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« Ça, c’est une pyrite f*cking sexy »

Des heures de plaisir honnête au Salon des pierres, minéraux et fossiles de Montréal.

Par
Jean Bourbeau
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Je dois vous avouer d’emblée que je redoutais cette couverture. Le monde des minéraux m’est assez éloigné et j’appréhendais un événement agonisant d’ennui. Mais dès mon arrivée dans le quartier résidentiel d’Anjou, le nombre d’enthousiastes marchant dans la même direction a attiré mon attention. À mon grand étonnement, le stationnement de l’aréna Chénier est bondé. Le ciel immaculé ne peut donc pas rivaliser avec l’engouement évident qui se déploie à l’occasion du 35e Salon des pierres, minéraux et fossiles de Montréal. Je me dis qu’après tout, les a priori sont faits pour être renversés.

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Organisé par le club de minéralogie de Montréal, le Salon accueille des dizaines d’exposants déballant au public leurs plus belles trouvailles. Grossistes, gemmologues, collectionneurs, chasseurs de fossiles, artisans joailliers s’y retrouvent pour faire des affaires et surtout, des rencontres. Trois jours de grandes festivités minérales.

« Ça, c’est une pyrite fucking sexy », s’écoute comme un poème inattendu.

Chaque kiosque révèle en effet de réels trésors: de l’amazonite du Saguenay aux roches volcaniques des îles Canaries, ici une limule séchée et du jade afghan. Malgré l’absence de glace, c’est tout un spectacle qu’offre le parterre de l’amphithéâtre.

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Il y a certes quelques cristaux de bord de lit et des pyramides aux chakras prodiguant confiance en soi et protection miroir, mais nous sommes assez loin du commerce new age.

J’écoute en cachette des négociations corsées pour un lot de labradorite malgache. Une dame passe à côté de moi, rayonnante après avoir conclu une grosse transaction de rose des sables mexicaine. Et ici, il n’y a rien d’anormal de voir parader un bambin avec une hanche de bison sous le bras.

Les prix fluctuent, allant de quelques dollars à de bien rondelettes sommes. Si le portefeuille se fait mince, on peut toujours repartir avec un peu de fougère pétrifiée du Nouveau-Brunswick.

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Entre des géodes géantes scintillantes, je suis séduit par la vente de sacs surprises, curieux de savoir quelle fantaisie géologique s’y cache. Plus je m’enfonce dans les entrailles du Salon, plus je me sens revenir à l’enfance.

«J’étais au gym et un inconnu m’a invité à l’accompagner pour une fouille au Mont-Saint-Hilaire. Je ne suis jamais retourné au gym!»

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Tony Gordian est une figure bien connue sur la scène des minéraux montréalais. Malgré un stand débordant d’une clientèle avertie, il prend quelques instants pour s’entretenir avec la verte recrue que je suis. Je lui demande, un brin médusé, comment l’on tombe dans cet univers. « J’étais au gym et un inconnu m’a invité à l’accompagner pour une fouille au mont-Saint-Hilaire. Je ne suis jamais retourné au gym! », dit-il en riant. Depuis, il achète des collections, gratte les carrières et se rend religieusement à Tucson en Arizona pour le grand salon annuel où les gros joueurs du sous-sol se retrouvent.

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Il m’apprend que le Canada détient une réputation fort enviable sur la scène internationale. Puisant les richesses de la vallée de l’Amiante québécoise aux Rocheuses du Yukon, les collectionneurs de chez nous se baladent d’un pays à l’autre pour échanger nos précieux minéraux contre ceux des étrangers.

Ma vésuvianite des Appalaches contre ta météorite russe?

« Il faut que ça reste amusant et une passion, révèle l’homme de 77 ans au savoir inépuisable. Nous sommes chanceux, le Mont-Saint-Hilaire est tout près et c’est vraiment le spot au Québec. J’y ai trouvé des pièces exceptionnelles que j’ai vendues à des prix fous, dont une catapleiite incroyable qui cochait tous les éléments de la Sainte Trinité : rareté, beauté, perfection. Elle est exposée au Musée royal de l’Ontario à Toronto depuis 1992. C’était la deuxième au monde. Mais il faut toujours demeurer sincère avec notre clientèle, après tout, c’est les fleurs de la Terre. », souligne-t-il avec l’humilité d’un vétéran.

«Il faut toujours demeurer sincère avec notre clientèle, après tout, c’est les fleurs de la Terre.»

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Ian et sa famille se concentrent pour leur part sur les fossiles de l’ère de glace. Leur table regorge d’une panoplie d’ossements hypnotisant: un fémur de mammouth, une mâchoire de hyène, une griffe d’ours des cavernes. « Ça commence par une petite pièce et ça tombe vite dans la démesure, me confie l’aficionado du préhistorique qui traite majoritairement avec des fournisseurs de la Sibérie. » Il m’éclaire qu’il faut faire gaffe, car il y aurait beaucoup de faussaires dans le monde de l’ère de glace, ajoutant au passage que la récente certification permet un meilleur contrôle des origines.

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Ian rêve d’un jour mettre la main sur le Saint-Graal de cette période, une défense complète de mammouth qui peut atteindre jusqu’à douze pieds de longueur. Je lui souhaite bonne chance en quittant, voyant les nombreux clients s’agglutiner à son stand.

Le Salon dégage une ambiance festivalière et on sent un réel plaisir de partager une passion, bien plus populaire que je ne l’imaginais.

Pierre Rousseau se présente comme un prospecteur indépendant. « Tout part d’un émerveillement, mentionne-t-il. Un intérêt pour la nature, l’histoire, la géologie et l’aventure! On se rend en solo dans une carrière après un dynamitage, sur l’heure du lunch ou le matin avec un casque et des caps. Il y a quelque chose d’explorateur de se retrouver sur un site isolé en bord de mer ou une semaine perdu dans les bois à chercher de l’apatite. »

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Je l’imagine seul avec sa petite masse devant les millions d’années à ratisser.

«Je suis un collectionneur qui n’achète rien. Tout ce que tu vois ici, je l’ai sorti moi-même. Chaque pièce a son histoire.»

Il me présente fièrement son quartz fumé de Cap-Chat et sa baryte de la Montérégie. « Notre sous-sol est abondant en minéraux de qualité, mais il faut quand même réussir à les trouver. On s’y prend avec des cartes, on déniche des indices, on claime un territoire (louer un lopin de terre pour le creuser). Il faut travailler fort, bouger de la terre du dégel au gel puis passer l’hiver à nettoyer les trouvailles. Je suis un collectionneur qui n’achète rien. Tout ce que tu vois ici, je l’ai sorti moi-même. Chaque pièce a son histoire. »

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« Les gens que tu croises en pleine nature me demandent souvent si je cherche de l’or ou des diamants, mais l’excitation du Klondike est réelle. Quand tu te faufiles pour la première visite dans une poche que tu viens de découvrir, le temps n’existe plus. L’adrénaline est dans le tapis, c’est tout un sentiment, mais il faut garder son calme pour manier la pierre qui reste fragile. »

Jacob Ouellet est également un prospecteur-aventurier. Il s’est acheté une mine dans les environs de Thunder Bay suite à une conversation autour d’un feu. Il me montre sur son cellulaire une gigantesque améthyste rouge.

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En continuant ma déambulation aux limites du surréalisme, je serre la main à deux hommes d’origine congolaise qui font l’importation d’œufs de malachite. Un magnifique minéral vert dans la famille du cuivre. L’un d’eux, Emmanuel, a d’ailleurs déjà travaillé dans les mines au pays.

Thérèse, de Val-des-Sources (anciennement Asbestos), a eu la chance de trouver une dent de mégalodon en Caroline du Nord de la taille de sa main, un scorpion de mer de 30 centimètres au Lac Érié sans oublier une fameuse trilobite, cet ancêtre des insectes, au Lac Huron « avec un beau positif et négatif ». Elle me rassure que ces plus beaux trésors restent dans sa collection privée. « Il faut séparer la collection personnelle et les affaires ».

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La sympathique dame se passionne pour les fossiles depuis 1986 avec son mari Jean-Guy. Les deux amoureux se sont, sans surprise, rencontrés sur un site de fouille.

Un peu plus loin, Émilie s’affaire à cabochonner un jaspe, soit polir la pierre sur une machine spécialisée. Chacun son métier et son expertise au profit de la communauté.

Installés à la cantine de l’aréna en retrait du brouhaha, des collectionneurs font des échanges les sourcils froncés, calculatrice en main.

À ma sortie, on y entre encore comme dans un moulin sous un ciel sans nuage. Moi qui allais à reculons au vulgaire salon de la roche, quel bouffon puis-je parfois être. J’en sors presque ému, après des heures de plaisir honnête et un sac surprise. Le souterrain émerveille et rassemble, même sous le chaud soleil de juin.

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