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Ça n’a pas marché avec Agathe

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Même si je tâche de me dompter, j’achète BEAUCOUP de choses. Et j’en retourne beaucoup, aussi. C’est quasi sportif. Limite olympique. Des bottillons laqués. Des appuie-livres en sirène. Des jeans stretchés. Des figurines avec un sombrero. Mais si ma mémoire est bonne, je n’ai jamais retourné de chien.

Par les temps qui courent, mes proches ne prennent plus la peine de passer chez moi, gerbe de renoncules en main, pour prendre des nouvelles ou un Salada. Ils vont plutôt direct chez le vétérinaire, où j’ai élu domicile depuis six mois avec mon poodle qui n’en finit plus de faire des otites. Champignons. Bactéries. On n’est plus sûrs sûrs. Mais je vous dit qu’il se verse des gouttes dans ces oreilles (DES OREILLES QU’ON AIMERAIT MORDILLER POUR LA VIE)-là, mon ami, notre prochain espoir étant de brûler de la sauge en chuchotant de l’Araméen ou d’immoler la chose par le feu.

(C’est une image. Je ne mettrai pas le feu au cuir de mon chien. N’est-il pas.)

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Petit fond de désespoir sur lit de « ben coudonc », chaque fois que je crois que c’est gagné, Stella remue souverainement la tête et un élégant bruit s’apparentant à un flacottis de substances dont je tairai ici l’aspect s’échappe de son oreille pour me signaler que peste noire et phtisie galopante y sont plus vigoureuses que jamais.

Les sauterelles. Les ténèbres. Et Jeff Goldblum qui me murmure que la vie trouve toujours son chemin. Cette otite a le visage à moitié peinturé en bleu et hurle « Liberté » tous les matins que le bon dieu nous amène en ricanant à la simple évocation du mot « guérison ».

Mais nous ne lâchons pas prise.
Oh non. Et je vous dis qu’on s’accroche au pilulier comme Grimaldi à son turban.

C’est pourquoi mardi matin, nous patientions, comme d’habitude, dans la salle d’attente de chez monsieur le vétérinaire. J’attends d’ailleurs impatiemment qu’on m’annonce l’érection de mon portrait au fusain dans le chic hall d’entrée, en l’honneur de mon assiduité et du pipeline qui part désormais de mon porte-feuille jusque dans celui du vet. Les moulures pis le cachet de c’te place-là, je les ai financées, de la plantation du bois précieux jusqu’au ciselage de la main d’un centaure.

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Je subsiste aux toasts au beurre de pine, mais j’ai un maudit beau vétérinaire.
On s’accroche à ce qu’on peut.

Bon. Je m’accroche surtout aux yeux de California Raisins que mon caniche me fait chaque matin pour me témoigner tout son amour et sa reconnaissance, c’est bien certain.

Ce qui ne semblait pas être le cas de cette charmante dame au tricot Pierre Cardin. Dès qu’elle a poussé la porte, un délicat parfum de raffinement et de sophistication a immédiatement enveloppé les lieux, donnant l’impression à quiconque en humait le bouquet de s’être lavé au jet d’eau et à la petite poignée de poudre qu’on te lance à Alcatraz.

Une dame élégante. Une Françoise, à n’en pas douter.

Et Françoise tenait en sa main une laisse retenant une magnifique bête dont la grâce, malgré son jeune âge, nous faisait croire que la harpe qu’on entendait était bien réelle. Un faisceau de lumière perçait les nuages pour en éclairer toute la perfection du pedigree. Ce pure race-là sauterait bientôt dans des cercles de feu, c’est sûr.

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Françoise était pressée, par contre.
Elle faisait tambouriner sa manucure au gel sur le comptoir, agréable comme le vent dans les saules. C’est qu’elle devait préparer sa partie de golf, aller magasiner aux Outlets, ou simplement faire quelque chose de mieux qu’être ici, parmi les gueux, à attendre qu’on s’occupe de son animal.

Je dis ça parce que du soupir, il s’en échappait de cette belle bouche nacrée-là. Oh que Françoise trouvait ça long (la porte d’entrée n’était même pas encore refermée de son arrivée).

Devant la petite tension qui s’installait dans la pièce, la réceptionniste sortait son small talk le plus haut perché en cherchant le dossier de sa cliente.

« Alors comment elle va la belle Agathe? »

Soupir chevalin de dame qui développe à l’instant une violente couperose.

« Non… ça’ pas marché avec Agathe. Lui, c’est Charlie »

Comment ça, ça’ pas « marché » avec Agathe? Il manquait un morceau dans la boîte? Elle jurait dans le décor de la cuisine d’été?

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Eh bien il semblerait que la pauvre Agathe, ex-petit-miracle-canin de Françoise, ne faisait pas l’affaire. Elle jappait. S’excitait, selon les dires de la brave dame. Un vrai chien de campagne. Pas de ville. La bête écorchait son statut et ses dimanche après-midis; comme la vermine, elle a donc réglé son cas. Le chenil ou le bord de la 20, qu’importe; Agathe ne jure désormais plus dans le décor.

Voir si ça a de l’allure, un chien qui jappe, pas capable de se tenir tranquille près du Fabergé.
Eille, on n’a plus les chiens qu’on avait.

Puis, Françoise a posé son prestigieux derrière sur l’assise d’une chaise design, juste en face de moi.

Comme on passe le plus clair de nos jours chez le vétérinaire, ma chienne a développé une petite anxiété, un embryonnet de peur panique chaque fois qu’elle y met les pattes. Et fidèle aux vœux de faire honte à sa mère chaque fois que l’occasion se présente, Stella soupirait compulsivement À LA MORT, en proie à de violents spasmes et, petit bonheur faisant, se traînait le derrière toutes les deux minutes à mes pieds. La gloire.

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Inutile de vous dire que la Françoise nous toisait de ses petits yeux secs, moi et mon échec de maîtrise canine. Et alors que j’étais certaine qu’elle s’apprêtait à m’offrir deux piastres et une canne de fèves pour que je l’ouvre avec ma dent unique (d’un bon coup de tête senti) et calme enfin l’horrible famine de pauvresse que j’avais l’air d’être, Françoise me fit plutôt l’honneur de sa conversation:

« Elle a quel âge, votre chienne? »

« Six ans. C’est une grande fille, même si en ce moment, elle a pas l’air d’avoir passé sa deuxième année »

« Oh. Vous êtes bonne *MÉPRIS*. Un petit chien qui grouille de même, moi, je serais pas capable. Je préfère les chiens calmes »

Si Sarah préfère la course, Françoise les préfère calmes. Muets. TAXIDERMÉS.

Et quand ça fait pas l’affaire, c’est dans le caniveau, avec les factures.
Un chien qui répond pas aux standards, ça se retourne peut-être pas chez Simons, mais ça restera certainement pas dans son décor Mariette Clairmont.

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Et même si Agathe, l’ancien modèle, a eu le privilège de partager sa vie avec sa maîtresse assez longtemps pour que la réceptionniste du vet se souvienne de son nom, ça s’adonne qu’elle grouillait trop, elle aussi.

Ça fait que FUCK AGATHE.

Comme une vieille paire de godasses derrière la Plaza Saint-Hubert, Agathe a pris le camp. Et vit aujourd’hui on ne sait où. Ou pas. C’est pas bien important; le principal, c’est qu’elle a débarrassé pis ça, Françoise en est fort satisfaite.

Son désir de beauté est sustenté. Charlie est si calme que l’envie de prendre ses signes vitaux m’assaille chaque fois que je pose les yeux sur la pauvre bête.

C’est que Charlie sait. Elle a flairé la marotte. Si elle a le malheur de ne pas maintenir le standard ou de changer de couleur, c’est arrivederci.

Après tout, un chien, c’est pas un être humain.
Françoise peut donc le traiter comme sa collection de parfums et disposer des fioles qui ont terni ou mieux, les sacrer dans une boîte au bord du chemin. Les indigents feront bien ce qu’ils veulent de son Anaïs Anaïs.

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Eh bien chère Françoise, permets-moi de t’adresser ces quelques alexandrins.

Tu déménages? Tu gardes ton chien.
Tu feels plus chat? Tu gardes ton chien.
Tu te fais plus chier que tu pensais parce que ton chien ne se comporte pas comme le chérubin en porcelaine que t’époussettes en écoutant du Vivaldi dans la perfection de ton cottage avec vue? TU GARDES TON SACRAMENT DE CHIEN, QU’IMPORTE LE TYPHON.

À l’approche du 1er juillet, je mettrais bien une couple de Françoise dans un sac vert en me fendant la glotte d’un puissant « LIBERTÉÉÉÉÉ!!! », visage mi-peau mi-cyan, avec toute la satisfaction que se débarrasser de l’indésirable semble procurer.

La bise.