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20 ans de C.R.A.Z.Y.

C.R.A.Z.Y., c’était le début d’un temps nouveau

On parle des 20 ans du film avec Xavier Dolan, Henri-June Pilote et Roselle.

Par
Benoît Lelièvre
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Il y a vingt ans cette semaine, le film de Jean-Marc Vallée C.R.A.Z.Y. prenait l’affiche à la suite d’un cycle de production infernal ayant duré près de dix ans.

Et ça en aura valu la peine : C.R.A.Z.Y. deviendra financièrement et culturellement un des films les plus importants de notre histoire cinématographique, écopant même d’une nomination aux Oscars, l’année suivante.

Mais par-dessus tout, c’était un changement de paradigme dans la représentation LGBTQ+ au grand écran.

« Je n’avais jamais vu une telle démocratisation de l’univers queer auparavant », raconte Xavier Dolan, le réalisateur de Mommy et La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, qui raconte avoir vu le film pour la première fois au cinéma Quartier latin avec son père et sa belle-mère.

« À l’époque, ce qu’il y avait comme référents, c’était souvent le meilleur ami gai ou les personnages au destin lugubre qui attrapaient le VIH ou qui se faisaient battre. »

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En véritable pionnier, C.R.A.Z.Y. était le premier film québécois grand public à mettre de l’avant une histoire de coming out dans un contexte familial on ne peut plus « normal ». C’est-à-dire, dans une famille aimante, mais un tantinet démunie devant une réalité qui, à l’époque (le film se déroule dans les années 1970), pouvait être nouvelle et « choquante » vu l’héritage catholique encore bien ancré dans la Belle Province.

Un avant et un après C.R.A.Z.Y.

L’activiste, créateur de contenu et conférencier Henri-June Pilote avait 13 ans lorsqu’il a regardé C.R.A.Z.Y. avec un ami pour la première fois au cinéma à Repentigny. Il était cependant loin de se douter que le film de Jean-Marc Vallée allait s’imposer comme une pierre d’assise dans son parcours.

« Je suis sorti de la salle de cinéma et j’y suis immédiatement retourné pour le voir une deuxième fois. À l’époque, j’avais pas encore les mots pour expliquer que j’étais queer, mais ce film m’a fait vivre tellement d’émotions », explique-t-il.

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Pilote affirme que l’influence de C.R.A.Z.Y. le suit depuis ce jour et qu’il est par la bande devenu un admirateur invétéré de la musique de Patsy Cline. Un sentiment auquel Xavier Dolan fait écho. « Ça a été un choc émotif et un choc culturel. C.R.A.Z.Y. est constamment référencé dans mon travail, soit à travers des personnages ou des atmosphères. C’est un film qui fait partie de moi », déclare le réalisateur qui connaîtra son premier succès international à peine quelques années plus tard avec le film J’ai tué ma mère.

Contemporain de Jean-Marc Vallée, Dolan raconte avoir contacté ce dernier en 2019 pour savoir s’il avait encore le costume du personnage principal Zachary Beaulieu afin de l’emprunter pour l’Halloween. « Il avait été très généreux. Je suis certain qu’il avait plein d’autres choses à faire », se souvient-il.

Âgée de 26 ans à peine, la chanteuse pop Roselle appartient à une génération différente et garde des souvenirs très lointains de son premier visionnement de C.R.A.Z.Y. Toutefois, elle affirme qu’il s’agit tout de même d’une œuvre très importante pour elle. « C’est un film qui représente extrêmement bien cette époque où il n’existait que deux genres et où ça dictait l’orientation sexuelle. On peut y observer aussi les violences que les personnes de la communauté doivent affronter quotidiennement. »

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C.R.A.Z.Y. et le coming out

À la base, C.R.A.Z.Y. est une histoire de coming out qui aura facilité cette étape de plus d’une façon pour les plus jeunes faisant partie de cette communauté.

C’était déjà fait depuis quelques mois pour Xavier Dolan, mais Henri-June Pilote ne le ferait que neuf ans plus tard. « Le cadeau de C.R.A.Z.Y. aura été de me fournir un imaginaire dans lequel me projeter en tant que personne queer. Je n’avais pas ça avant. On était beaucoup qui ne l’avaient pas. Quand je parle du film avec des gens de mon entourage, on est tous d’accord là-dessus. »

Roselle a fait le sien en 2020 dans un Québec ayant beaucoup évolué depuis, et le processus s’est fait tout en douceur, mais non pas sans remises en question.

« J’ai longtemps gardé le silence sur mes sentiments parce que l’attirance entre femmes est énormément banalisée. Les filles s’embrassent dans les partys et ça ne faisait pas de toi une femme queer aux yeux des autres. C’est en discutant avec des amis au fil du temps que j’ai compris que les sentiments qui m’habitaient n’habitaient pas nécessairement tout le monde », confie la jeune femme qui vient de lancer le EP STP.

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Au moment d’avoir la conversation avec ses parents, c’était loin d’être le premier coming out dans son entourage. Graduellement acceptée et normalisée, la pratique aura permis à Roselle de s’émanciper dans l’accueil et la douceur.

Avons-nous besoin d’un remake pour la génération Z?

Le film phare de Jean-Marc Vallée a-t-il bien vieilli? Selon Xavier Dolan et Henri-June Pilote, c’est une question de contexte.

« C’est certain qu’on peut y observer des paroles et même des actions choquantes, mais elles n’en sont pas moins réalistes. Le scénario capture une époque telle qu’elle l’était », explique le réalisateur.

Pour Henri-June Pilote, ce qui fait de C.R.A.Z.Y. un film qui soit toujours aussi pertinent aujourd’hui, c’est qu’il évite les généralisations.

« On y raconte l’histoire de Zach qui se déroule dans un contexte très précis. C’est personnel, mais universel. On peut se projeter en lui. »

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« Le film n’essaie pas de parler pour la communauté au grand complet. C’est là que ça aurait pu être plus problématique. »

En tant que membre de la génération Z, Roselle abonde dans le même sens, mais tient à apporter une nuance. Selon l’interprète de Fierté, C.R.A.Z.Y. effleure plusieurs questions centrales à l’identité queer, mais met beaucoup d’emphase sur la thématique de la masculinité. « Le papa a cinq garçons, il parle beaucoup de ce que ça veut dire, être un homme. À part la maman de Zach, on ne voit pas beaucoup de personnages féminins. La culture homosexuelle y est peu abordée, mais c’est quand même super bien fait, là. C’est pas tant un reproche qu’une remarque. »

Vingt ans après la sortie du film, l’impact de C.R.A.Z.Y. est toujours aussi important tant au sein de la communauté LGBTQ+ que chez les cinéphiles québécois. En plus, le film est actuellement disponible sur ICI Tou.tv, si vous avez le goût de revoir une œuvre qui rassemble depuis vingt ans.

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