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Bring It On a 20 ans. Est-ce que le film a mal vieilli?
Je le déclare sans aucune gène: j’adore les films d’ados, surtout ceux des années 90 et du début des années 2000. Je suis encore nostalgique du poster de Freddie Prinze Jr. que j’avais dans ma chambre, je connais les répliques de 10 Things I Hate About You par coeur et je ne me tanne pas de regarder Mean Girls, Save the Last Dance et Folle de lui (au moins) une fois par année.
Aujourd’hui, on braque les projecteurs sur un film qui, à mon avis est plus actuel que jamais, et qui souligne ses 20 ans cette semaine: Bring It On.
Au premier regard, et surtout en visionnant la scène d’ouverture, Bring It On est un (autre) simple film de cheerleaders, comme il s’en faisait beaucoup il y a 20 ans. Mais… si c’était plus que ça?
D’abord, un résumé si vous l’avez pas vu.
Le film se déroule en banlieue de Los Angeles, dans une High School tout ce qu’il y a de plus californien blanc privilégié. Torrance, jouée par Kirsten Dunst, devient alors la nouvelle capitaine de son équipe de cheerleaders, les Toros. Un jour, elle découvre que les chorégraphies ayant six fois menées son équipe à la victoire ont en fait été volées aux Clovers, un squad de meneuses de claques noires de East Compton. Elle va donc essayer de gérer ça, aux côtés de sa nouvelle BFF Missy (Eliza Dushku) jusqu’aux championnats nationaux.
I’m sexy, I’m cute, I’m popular to boot
Vous le savez comme moi, la figure de la meneuse de claque est très présente dans l’imaginaire des films pour ados produits aux États-Unis. Emma Jane, professeure associée au département des médias et des communications à l’Université de Nouvelle-Galles du Sud à Sydney, a d’ailleurs documenté cet archétype. Selon elle, la cheerleader telle que présentée dans les médias est une figure sur laquelle sont projetés divers fantasmes sexuels, ce qui engendre un paradoxe. « La meneuse de claque est soit adulée, adorée et complètement inaccessible, soit elle est sexuellement disponible pour absolument tout le monde », écrit-elle. Dans les deux cas, ça laisse pas beaucoup de place à son agentivité ni à son autonomie.
Ce qui est important avec Bring It On , c’est qu’il s’agit du premier film du genre à positionner la cheerleader comme une athlète et pas seulement comme un objet de désir masculin. Dans le film, elle ne fait pas juste être belle, sexy et servir de faire-valoir à son chum sportif qui n’a rien à faire de sa personnalité. On voit plutôt les membres des Toros s’entraîner rigoureusement, travailler fort, développer des amitiés et surtout poursuivre un but. Le film a également contribué à positionner le cheerleading comme un sport et pas uniquement comme une discipline servant à encourager les footballeurs.
Brrr! It’s cold in here!
Quand elle découvre que sa prédécesseure a volé les chorégraphies et les chansons ayant fait le succès des Toros à une équipe de East Compton, un quartier pas mal plus défavorisé que le sien, Torrance fait face à un dilemme moral: ne rien dire, conserver les chorégraphies des Clovers et gagner la compétition ou tout avouer, repartir à zéro et prendre la chance de perdre.
En tant qu’adolescente honnête et pleine de bonnes intentions, elle opte pour la deuxième option. Mais ce qui m’intéresse ici, c’est que tout cela ouvre la porte à des réflexions sur les rapports de classe et la société américaine pas mal plus profondes que je ne le percevais à 12 ans.
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Privilèges, appropriation culturelle et whitewashing
Trois mots qui résonnent beaucoup en 2020 mais dont on parlait peu dans les médias il y a 20 ans. Pourtant, c’est bel et bien de ça qu’il s’agit: Torrance, blanche, belle, mince, hétérosexuelle et riche réalise que sa vision du monde est basée sur un vaste mensonge. Qui plus est, son succès est dû à l’exploitation du travail de jeunes femmes noires issues d’un quartier défavorisé. Alors qu’elle n’était clairement pas souvent sortie de sa banlieue dorée, Torrance fait la connaissance d’Isis (Gabrielle Union), la capitaine des Clovers. La très fierce meneuse de claque lui met ses privilèges en pleine face, bien déterminée à faire éclater la vérité et à gagner la place qui lui revient. Check tes privilèges, Torrance!
C’est également toute une réflexion sur l’appropriation culturelle et le whitewashing qui se déploie, bien avant qu’on ne soulève les enjeux de diversité dans l’industrie du cinéma, de la télé et des médias en général. En le revisionnant avec cette lunette, je me suis rendu compte que le film illustre un phénomène qui se produit encore trop souvent: des personnes blanches s’emparent de produits culturels, symboliques, artistiques ou autres, appartenant à un groupe opprimé ou marginalisé, et profitent du succès que leur permet leur tribune. Au-delà de ça, les Toros, qui dansent et chantent des mouvements et des chansons imaginés par les Clovers, « whitewashent » complètement l’esthétique initiale, en supprimant les références à la culture noire pour se les approprier. Alors que des polémiques récentes comme celles de SLAV et d’Escouade 99 soulèvent les enjeux de whitewashing et d’appropriation culturelle, c’était quand même avant-gardiste qu’un film d’ado aborde de front ces questions-là en 2000.
Go Clovers!
Petit spoiler ici: même si Torrance et son équipe font preuve d’honnêteté, de bonnes intentions et de travail acharné pour inventer des chorégraphies originales, ce sont les Clovers qui accèdent à la première place aux Championnats nationaux. Cette décision scénaristique a été critiquée par les studios hollywoodiens de l’époque, mais les auteurs ont tenu leur bout, et ce sont finalement l’équipe de East Compton qui remporte cette victoire bien méritée. Go Clovers!
Cela m’amène d’ailleurs à réfléchir à une autre facette du film: la présence et le succès de personnages féminins forts issus de la diversité. Alors qu’elles se démarquent complètement de l’image de la meneuse de claque blanche et fortunée, Isis et son équipe font preuve de classe, de dignité et de détermination à tout casser. On peut penser à la scène où Torrance, qui vient d’apprendre que les Clovers ne pourront pas accéder aux nationaux pour des raisons financières, remet un chèque (qui vient de son père, bien sûr!) à Isis pour aider son équipe à couvrir les frais. La capitaine, la tête haute comme jamais, affirme qu’elle n’a pas besoin du « guilt money » de Torrance, pour que celle-ci dorme mieux. Isis déchire le chèque en la regardant droit dans les yeux, en affirmant de pas avoir besoin d’elle. So fierce!
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This is not a democracy it’s a cheerocracy
Bien sûr, le film n’est pas parfait et certains aspects ont moins bien vieilli (je pense aux enjeux de grossophobie, de slut-shaming et de consentement pas toujours respecté, par exemple) mais somme toute, le scénario dépasse largement la simple rom-com pour ados. Le critique de cinéma Roger Ebert a même déjà affirmé que Bring It On était le « Citizen Kane des films de cheerleading ». Dans tous les cas, je me dis que si tous les films d’ados portaient des discours aussi lucides et « woke » sur les rapports de classe, la diversité culturelle et les privilèges, ça serait fantastique.