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Camping sauvage dans le Vieux-Longueuil
L’ampleur du campement saisit.
Au moins une vingtaine de tentes sont installées sur les rues Bourassa et Després, autour de l’organisme La Halte du Coin, un refuge d’urgence aménagé depuis quatre ans dans l’église Notre-Dame-de-Grâce, dans le Vieux-Longueuil. Le refuge, qui héberge 35 personnes, sera relocalisé un peu plus tard – soit le 22 août – dans un immeuble municipal situé à un kilomètre de là.
Un soupir de soulagement pour les gens du quartier, exaspérés par cette cohabitation forcée avec ce campement patenté aux abords d’un parc, d’un terrain de tennis, d’une bibliothèque et d’une école primaire.
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Mais la quiétude du voisinage n’est pas encore gagnée. Si les usagers de la Halte sont censés déménager la semaine prochaine, la plupart des campeurs établis autour du refuge que j’ai rencontrés sur place n’ont pas l’intention de plier bagage.
La résistance
« On résiste! », laisse tomber Serge, 59 ans, en train de boire une Pabst à l’ombre d’une bâche, devant la tente où il dort depuis novembre. Le Longueuillois de 59 ans raconte s’être retrouvé à la rue il y a deux ans, après l’incendie de son logement. « C’est facile de tomber dans la rue, mais dur d’en sortir », confie le gaillard bronzé.
À l’instar de ses amis, il n’a pas l’intention de lever le camp la semaine prochaine. « La première tente a un droit acquis, tant qu’elle reste là, on reste », justifie-t-il en pointant une tente grise.
Celle-ci appartient à Dalton, ironiquement, sorte de shérif autoproclamé du campement, qui se lance dans une explication décousue sur ce présumé droit acquis sur le terre-plein près de la Halte.
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Il assure faire son possible avec Serge et son autre ami, « Le Red », pour maintenir un peu d’ordre dans le campement. « J’ai “clairé” une couple de personnes, mais ça revient toujours. La police apprécie, nous fait un signe de la main en passant », affirme Dalton, en se faisant interpeller par un homme dans un pick up sur la rue, un ancien employeur avec qui il a gardé contact.
« Hey, chef! »
Quelques femmes dorment aussi dans le campement, dont la blonde de Red. « Elles sont protégées», assure Serge.
Pour plusieurs raisons, lui et ses amis n’ont pas l’intention de quitter les lieux. Plusieurs campeurs sont expulsés, d’autres ont épuisé leurs nuitées à la Halte pour laisser la chance aux nouveaux ou ne veulent simplement pas se conformer à ses règlements.
J’ai beau être à des années-lumière de tenir un discours « pas dans ma cour » à l’endroit des personnes en situation d’itinérance, difficile de nier le bordel ambiant.
En plus de la consommation, la chicane semble pognée entre les occupants des tentes de la rue Bourassa et Desprès. Les gens couchés sur les bancs du parc Saint-Jean-de-Lalande – fraîchement rénové – peuvent certainement rebuter les enfants du coin. Même chose pour ceux échoués devant la bibliothèque ou le terrain de l’école primaire des Petits-Explorateurs, à quelques jours de la rentrée scolaire.
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Les vélos sont légion dans les tentes, j’en ai compté une dizaine dans une seule.
Une femme en train de passer le balai devant son espace jonché de déchets éclate en sanglots lorsque je lui demande comment ça va, vu les circonstances. Par-dessus l’engueulade qui a toujours cours dans une tente voisine, elle se lance dans le récit d’une vie triste à mourir impliquant des abus de toutes sortes et plusieurs tentatives pour en finir. Elle dit avoir appelé la police ce matin, parce qu’une femme du campement a monté tout le monde contre elle et menace de la tuer. « C’est certainement pas parce que je crois en la justice, mais c’est parce que j’ai trois enfants et deux petits-enfants. Personne ici ne va les contacter s’il m’arrive quelque chose… »
Une nouvelle réalité
Je m’éloigne en me trouvant franchement niaiseux de n’avoir pu faire mieux que de lui souhaiter bon courage.
À quelques mètres de là, les sauveteurs d’une piscine municipale s’apprêtent à ouvrir la place. « On entend parfois des gens dire qu’ils ne viendront pas à cause du campement ou faire des détours pour le contourner », observe Daniel.
« On sait que ce n’est pas leur faute et ils ne nous dérangent pas. On s’y fait, c’est une nouvelle réalité », nuance son camarade Akim.
Une nouvelle réalité. Là-dessus, tout le monde s’entend.
Aussi bien les campeurs qui habitent Longueuil depuis toujours que les gens autour et les autorités.
Lointaine est l’époque où Montréal avait le monopole de l’itinérance, et aujourd’hui, on sursaute devant l’étendue de cette misère en plein cœur du 450.
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Au point de voir Dolorès, qui habite un autre quartier, débarquer avec une amie pour lui montrer le campement. « On fait du tourisme! », s’exclame la dame, qui craint de voir le campement s’étendre jusqu’à chez elle.
Dans le voisinage, pas besoin d’être un expert en synergologie pour lire l’exaspération sur le visage des gens. « Je ne veux plus gaspiller mon énergie pour ça », soupire une résidente en refermant la porte. Une autre me fait un gros « non » de la tête à travers sa fenêtre, avant de refermer les rideaux sèchement.
Un peu plus loin, Marie-France accepte de me raconter un peu les désagréments liés à ce voisinage inusité, dont quelques tentes se trouvent juste en face, de l’autre côté de la rue. « On a eu un itinérant dans notre cour, l’autre jour. Le problème, c’est qu’il a laissé la porte ouverte en sortant et j’ai de jeunes enfants… », souligne la mère de famille, en me pointant la rue passante devant sa maison. « Plusieurs voisins se sont fait voler, mais il n’y a que des jouets d’enfants dans notre cour », se console Marie-France, qui refuse toutefois de condamner les campeurs. « Le jour où ça ne sera plus mon problème, ça sera celui de quelqu’un d’autre. Il faut leur trouver une place pour rester », affirme la maman avec empathie, qui déplore toutefois de ne pas pouvoir envoyer ses enfants profiter du parc rénové. « Aucun parent ne veut envoyer ses enfants jouer là-bas. L’an dernier, l’école primaire assurait le transport scolaire aux élèves, même à distance de marche… »
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En finir avec la chronicité
Comme le mentionne Marie-France, la solution – comme on le martèle partout ailleurs en matière d’itinérance – réside dans la création de logements sociaux.
Et c’est exactement le projet en cours sur le terrain de La Halte du Coin, et c’est la raison pour laquelle le refuge sera relocalisé, la semaine prochaine.
À terme, le projet Un toit pour tous, construit en deux phases sur le terrain de l’église, abritera, d’ici 2025, 84 unités de logements sociaux destinés aux personnes à risque ou qui tentent de se sortir de l’itinérance.
Une grande clôture ceinture déjà le stationnement, à quelques semaines du début des travaux.
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Dans son bureau à l’intérieur du presbytère, le directeur général de La Halte du Coin, Pierre Rousseau, se réjouit de voir que les choses vont enfin bouger. « Le modèle dortoir d’urgence comme ici, c’est révolu. Ça prend plus qu’un lit et un repas, sinon on encourage la chronicité », explique M. Rousseau, un ancien commandant du Service de Police de la Ville de Montréal, à la tête de l’organisme depuis 14 mois.
Une visite de l’église convertie suffit pour comprendre sa fébrilité à l’idée de déménager ses installations.
D’abord, le toit du bureau attenant, gondolé, qui menace de s’écrouler depuis les pluies diluviennes de la semaine dernière. Dans l’église, les lits de camp sont pliés de chaque côté, autour des tables en plastique menant jusqu’à l’autel. La chaleur est étouffante et les fenêtres sont ouvertes ou encombrées. Dans un recoin de l’église, on a même érigé une tente à cause du toit qui fuit. « À la nouvelle halte, je vais avoir des lits d’urgence, mais je vais devoir demander aux gens de se commettre, au niveau de la réinsertion », explique Pierre Rousseau, fier de voir que son équipe le suivra à la nouvelle adresse pour poursuivre leur mission qui s’annonce périlleuse.
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Pour peaufiner la nouvelle halte, M. Rousseau dit avoir fait ses devoirs en s’inspirant de ce qui se fait de mieux ailleurs, notamment dans des ressources en itinérance situées à Saint-Jérôme, Trois-Rivières et Montréal. « On va avoir des accès contrôlés, des chambres découpées pour les habitants temporaires et des mini-logements pour favoriser la réinsertion », décrit le directeur général, qui a d’ailleurs confié une partie des travaux à des résidents de La Halte. « Ça prend un endroit digne pour stabiliser les gens et obtenir des comportements dignes », illustre-t-il.
Pierre Rousseau salue la collaboration de la ville, notamment pour l’obtention d’un immeuble municipal à loyer modique et pour la sensibilité de la mairesse à l’endroit de sa clientèle. « C’est sûr qu’on aurait espéré un bail plus long que deux ans, mais j’aime mieux voir le verre à moitié plein, et c’est à nous de faire nos preuves », estime-t-il, soulignant son intention d’aller faire du porte-à-porte avec une conseillère municipale, lundi, pour rassurer le voisinage de la nouvelle adresse.
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Quant aux gens qui campent actuellement sur le terrain et qu’on aperçoit à travers la fenêtre de son bureau, il me renvoie à la mairie de Longueuil. « C’est déchirant. On aimerait ça, aider tout le monde, mais une partie d’entre eux ne veut pas avoir de couvre-feu. Le campement leur donne une certaine liberté », soupire Pierre Rousseau.
Plus de 70 tentes sur le territoire
J’ai justement rendez-vous avec la mairesse Catherine Fournier pour faire le point sur la situation.
En route vers la mairie, je fais un détour à l’endroit où la halte sera relocalisée, au Centre Jeanne-Dufresnoy, sur le boulevard Curé-Poirier.
Je comprends rapidement pourquoi Pierre Rousseau disait ne pas croire que les campeurs qui sont actuellement autour de La Halte se déplaceront jusqu’ici.
Autour du boulevard et de la station-service, on trouve peu d’espaces verts ou d’endroits propices pour y piquer une tente. J’ai pu jeter un œil au futur refuge, encore en chantier, qui n’avait franchement pas l’air prêt à accueillir des résidents d’ici une semaine.
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À l’hôtel de ville, la mairesse Catherine Fournier semble sûre de voir les travaux aboutir à temps et ne cache pas une augmentation exponentielle de l’itinérance sur son territoire depuis la pandémie. « C’est un enjeu que je connais et que je suivais quand j’étais députée de Marie-Victorin (2016-2021). Mais le phénomène des campements est nouveau. Avant, c’était plus marginal, caché dans les boisés, par exemple », relate la mairesse, bien au fait du portrait de l’itinérance dans sa ville.
« On compte plus de 70 tentes en date d’aujourd’hui. Autour de La Halte, au bord du fleuve ou éparpillées », énumère-t-elle.
Si les campements font désormais partie du décor, ça ne veut pas nécessairement dire qu’il faut s’habituer au phénomène, nuance-t-elle. « C’est souvent dangereux. On fait régulièrement des tournées avec la police, les pompiers et des intervenants sociaux du CISSS pour s’assurer de la sécurité des gens et les orienter vers des ressources », explique Catherine Fournier, qui juge important de maintenir un contact avec ces marginaux pour mieux intervenir.
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Si elle fait preuve d’empathie envers ces campeurs dans le besoin, elle comprend aussi l’exaspération des citoyens, particulièrement ceux habitant autour de La Halte du Coin, qui ont déjà fait leur part de sacrifices. « Les gens ont fait preuve d’une grande patience, ils veulent aider et je suis sensible à leur sentiment d’insécurité. Je ne veux pas associer ça à un phénomène de “pas dans ma cour” », analyse-t-elle, évoquant l’ouverture des gens envers cette population à risque.
Réaliste, la mairesse s’attend à voir des campeurs se déplacer après la relocalisation du refuge, et d’autres rester sur place.
Mais selon les règles en vigueur, la ville ne peut pas forcer un démantèlement si les refuges sont à pleine capacité (ce qui semble le cas présentement) et s’il n’y a pas d’enjeu de sécurité imminent. « Avec les travaux, ça risque d’être moins agréable comme endroit où vivre… », résume la mairesse, en lien avec l’important chantier qui s’amorcera sous peu sur le site de l’église.
En attendant, les campeurs ne vont pas disparaître par magie, qu’ils restent ou non.
Et l’hiver est encore loin.