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Photo : Atsushi Nishijima/Focus Features © 2025

« Bugonia » est un film cruel, violent et paranoïaque (bref, c’est excellent)

Le réalisateur Yorgos Lanthimos a retrouvé sa férocité.

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Tout le monde (ou presque) connaît le réalisateur Yorgos Lanthimos pour son film quatre fois Oscarisé Poor Things, mettant en vedette Emma Stone dans le rôle d’une sorte de monstre de Frankenstein hypersexuel entouré d’hommes de science esclaves de leurs pulsions.

J’ai haï ça, mais j’étais pas mal tout seul de ma gang.

Même si son nom est difficile à prononcer, Lanthimos est devenu une véritable rock star auprès des cinéphiles avec des films aussi acerbes que violents comme Dogtooth, The Lobster ou le cauchemardesque The Killing of a Sacred Deer (je n’ai pas encore vu Kinds of Kindness). À côté, Poor Thing faisait figure de commercial steampunk vaguement féministe pour les 8 à 12 ans. Le sens de l’humour mordant et les images à la limite du bon goût qui rendent le cinéma du réalisateur grec aussi imprévisible qu’excitant y étaient aussi aplatis qu’une boulette de quart de livre avec fromage.

Bonne nouvelle : Yorgos Lanthimos a retrouvé sa balle rapide. Bugonia est un film hallucinatoire, hyperviolent et drôle. C’est vivant comme peu d’autres productions le sont à l’âge des gros blockbusters. Vous allez peut-être haïr ça et c’est votre droit, mais si c’est le cas, on ira jamais aux vues ensemble.

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Votre sympathique voisin conspi

Bugonia raconte l’histoire d’un jeune apiculteur conspirationniste nommé Teddy (interprété par le toujours aussi malaisant Jesse Plemons) et Donnie (Aidan Delbis), son cousin simple d’esprit, qui décident de kidnapper la PDG d’une entreprise pharmaceutique afin de prouver qu’elle est une extraterrestre tout droit venue de la galaxie d’Andromède qui procède à une série d’expériences sur la race humaine.

Ça vous rappelle votre dernière conversation avec un étranger dans un stationnement de Tim Hortons à deux heures du matin? Pas trop vite.

Photo : Courtoisie de Focus Features © 2025
Photo : Courtoisie de Focus Features © 2025
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On n’est pas exactement dans le drame réaliste ici, mais plutôt dans une étrange réalité suspendue sans aucun point de référence. Le récit de Lanthimos se déploie avec un sous-entendu en filigrane voulant que l’étendue de la connaissance humaine soit potentiellement fausse et refuse obstinément de nous donner un indice à savoir de quel côté de la balance son récit penche, jusqu’au moment des grandes révélations. Là, tout ce que vous croyiez savoir sur les théories du complot et le comportement humain en général sera utilisé contre vous.

Bien sûr, rien de ça n’est épelé en lettres géantes dans le ciel et il faut porter attention pour saisir le film dans toutes ses nuances… même si le réalisateur décide éventuellement de jeter toute notion de nuance par la fenêtre. C’est le modus operandi de Lanthimos et cette fois encore, il n’y manque pas.

Vous ne sortirez de ce visionnement ni avec l’idée que votre voisin conspi a perdu la tête ni persuadé que les extraterrestres sont parmi nous, mais plutôt avec l’impression qu’on a tous beaucoup trop de réponses quant aux grands mystères de l’univers.

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Au niveau de la forme, Bugonia est une comédie, mais pas un film joyeux. Avant tout, c’est un film sur une confrontation idéologique qu’on commence tous à trop bien connaître, et qui se garde d’offrir une réponse trop convenue. C’est inconfortable de la meilleure façon possible : en laissant planer le doute extrêmement théorique sur l’ensemble de vos certitudes. On en ressort avec le vague sentiment d’avoir tout faux, même sur ces choses qu’on prend pour acquis. On ne regarde pas un film de Yorgos Lanthimos pour se sentir bien : on les regarde pour sonder nos angles morts sur la nature humaine.

Si ça fait un peu mal, c’est pour votre bien.

Photo : Atsushi Nishijima/Focus Features © 2025
Photo : Atsushi Nishijima/Focus Features © 2025
Photo : Atsushi Nishijima/Focus Features © 2025
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Le génie marginal d’Emma Stone

C’est maintenant convenu de le dire, mais Emma Stone est excellente, particulièrement dans Bugonia.

Autant elle peut être inodore, incolore et interchangeable en girl next door (allô, La La Land), autant elle est magistrale lorsqu’elle arrête d’essayer de plaire à tout le monde. Elle était parfaite dans son rôle de jeune névrosée ultraprivilégiée dans la série de Nathan Fielder The Curse, celui de l’épouse meurtrie dans Eddington d’Ari Aster et donnait de loin la performance la plus inspirée dans Poor Things (même si, on s’en rappelle, j’ai haï ça). Dans Bugonia, elle incarne la froideur même : une femme tranchante, efficace, peu ou pas ébranlée par la violence physique, incluant son propre kidnapping et tonsure capillaire impromptue.

Photo : Atsushi Nishijima/Focus Features © 2025
Photo : Atsushi Nishijima/Focus Features © 2025
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Le clivage entre sa beauté discrète, son énergie un brin aristocratique et ses rôles troublants confère à Emma Stone un caractère extravagant qui fait tout son intérêt en tant qu’actrice. Quand elle est impliquée dans une production qui sort le moindrement des sentiers battus, c’est parce qu’elle transgresse les normes du confort et de la bienséance sociale. Loin de moi l’idée de dire à une actrice de son calibre quoi faire de sa carrière, mais elle est beaucoup plus intéressante à regarder dans un film comme Bugonia que Zombieland 2, mettons. Mes respects à Zombieland 2, mais n’importe qui aurait fait l’affaire dans le rôle de Wichita.

Bugonia sort en distribution limitée ce vendredi, mais sera disponible en salle la semaine suivante. Si vous aimez que vos sorties au cinéma soient inoubliables – dans le sens où aurez besoin de quelques jours avant de recommencer à vous sentir bien –, on fait difficilement mieux.

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