel Martelly ont leurs propres chansons.
Le plus gros nom de la musique électronique haïtienne, G-Dolph, s’est associé à ses protégés, le groupe Suspense.
Le jeune groupe rap Zatrap connaît chaque année un succès fulgurant avec leur carnaval.
Les amateurs de musique vodou, musique traditionnelle haïtienne, retrouvent chaque année Racine Mapou, groupe de la star défunte du genre, Azor.
Raram, l’un des plus célèbres bands à pieds, ces fanfares qui envahissent les rues pendant le carnaval, revient chaque année avec une chanson.
Chaque dimanche depuis trois semaines, les fanfares envahissent les rues en prévision du carnaval national. Celui de Jacmel se tient une semaine plus tôt. Le célèbre groupe montréalais Arcade Fire vient de publier, ce matin, l’affiche qui confirme sa participation à un concert extérieur gratuit sur la place publique de Jacmel pendant la fin de semaine du carnaval, avec une multitude de groupes haïtiens.
Les deux affiches de la fête organisée par Arcade Fire et le Artists Institute de Jacmel, la première pour le public haïtien; la deuxième pour l’étranger.
*Image du haut: La rue principale de Jacmel, Baranquilla, pendant le carnaval en 2011 (crédit: Étienne Côté-Paluck)
Twitter: etiennecp