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31 janvier. Ça fait trois mois que, chaque matin, je lace mes nouvelles bottes en mouton d’inspiration équestre (?) que j’ai tant voulues stylées mais qui, en bout de ligne, sont assez ordinaires, pour braver le grésil quand je chancèle une heure sur le terre-plein en attendant que quelqu’un me laisse traverser le boulevard en hurlant de peur. Je les regarde, mes bottes, et je dirais que je serais peut-être due pour un petit peu de «stuff».
Une femme est morte étranglée par son foulard et moi, je rédige un billet sur MES BOTTES.
De grâce, restez.
L’hiver dernier, mes Sorel avaient trépassé en mars (tu parles d’un temps pour trépasser), ne me donnant pour options que de me procurer le modèle en vente à motifs celtico-tex-mex dont personne n’avait voulu de la saison, ou de me calfeutrer le souci au duct tape d’élégante façon, avec possibilité d’en optimiser l’imperméabilité avec des sacs blancs du Jean Coutu et un peu de poésie.
Deuxième option ce fut.
Une courte période Bonheur d’Occasion, cannes de petits pois LeSieur en sus. Mon printemps, je l’ai mérité en maudit.
Mais cette année, dès que la première feuille de septembre a vascillé, j’étais assise aux aurores, bien droite devant les Internets et vent à la chevelure, prête à me procurer ces bottes en loup marin qui ne me laisseraient jamais tomber.
Premier constat: c’est ben cher, des bottes d’hiver, calvaire de viarge.
Deuxième constat: acheter des bottes d’hiver en ligne, c’est trop risqué. Tous ces modèles. Toutes ces textures. TOUS CES MATÉRIAUX.
Il me fallait aller m’y écarter les doigts de pieds en boutique. Palper le produit en personne. Humer le nubuck.
J’avais repéré le modèle ULTIME (le modèle d’inspiration équestre). Celui qui, à force d’être googlé, était devenu ma raison de vivre. Mais je devais faire vite, d’un coup il en reste plus (je vous rappelle que les fleurs ondulaient encore au gré de la brise, dehors).
C’est ce jour-là que j’ai fait connaissance avec le vendeur de chez Browns.
Vous savez, le carriériste. Celui qui vous remet sa carte d’affaires.
SA CARTE D’AFFAIRES.
Je suis conceptrice-rédactrice. Je passe ma vie à serrer des mains. À vendre mes services. Et j’ai pas de carte d’affaires (je sais). Mais lui, prince de la suédine, il en a une. Et je vous dit qu’il vous la tend au premier battement de cils, scusez-moi-pardon, il est pas peu fier de sa profession. Quand tu vas te coucher à soir, fille, t’auras toutes les informations en main: son nom, son titre et le nom du magasin où il travaille.
Je respecte ça et glisse discrètement sa carte-sixtine dans ma poche en repérant la sortie de secours la plus proche.
Le vendeur du Browns m’a repérée dès l’instant où j’ai posé godasse sur le carrelage de sa boutique. SON PALAIS. Il avait beau y avoir 358 autres acheteux de pantoufles, lui, n’allait pas terminer cette saint-sifri de journée-là sans me donner le meilleur service de sa god damn life.
Évidemment, il a tout de suite remarqué le modèle que je zieutais. Je vous jure, il a eu une émotion:
« Vous avez pas idée à quel point vous venez de prendre la meilleure décision de votre vie. Ça, je sors nu-pieds là-dedans, l’hiver, madame. »
Premièrement, tu sors pas nu-pieds là-dedans l’hiver, parce que ça se fait pas dans ta taille de grand rouquin aux pieds pointus et ensuite, je ne saisis pas avec l’acuité nécessaire l’argument de vente de sortir en pieds de peau dans mes bottines par soir de tempête, sauf si je m’apprête à accoucher de Blanche.
J’ai trouvé le modèle que je voulais. Sans jamais lui adresser la parole. Le moins de eye contact possible. Et après 15 minutes du pitch de vente le plus inspiré, impliquant et intrusif de toute l’histoire des relations vendeur-acheteuse de bottes, je lui ai arraché mon dû des mains et j’ai fui à la caisse. UNE SAUVAGESSE.
Mais oh qu’il n’allait pas me laisser partir ainsi. Nous avions désormais une relation. Un flirt bas de gamme. Une option sur un condo.
Voyant que je n’adhérais pas à sa ligne de sourcil, il a sorti son arme secrète: ses «stuffs». Imperméabilisateur de bottillon. Hydratant à vachette. Baume (baume!) pour bottes de pluie.
Ta botte a le caquet bas? Appliques-y un baume. Emmène-la aux vues. SOUPEZ DANS UNE TRATTORIA.
J’ai beau être une consommatrice avertie de niveau «Kill Bill», lever le nez sur «les stuffs» n’est jamais chose aisée. Et tu peux être sûr que le vendeur carriériste t’attend dans le détour avec ton « je n’ai à’ maison » empreint de culpablité d’être après mentir à un individu qui te fait de la peer pressure.
Parce qu’il te sort toujours LA bouteille que t’as pas. LE Pantene à mocassins. Et cette fois, ce fut le coup de grâce: ce qu’il a sorti de sous le comptoir, c’était le leather caress. LA CARESSE DE CUIR.
Et tout le champ lexical qui va avec.
C’en était trop. Avec tout ce stress de me chausser adéquatement cet hiver, cette anxiété de devoir me réinsérer le pied dans un sac blanc et ce rouquin qui voulait que je reparte avec des bottes, six sprays, une caresse, un drôle de chapeau et la promesse de le e-mailer chaque fois que j’aurais besoin de semelles thermiques, j’ai, au comptoir, tout abandonné. JE L’AI SACRÉ LÀ.
J’ai trouvé mes bottes sur Ebay. Aubaine louche, probablement volées à une bienveillante grand-mère, mais tant pis. Il n’y avait pas de carte d’affaires dans la boîte. De la business à l’ancienne.
Mais voilà. Ça fait trois mois que je repousse l’inévitable constat.
J’ai beau me sprayer le chausson de toutes les bouteilles grises avec icône de chaussures que je possède, les oindre de baume, rien n’y fait. Le calcaire de ma rupture avec le carriériste rouquin est définitivement après prendre le dessus sur mon solage. J’ai la grimpante. On jurerait qu’une nuée de cacatoès s’y est soulagée avec colère. On me toise du regard. Me questionne l’hygiène. Je suis maudite.
Soyez toujours gentils avec votre vendeur de chez Browns. Votre 2014 pourrait cruellement manquer de Leather caress.
PS TENDRESSE :: C’est vrai qu’on est bien, nu-pieds, dans ces bottes-là.
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