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Bukkake sur Olivier Guimond
Il faudrait ĂȘtre fou pour ne pas dĂ©sirer gagner un Olivier! Câest humain, câest attirant, câest un fantasme. Mais doit-on rĂ©aliser tous nos fantasmes? Si jâai appris un truc en lisant Fifty shades of Grey : câest non! Tout humain, et surtout tout artiste, dĂ©sire ĂȘtre reconnu, câest normal. Moi, le premier. Je ne me casse pas le coco Ă Ă©crire des gags pour jouer dansâ shed devant curieux mononcle. Mais il y a le degrĂ© de reconnaissance et ce que lâon fait avec cette reconnaissance.
JâĂ©cris ce texte avant la diffusion des Olivier, car ce nâest pas une critique sur la qualitĂ© du gala en soi (qui me fait beaucoup rigoler), mais une remise en question du concept mĂȘme de gala sous cette forme de glamour, de tapis rouge et de conformisme. On rĂ©compense quoi dans ces galas tĂ©lĂ©? Ne survalorise-t-on pas ce qui est dĂ©jĂ beaucoup valorisĂ©?
Pis le trophée pour la mise en scÚne en humour, ça veut dire quoi?
Ă propos du gala Artis, Hugo Dumas disait: âOn le sait, le gala Artis rĂ©compense la notoriĂ©tĂ©, la renommĂ©e et la popularitĂ© des membres du showbiz quĂ©bĂ©cois.â Malheureusement, je trouve que les Olivier vĂ©hiculent aussi ces valeurs. Je ne reconnais pas lâhumour dans ce genre dâĂ©vĂšnement. On le maquille, on le dĂ©guise, on le dresse. Lâhumour, ainsi fardĂ© comme une geisha, ne sert plus quâĂ satisfaire les caprices des producteurs, des diffuseurs et des corporations : la cĂ©rĂ©monie du bukkake peut alors commencer.
Le glamour masque la rĂ©alitĂ© des humoristes, surtout de la relĂšve. La plupart du temps, on joue dans des conditions difficiles (bars miteux, partys de bureau avec du monde chaud raide, club de golf entre deux tirages de prix de prĂ©sence) et on reçoit des cachets pour le moins modestes. Le festival Zoofest (petit frĂšre de Juste pour rire), qui met en âvedetteâ les humoristes de la relĂšve, a souvent manquĂ© de respect envers les artistes et paye ces derniers des mois en retard. Et si lâon ose protester, on rĂ©colte du mĂ©pris et des commentaires du genre âtâas juste Ă me trainer en courâ. Y a-t-il une catĂ©gorie au Olivier pour ce genre de choses?
Le gala des Olivier est trop sérieux.
Il y a beaucoup dâexcellentes blagues; la question nâest pas lĂ . Je parle de lâambiance qui est sĂ©rieuse, des enjeux qui sont sĂ©rieux, du stress qui est sĂ©rieux, du dĂ©sir de gagner son ti-trophĂ©e qui est sĂ©rieux. Les jeunes humoristes veulent lancer leur carriĂšre et les Ă©tablis veulent la reconnaissance de lâindustrie. Dans la salle, je ne vois pas dâhumoriste, je vois des Ă©gos en cravate. Je vois des hommes et des femmes dâaffaires qui âcomptentâ des jokes. Je me dis : mais oĂč est lâhumour? Ăa me rappelle une phrase de Coluche : âSi on voulait me donner la LĂ©gion dâhonneur, jâirais la chercher en slip pour quâils ne sachent pas oĂč la mettre.â
Les vedettes de lâhumour sont dĂ©jĂ au top de la chaĂźne alimentaire culturelle. âAu QuĂ©bec, prĂšs dâun spectacle sur trois est humoristique. Parmi les 10 spectacles les plus populaires en 2013, 6 Ă©taient consacrĂ©s Ă lâhumour.â Mon malaise avec les Olivier, câest quâon veut mettre de lâavant une industrie qui est dĂ©jĂ de lâavant. Combien de domaines culturels peuvent se payer autant de publicitĂ©? Quelle autre discipline distribue Ă la pelletĂ©e ses artistes Ă la radio et Ă la tĂ©lĂ© et dans les journaux et dans les magazines et sur scĂšne et au cinĂ©ma? MĂȘme si tu es super beau, super charismatique et super drĂŽle, ton anecdote cocasse oĂč tu chies dans une boĂźte Ă clous mĂ©rite-t-elle autant dâespace dans le patrimoine culturel du QuĂ©bec?
Pourquoi pas un anti-gala sans trophĂ©e? Au final, on valorise quoi, avec ces trophĂ©es? La vente de billets, lâargent, la popularitĂ©, le vedettariat? Ce sont ces McValeurs, quâon lĂšgue aux futurs humoristes? Le trophĂ©e, mis Ă part le buzz Ă©phĂ©mĂšre, rend-il plus heureux? Si non, pourquoi on continue dâen donner? Connaissez-vous des vedettes qui ont dĂ©jĂ dit âcâest la cĂ©lĂ©britĂ© qui mâa rendu heureux. Avant jâĂ©tais malheureux, mais depuis que je suis cĂ©lĂšbre, la vie est parfaite.â Je ne crois pas que ce furent les derniĂšres paroles de Robin Williams. Le trophĂ©e isole lâartiste.
Le trophĂ©e est une paire de ciseaux qui coupe lâartiste de la sociĂ©tĂ© qui lâa créé.
Le trophĂ©e met sur un piĂ©destal disproportionnĂ©, il glorifie une seule personne, il engraisse le faux concept du âself-made-manâ et ça marginalise les membres de la sociĂ©tĂ© qui ne cadrent pas dans ce glamour prĂ©mĂąchĂ© aussi fade quâun 7-Up flatte. Lâart est un hommage Ă la vie. Lâart est humble. Ainsi, le chapeau de lâartiste, câest lâhumilitĂ©, et le trophĂ©e vient briser cette harmonie.
Un humoriste, pour moi, câest un mouton noir, un ti-crisse cultivĂ©, un mal engueulĂ© charmant (et ça inclut les femmes). Lâhumoriste est un architecte qui construit la maison de ses rĂȘves pour hĂ©berger les idĂ©es orphelines. Lâhumoriste est un chien de garde, et le tabou est son os. Lâhumour au QuĂ©bec a-t-il encore du mordant ou est-ce que ses dents sont dans un verre dâeau Ă cĂŽtĂ© du lit? Lâhumour, sans la rĂ©volte, est un gĂ©missement sophistiquĂ©.
Quelle est la job de lâhumoriste? Faire rire. Câest quoi un humoriste? Quelquâun qui fait rire. Ces rĂ©ponses simplistes sont dangereuses pour lâĂ©volution de notre art. Lâhumoriste doit penser Ă sa propre activitĂ© dans ses dimensions historiques, politiques et Ă©conomiques. Sâenlever le nez du fion et voir lâimpact de ses choix, pas uniquement sur sa carriĂšre, mais sur la sociĂ©tĂ© au complet. Parfois, bien faire son mĂ©tier peut ĂȘtre nuisible pour la sociĂ©tĂ©. Le rire nâest pas une fin en soi. Rire pour rire comme jouir pour jouir, sans se demander avec qui jouir et comment rire? Lâunique but est-il de provoquer cette rĂ©action mĂ©canique bruyante? Rire? Pis aprĂšs? Et si le summum de lâhumoriste nâĂ©tait pas celui qui faisait rire, mais celui qui apprenait Ă la foule comment rire?
“Jâai toujours pensĂ© que lâunique but du stand-up Ă©tait de faire naitre un sentiment de non-solitude.”
Bill Hicks
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