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Ça doit être difficile d’être toujours en crisse
En fait, non. Je l’ai longtemps été. Et, pour vrai, c’est pas très difficile.
Mais calvaire que c’est épuisant. Pendant longtemps, j’ai été le gars qui pétait des coches. Qui se choquait après des affaires que j’avais lu sur le web, qui débattait avec des gens qui disaient des câlices d’insignifiances du genre «Les Jutra un autre beau party payé avec nos taxes» ou toute phrase qui commence par «Dans un gouvernement d’Option Nationale (…)».
Et un moment donné, je sais pas. C’est peut-être le cynisme qui s’est emparé de moi, ou peut-être que j’ai juste été fatigué, mais j’ai fini par arrêter de vouloir montrer que j’ai raison. Et finalement, je me suis rendu compte qu’on peut avoir raison sans essayer de convaincre tout le monde que c’est le cas.
Fait que maintenant, je choisis mes combats. J’essaie de ne pas prêcher aux convertis, tout comme j’essaie de ne pas débattre avec des gens qui ne changeront jamais d’idée.
Il y a plusieurs raisons de ne pas changer d’idée. Peut-être qu’ils sont trop, diamétralement, opposés à moi. Peut-être qu’ils ont juste une échelle de valeurs différente — c’est sûr que si, pour toi, l’État ne devrait jouer aucun rôle dans la vie des citoyens, on va avoir de la misère à s’entendre sur la légitimité de l’existence de la SAQ, mettons. Fait que sais-tu quoi? Laisse faire, mon gars. Continue de vouloir acheter du vin à soixante piastres au dep, pis je vais continuer à soutenir les employés de la SAQ du mieux que je peux. (Zapoï.) Peut-être aussi qu’il ne s’agit même pas de faire changer d’idée, mais juste de conscientiser. OK, all good.
Mais il y a des choses que je ne m’explique pas. Combien de gens prennent leurs journées à s’insurger en vase clos, dénonçant à coups de blogues, de pages Facebook et de manifestations qui ne parlent qu’aux convaincus et qui ne deviennent au final que des manières de pouvoir dire qu’on aura fait partie du combat, qu’on aura fait notre part?
Loin de moi l’idée de discréditer un effort ou un autre, ou de remettre en question la sacro-sainte diversité des tactiques si chère aux militants-avec-un-grand-M.
Mais ne doit-on pas, un moment donné, se demander si ce qu’on fait a, finalement, un impact quelconque?
Pour qui se bat-on, en fin de compte? Pour la cause, vraiment, ou pour s’inscrire dans une quelconque filiation historique, pour espérer être une note de bas de page quelque part dans la grande partie d’échecs du Progrès?
On a beaucoup fait de bruit dans les dernières années à propos du slacktivisme, cette idée voulant qu’en changeant sa photo de profil pour une image mettant en vedette une cause, ou en tweetant un certain hashtag une certaine journée, on allait Faire Avancer Le Dossier. On en a décrié les effets pervers: « il ne s’agit pas que de ça, » nous disait-on, « il faut poser des actions concrètes! »
Soit.
J’ai l’impression qu’on assiste à un certain retour du balancier, au sens où je sens parfois qu’on tente des actions pour le simple fait d’avoir posé un geste. Sans même se demander à quoi ça sert.
J’aimerais bien qu’on m’explique, lentement s’il le faut (parce que je ne comprends pas très vite), si quelqu’un croit réellement qu’un blogue/site web/tumblr répertoriant, je sais pas, moi, les insultes que lancent [les machos/les péquistes/les caquistes/le Canada anglais/les anti-charte] envers [les féministes/les libéraux/les solidaires/les Québécois/les pro-charte] arrivera concrètement à changer quoi que ce soit. On peut bien dire qu’on met en lumière certains comportements, et je l’accepte, mais je me demande à quoi sert, réellement, une pancarte qui ne sera vue que par les gens qui l’ont faite, ce que peut donner un slogan qui ne sera entendu que par les gens qui le scandent, à quoi bon un blogue qui ne sera lu que par des gens qui croient déjà ce qu’il s’y raconte.
Je ne suis pas anti-débat. Je suis même résolument pro-obstinage: vous demanderez à mes ex. Ceci dit, il me semble voir surgir, depuis quelque temps, de plus en plus de pseudo-débats particulièrement stériles. Ces argumentaires ont tous ceci en commun qu’ils soulèvent des points importants — et sont même souvent des causes justes et nobles — mais ils deviennent des débats à sens unique quand leur ton, leur ligne directrice et leur mode de diffusion repose entièrement sur la base convaincue, sans même songer un instant à s’en sortir, trop convaincus qu’ils sont de la rectitude de leur position.
Il n’est aucunement dans mon intention de faire un Henrard (expression consacrée) en disant « revendicateurs, vous voulez être aimés, soyez aimables ». D’ailleurs, je ne parle pas ici de féministes ou d’anticolonialistes ou de militants contre la Charte ou name it. Je suis ici totalement agnostique de la cause: je crois simplement que toute contribution à un débat devrait être jugée à l’aune de ce qu’elle risque d’accomplir.
Prêcher la bonne nouvelle ne sert à rien si on prêche aux convertis, dans le désert, en envoyant promener les Autres, tsé, Ceux qui Ont Tort.
Il y aura toujours des gens qui ont tort, peu importe de quel bord tu penses que la raison se trouve. La solution n’est peut-être pas de les insulter, d’occuper leurs bureaux, de faire paraître des pubs dans le journal montrant à quel point ils sont épais, ou même d’essayer de les convaincre. C’est peut-être d’admettre qu’ils vont exister anyways, et de prendre en compte qu’aucun projet de société, ever, ne sera unanime, mais que ça se peut, quand même, de faire changer les choses.
Amis militants, j’ai envie de vous dire de choisir vos combats et surtout, de choisir comment vous souhaitez les mener. S’il ne suffit pas de vouloir quelque chose pour que ça arrive, il faut parfois rappeler qu’il ne suffit pas, non plus, de se battre pour gagner.
Qu’un débat sans interlocuteur n’est finalement rien de plus qu’un sermon et qu’un combat sans adversaire n’est finalement qu’une bien drôle de danse.

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