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Club branleurs

Briser l’isolement, une branlette à la fois

« T’es même plus dans ta tête, t’es dans ton pénis! »

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« J’ai trouvé ma famille, ma communauté », lance avec émotion MisterB8r (lire « masturbator »), assis sur la banquette du Weiser, un bar sportif du Village, à Montréal. Cette famille, il l’a trouvée à un endroit aussi surprenant qu’inattendu : un milieu underground et discret — la communauté des branleurs.

L’homme de 50 ans est le fondateur de Montréal JACKS, un club de masturbation qui se retrouve une fois par mois dans des soirées qui rassemblent jusqu’à 75 hommes gais, bisexuels et hétérosexuels. Lors de ces événements, tous caressent un seul objectif : se masturber ensemble.

Mais Montréal JACKS est bien plus qu’un simple sex club. Il offre aussi un sentiment d’appartenance et de sécurité à ceux qui se sentaient autrefois « brisés » et « isolés ». Rencontre avec les deux Jack Daddies (gérants) du seul club de branle officiel du Québec.

LA GENÈSE

Devant sa pinte de blonde, MisterB8r raconte n’avoir jamais vraiment aimé le sexe anal ou oral, un aspect de sa sexualité qui l’a toujours fait sentir différent des autres hommes homosexuels, au point de se sentir comme un « gai brisé ».

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Sites de rencontre, bars, saunas : il n’était à l’aise dans aucun de ces espaces. « C’est toujours : “Es-tu top ?”, “Es-tu bottom ?”, “Est-ce que je peux te sucer ?” Il fallait toujours m’expliquer, me défendre, et dire : “Non, voici ce que j’aime et ce que je cherche”. Des fois, c’est très gênant. Si tu n’as pas encore la confiance de dire ça, tu finis par accepter des choses que tu n’aimes peut-être pas tant. »

Mais ça, c’était avant qu’il ne découvre le mot qui changerait sa vie : solosexuel. Un terme qui, enfin, mettait un mot sur son ressenti.

Cette identité méconnue fait référence à une préférence marquée ou exclusive pour la masturbation plutôt que toute autre forme de relation sexuelle.

Découvrir des clubs de masturbation à l’extérieur du Québec a mené MisterB8r à une révélation : il n’était ni seul ni brisé. « J’ai dit : “Wow ! j’ai trouvé ma tribu”. »

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La plupart des clubs JACKS — un réseau international de clubs de masturbation qui partagent un code de conduite semblable — se trouvent aux États-Unis, où cette tendance a vu le jour. Durant la crise du VIH/sida, « les gens avaient peur de la pénétration. C’est là que les clubs JACKS ont commencé », explique le fondateur de la branche montréalaise.

MisterB8r a démarré son club en 2023 dans la salle « porno » d’un sauna montréalais, un peu à l’insu de l’établissement. MisterB8r donnait un bon pourboire aux employés du sauna qui toléraient leurs rendez-vous secrets… et jouaient de la porno de masturbation, et non pas de pénétration, sur les écrans de la salle.

Trois ans plus tard, Montréal JACKS compte 900 membres et, depuis août dernier, a son propre espace, un club privé. Le club semble avoir le vent dans les voiles, et sa réussite va bien « au-delà des espérances » de son fondateur, convaincu de répondre à un grand besoin.

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En plus d’avoir fondé son club, MisterB8r est aussi à l’origine du design officiel du drapeau de la communauté solosexuelle, un drapeau qu’il a créé dans le cadre d’un concours mené par BateWorld.com, le principal site web rassemblant la communauté dédiée à la masturbation masculine à l’international.

REJOINDRE LE CLUB

Si vous souhaitez participer à un événement de Montréal JACKS, il faut d’abord faire partie du club. Pour vous y inscrire, il suffit de remplir une demande d’adhésion gratuite, à travers laquelle vous vous engagez à respecter le code de conduite de l’organisation.

Tout le monde est admis ; le club ne fait aucune discrimination basée sur l’apparence ou l’âge. Tant que vous respectez le code de conduite et que vous avez 18 ans ou plus, vous êtes in.

Pour DaddyB8r, qui porte lui aussi le titre de Jack Daddy chez Montréal JACKS, cette inclusivité contraste avec certains milieux gais plus mainstream. « Dans le milieu gai, malheureusement, t’as une date d’expiration. Moi, j’avais atteint la mienne », explique l’homme de 60 ans, qui dit avoir trouvé une réelle « fraternité » dans la communauté des masturbateurs. Un milieu qui ne laisse personne derrière.

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SEXE ANAL OU ORAL INTERDIT !

Attention, si tous les hommes sont admis, le sexe oral et anal, eux, sont strictement interdits. Ici, on se concentre sur le pénis. Libre à vous d’apporter vos jouets sexuels préférés, à condition qu’ils n’impliquent pas de pénétration.

Ces balises offrent un cadre sécurisant aux membres, souligne MisterB8r.

« Ils savent à quoi s’attendre. Ils savent qu’on est sérieux avec notre code de conduite et ils ont l’assurance qu’ils seront pas forcés de faire des choses qu’ils veulent pas faire. »

Pour ce qui est des risques de transmission d’infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), « il y a rien de plus sécuritaire que la masturbation et le voyeurisme », affirme-t-il.

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D’autre part, le consentement et le respect sont dans l’ADN du club. « Tu veux jouer avec quelqu’un ? Tu demandes. Tu veux toucher quelqu’un ? Tu demandes. Tu veux frencher quelqu’un ? Tu demandes. Tu veux éjaculer sur quelqu’un ? Tu demandes », illustre MisterB8r. Des modérateurs sont d’ailleurs toujours sur place pour veiller au consentement et au respect du code de conduite.

QUE LE JEU COMMENCE

C’est votre première soirée chez Montréal JACKS ? Pas de panique, vous serez chaleureusement accueilli par un bénévole, qui vous expliquera le fonctionnement de la soirée.

Si vous êtes un habitué, vous pouvez simplement entrer, vous déshabiller et vous asseoir dans la section « bistro » de la salle pour prendre un verre avec les autres membres avant que le jeu ne commence. Des collations — croustilles, barres de chocolat, pop corn — sont mises à votre disposition.

Ce temps de discussion est une occasion pour connecter avec d’autres hommes et apprendre à connaître les personnes que vous branlerez peut-être au cours des trois heures que durera l’événement.

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Si vous aimez l’exploration, vous serez ravi de découvrir le thème du mois, qui fera l’objet d’un atelier dans une salle prévue à cet effet. « La dernière fois, on a fait un atelier de stimulation électrique. Les gars ont a-do-ré ça ! », lance MisterB8r, enjoué. Il y a déjà eu une soirée axée sur le jeu de cire chaude, ou encore celui du jeu de rôle père/fils, « le lendemain de la Fête des pères », précise DaddyB8r, un sourire en coin, visiblement fier de son coup.

Si la majorité des membres pratiquent la masturbation mutuelle, certains préfèrent le voyeurisme, une pratique qui a tout à fait sa place dans ces événements. « C’est comme regarder un film porno, mais en live. Tu peux interagir vocalement avec les gars, tu peux les encourager, leur lancer des compliments », explique le fondateur du club, qui assure que chaque fois, un esprit de camaraderie est au rendez-vous. « On applaudit les gros orgasmes ! », ajoute-t-il en riant.

Le but ici n’est pas d’atteindre l’orgasme le plus rapidement possible. Au contraire. « C’est pas la destination qui compte, c’est le voyage. Et on aime ça voyager pendant des heures », s’esclaffe le fondateur du club.

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Pour ce faire, on pratique le « edging », qui consiste à s’approcher le plus possible du point de non-retour, pour ensuite s’arrêter ou ralentir, retarder l’orgasme et amplifier le plaisir.

Cela vous permettra peut-être même d’atteindre le « gooning », un état de transe et d’extase pouvant survenir pendant une session prolongée d’edging. « T’es même plus dans ta tête, t’es dans ton pénis ! », dit MisterB8r, qui peine à détailler l’intensité de cette sensation.

Les deux Jack Daddies ajoutent que certains participants éjaculent jusqu’à huit fois en trois heures, alors que d’autres préfèrent ne pas atteindre l’orgasme, choisissant plutôt d’« accumuler toute cette énergie sexuelle, et repartir avec ».

TOUS LES GOÛTS SONT DANS LA NATURE

Ici, toutes les techniques de branle sont les bienvenues et ont même chacune leur propre espace dans la salle.

D’un côté, vous pouvez pratiquer le « combat d’épée », de l’autre le « docking », ou encore le « milking ». « Des fois, on a deux circle jerks en simultané ! », lance DaddyB8r.

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Tous ces termes peuvent sembler déroutants pour une personne qui n’est pas familière avec la communauté de la branle. Voici donc quelques définitions qui pourraient vous être utiles.

PETIT LEXIQUE DES BRANLEURS

Bating et bater : diminutifs de « masturbating » (« masturbation ») et de « masturbater » (« masturbateur »).

Milking : action de masturber une autre personne. Le terme comporte aussi des dérivés : le milker et le milkee, qui sont respectivement le donneur et le receveur de la « traite ».

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Frottage (ou « frotting ») : action de frotter des pénis l’un contre l’autre.

Sword fighting (« combat d’épées ») : frottement des pénis sans utiliser les mains.

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Docking : jeu sexuel consistant à « emboîter » le prépuce de l’un sur le pénis de l’autre.

Jack of clubs (« valet de trèfle ») : position dans laquelle deux hommes se font face (à l’image de la carte du valet), les jambes en position de « ciseaux », avec un frottement des pénis parallèles l’un à l’autre.

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Circle jerk : un groupe d’hommes qui se masturbent en cercle, en position assise ou debout. Ils peuvent pratiquer la masturbation mutuelle ou en solo. « L’exhibitionnisme et le voyeurisme à son max », précise DaddyB8r.

Bate spread : comme le man spread (posture assise dans laquelle les jambes d’un homme sont écartées), mais dans un contexte de masturbation.

UN « ENDROIT SÉCURITAIRE » POUR LES HOMMES HÉTÉROS ET EN QUESTIONNEMENT

Même si le club de branleurs montréalais a pour but de rassembler des hommes qui se masturbent entre eux, seulement 52 % de ses membres s’identifient comme gais, selon les données compilées par DaddyB8r, qui s’occupe de l’administration du club. 18 % s’identifient comme bisexuels, 4 % comme hétérosexuels, et 2 % comme solosexuels. 23 % des membres ont préféré ne pas divulguer leur orientation sexuelle.

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« Il y en a qui disent : “Est-ce qu’ils sont vraiment straights, vu qu’ils participent ?” », lance DaddyB8r, en parlant des membres hétéros qui fréquentent le club. Le gérant s’empresse de répondre « OUI ! ».

« On ne remet jamais en question comment [les membres] s’identifient », ajoute MisterB8r.

Par ailleurs, selon son fondateur, Montréal JACKS est probablement l’endroit le plus sécuritaire pour que les hommes en questionnement puissent expérimenter avec leur sexualité. « Au lieu d’aller dans un bar, un sauna, ou pire — un parc de drague où ils pourraient se faire arrêter ou agresser —, ben, au moins, ils peuvent expérimenter avec des limites dans un endroit très discret et où ils savent à quoi s’attendre », explique-t-il.

Patrick* (*nom fictif), un père de famille divorcé, était en questionnement avant de commencer à fréquenter le club montréalais. Son expérience au sein du groupe, où il a trouvé un grand sentiment de sécurité, a eu un impact important sur son estime personnelle. « J’avais perdu confiance après mon divorce, mais être entouré d’hommes bienveillants, recevoir du soutien et des paroles valorisantes m’a aidé à trouver du plaisir. […] Ces échanges humains m’ont profondément enrichi, tant sur le plan personnel que sur le plan intime. » Son parcours l’a mené à s’impliquer bénévolement dans le club. « J’aide aujourd’hui à accueillir les nouveaux participants, notamment ceux qui arrivent avec gêne, peur ou incertitude — des émotions que je connais très bien. »

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Alain (nom fictif), lui, est totalement hétéro. Il ne peut s’imaginer embrasser un autre homme, le câliner, le désirer, ou tomber amoureux de lui. Il ne « veut rien savoir de tout ça ».

« Par contre, dit-il, le pénis me fascine. Le mien, et celui des autres. Et j’ai même pas envie de le tenir, ou de le sucer, juste le regarder m’hypnotise et est érotisant. Voir et être vu, that’s it. »

Par ailleurs, la taille de son membre a été la source de grands questionnements pour lui. Avant de commencer à fréquenter Montréal JACKS — où il pratique le voyeurisme —, il pensait qu’il en avait un plus petit que la moyenne. « J’ai réalisé (avec grand bonheur, je l’avoue) que j’étais parmi les top 5 % (peut-être 2 % ?), niveau grosseur de l’engin. C’est superficiel et sans intérêt réel, j’imagine, mais érotiquement parlant, ça m’a donné confiance. J’ai une des plus grosses graines dans le club, yeah ! Ça me donne de l’énergie sexuelle, pour ce que ça vaut. »

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UNE COMMUNAUTÉ

« Famille », « fraternité », « tribu ». Ce sont les mots que les deux acolytes ne cessent d’utiliser pour parler de leur club.

« On bâtit une communauté. Ça donne tellement de sens à ma vie, à ce qu’on fait. C’est formidable », explique MisterB8r, le regard fier.

« Je vois vraiment que les gens s’épanouissent grâce à nous. Puis, on se le fait dire tous les mois : “Wow, vous savez pas à quel point vous faites du bien dans la vie de plein de gars ici.” Et ça, ça me touche vraiment », ajoute-t-il, en plaçant sa main sur son cœur. « Je sais qu’on répond à un besoin : briser l’isolement. »

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