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Cahiers intimes de la députée: lettre d’amour à Richard Desjardins
Quand URBANIA m’a demandé de collaborer toutes les deux semaines, j’ai dit, pas le temps. Puis j’ai pensé…
Dans un petit meuble chez nous, des dizaines de cahiers pleins s’empilent, le plus ancien est rose avec des pointes de ballet et une petite serrure pétée, je l’ai rempli à 8 ans, je n’ai jamais arrêté depuis.
Je vais piger là-dedans et déposer ici des morceaux intimes de toutes sortes. Je crois à ça. Que l’intime touche à l’universel. C’est en dehors que nous sommes le plus différents.
Je veux aussi défaire l’image du politicien. Tant qu’on pensera qu’il est impossible d’aller en politique sans devenir un robot, on n’avancera pas sur le chemin de la guérison collective. La politique est sale, êtes-vous nombreux à dire. C’est peut-être parce que vous n’êtes pas games d’y aller, vous qui brillez de lumière.
Aujourd’hui, une lettre à Richard Desjardins, écrite d’un seul jet pour ne jamais lui remettre. J’étais dans le bois à reprendre mon souffle entre deux tornades médiatiques et j’écoutais « Va-t’en pas » sur repeat en braillant – c’était positif, je sentais que quelque chose guérissait. J’ai été prise d’un tel élan de reconnaissance. Fallait que ça sorte.
Lettre d’amour à Richard Desjardins. Quelque part en décembre 2018.
Salut Richard,
À Québec nous avons été une bonne gang à vivre des émotions collectives dans la dernière année, à cause de la politique. Y a eu des fois où nous nous sommes pris dans nos bras entre inconnus avec des larmes qui sortaient, juste parce que dans nos paysages intérieurs nous avions libéré des avant-postes à partir desquels bombarder ce système-tripalium qui fait sa job de bras en chacun de nous.
La culpabilité catholique reçue en héritage est encore bien active, toute reformatée pour la religion du jour : tu n’es pas performant, efficace, productif? Tu es coupable. Tu seras toujours coupable. Ça ne sera jamais assez.
Nous avons libéré l’idée qu’au lieu de se battre soi-même en dedans à coups de ceinture, on pourrait se battre au-dehors contre ce qui veut nous faire rentrer dans une forme qui n’a pas de bon sens.
Des amis nous demandent ce que nous faisons là, à cette grande déception des incomplets-veston. C’est entre autres à cause de toi. Tu es l’oncle punk et précieux qui nous a dit, entre mille critiques des parents, « Je te reconnais ».
Tu as sûrement reçu beaucoup de lettres d’amour dans ta vie. En voici une de plus.
Tes mots pansent pour vrai, Richard. Le courant souterrain qu’ils nourrissent retape les tunnels que d’autres bombardent jour après jour de leurs credos pleins de méchanceté comme à l’école primaire.
Tes mots pansent pour vrai, Richard. Le courant souterrain qu’ils nourrissent retape les tunnels que d’autres bombardent jour après jour de leurs credos pleins de méchanceté comme à l’école primaire. Tu es notre poète des Amériques, notre Atahualpa Yupanqui du Nord, il y a des saints qui parlent à travers toi – mais des vrais saints, avec du sang qui bouille et une droiture pleine de noeuds et des détours croches qui montent drette au ciel. Deux vers de toi upstagent en deux secondes toute l’acidité de ce monde frustré par la vitesse. Ils nous prennent par le flanc pour nous grounder, nous, désorientés, qui cherchons le sens au milieu du plus gros dépotoir de divertissements de l’histoire de l’humanité, où nous sommes tour à tour les vendeurs et les consommateurs de cette drogue, pris là-dedans jusqu’au cou, plus de place pour nous autres ni pour le temps qui coule si vite dans le trou du lavabo que l’amour n’a pas le temps de s’accrocher nulle part.
Ta poésie est plus militante que 99% des prises de parole politiques, elle rend hommage aux mots avant de les prendre, comme des Innus avec le caribou. Elle les remplit de substance séditieuse, torrentielle, amoureuse, parce que le coeur est séditieux, c’est lui qui fait tous ces problèmes, qui nous dit « si tu continues, je fais la grève, je te crisse en burn-out », qui cherche les autres, qui veut nous sauver de ces silences bondés d’autobus tombés sur le dos.
Tu as caché partout, pour nous autres les révolutionnaires à venir, de la bouffe chaude pour nous faire tenir. Tu ne sais peut-être pas à quel point, sans toi, rien ne serait pareil. Nous avons la poésie plantée dans nos actes, plus solide parce qu’il y a la tienne tissée dedans, plus chaude parce que ta sensibilité de héros rare a mis nos désirs et notre amour à broil. Tu libères. Richard : nous serons à la hauteur. Nous ferons ce qu’il faut.
Ta poésie est plus militante que 99% des prises de parole politiques, elle rend hommage aux mots avant de les prendre, comme des Innus avec le caribou.
Quand nous vacillerons, nos amis seront de plus en plus nombreux à nous remettre sur le sens, de plus en plus gros d’espoir, l’âme chargée de victoires accumulées et d’une nouvelle arrogance magnifique. Quand nous recevrons en pleine poitrine les salves maximum de ces juges en lambeaux noirs qui n’ont jamais aimé personne, nous constaterons avec étonnement que nous ne tombons plus, que nous sommes encore debout. Et à chaque accalmie nous chanterons : la suture a tenu le coup, well let’s drink to that.
C’est ainsi qu’on commence à se bâtir un pays où la nature ait repris ses droits. Nous aurons des territoires coulés dans nos veines et des amours qui valent la peine.
Pour monter là c’est officiel, faut pas que tu mettes ton plus beau linge, mais rendu là c’est pas mal beau, avec des arbres gros comme ça. C’est là que la lune fait ses plus beaux shows.
Un gros char de reconnaissance pour toi,
Merci Richard,
Catherine
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