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Bosch et le charme mystérieux du divertissement ordinaire
Les séries télé n’ont pas toujours eu une place aussi significative dans nos vies.
La programmation télévisuelle était pensée pour tout le monde et personne en particulier. On s’y faisait parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire, c’est tout.
Avant l’avènement des réseaux sociaux, la télé occupait plus ou moins leur rôle: celui d’un compagnon omniprésent à l’influence questionnable, comme Ti-Brin dans Passe-Partout. Au lieu de constamment rafraîchir nos fils de nouvelles Facebook et Instagram en attendant que quelque chose d’intéressant se passe, on zappait frénétiquement d’une chaîne câblée à l’autre en espérant trouver quelque chose d’assez intéressant pour tenir l’ennui à distance jusqu’à ce que ce soit l’heure de dormir: Virginie, Découverte, Iron Chef, la soixantième diffusion de l’étrange film Les Banlieusards avec Tom Hanks à TVA, un samedi soir à 23h.
La programmation télévisuelle était pensée pour tout le monde et personne en particulier. On s’y faisait parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire, c’est tout.
Maintenant qu’internet et les réseaux sociaux ont usurpé à la télévision la tâche de tuer l’ennui, cette dernière s’est renouvelée dans les grands rendez-vous culturels. Depuis la première des Sopranos en janvier 1999, la télévision est graduellement devenue un lieu de rassemblement. Emboîtant le pas à HBO, les grands réseaux américains comme Showtime, AMC, FX et autres se mirent à développer leurs propres séries intelligentes, innovatrices et iconoclastes, inaugurant un âge d’or pour la fiction télévisuelle.
Regarder une série télé, c’est devenu un geste culturellement important pour une personne normale.
Regarder une série télé, c’est devenu un geste culturellement important pour une personne normale. Que ce soit Game of Thrones, Breaking Bad, The Office, District 31 ou autre, elles sont devenues le deuxième sujet de conversation par excellence pour briser la glace avec un inconnu après «on a du beau temps, hein? C’est cool». Ne pas regarder la série du moment, c’est de s’autobannir d’une caste sociale qui prend son divertissement au sérieux.
C’est devenu beaucoup plus sympathique et significatif de regarder la télévision depuis le tournant du millénaire. Cependant, je trouve ça encore le fun de regarder des séries juste… pas pire. Des séries faites pour tout le monde et personne en particulier, comme Bosch.
La revanche de l’ordinaire
Bosch, c’est pas mauvais… mais c’est pas super bon. C’est une série policière où un flic californien (joué par le sous-estimé Titus Welliver) avec un lourd passé (et une obsession un peu péteuse pour le jazz) résout une enquête par saison en essayant très fort de a) ne pas sombrer dans l’alcool b) garder sa femme et sa fille en vie et c) ne pas se faire trop détester de ses collègues. Cette série-là, vous l’avez probablement déjà vue si vous avez regardé beaucoup de télé dans votre vie. C’est dessiné à gros traits, autant que les projets qui essaient de plaire à trop de monde.
Quand je dis «gros traits », je veux dire:
– Dans la deuxième saison, la femme et la fille de Bosch se font enlever… et secourir par le personnage principal et son partenaire (l’encore plus sous-estimé Jamie Hector) armés de fusils d’assaut À LA FIN DU MÊME ÉPISODE!
– À la recherche du meurtrier de sa mère dans ses temps libres, Bosch se trompe deux fois avant de découvrir qu’il s’agit du président de la commission de la police. Rien de moins.
– Des mercenaires engagés par un réalisateur d’Hollywood en procès pour multiples agressions sexuelles assassinent un gars que Bosch soupçonne d’un meurtre non résolu parce que… comment ça va aider sa cause au juste?
Vous voyez ce que je veux dire. La série Bosch n’est ni drôle, ni esthétiquement belle et n’a pas non plus de profondeur. C’est juste une série de scènes relativement intéressantes qui se suivent dans un ordre chronologique sans vraiment jamais changer de ton. C’est très à l’image des romans de Michael Connelly desquels la série est adaptée… mais je ne peux quand même pas m’empêcher de regarder compulsivement. J’en suis présentement à la sixième et dernière saison.
Si c’est si ordinaire, pourquoi on reste accroché? J’ai quelques hypothèses à ce sujet:
1) Par nostalgie
Pas nécessairement parce que je m’ennuie des années 90. Plutôt, parce que je m’ennuie de regarder la télé pour le plaisir de regarder la télé, sans ressentir le besoin de m’investir viscéralement dans ce que je regarde.
Pouvoir aller faire pipi sans peser sur pause, c’est un plaisir qui se perd.
Comme je disais plus haut, le rafraîchissement continu du fil d’actualités Facebook a remplacé le zapping au courant de la décennie. Les algorithmes sont rentrés dans nos vies avec toutes sortes d’impératifs moins clairs les uns que les autres et c’est devenu beaucoup trop difficile de tomber sur quelque chose de juste pas pire. Quelque chose de compétent, mais pas nécessairement fait pour moi que je peux traiter un vague manque d’intérêt comme un compagnon omniprésent à l’influence douteuse.
Si je rate un détail important dans Bosch, c’est pas grave. On va me l’expliquer plus tard dans l’épisode parce qu’on y fait le point aux 5 minutes au cas où y’aurait des morons à l’écoute. Pouvoir aller faire pipi sans peser sur pause, c’est un plaisir qui se perd.
2) Par anxiété sociale
Avant, regarder la télé c’était anxiogène. Lorsqu’on avait pas de plateformes pour comparer nos vies, c’était vers la télévision et les magazines qu’on se tournait pour faire des comparaisons malsaines. À l’époque, les médias nous renvoyaient des idéaux de beauté et de masculinité complètement déconnectés pour nous convaincre d’essayer de leur ressembler. Peu importe combien d’heures je passe dans un gym, je ne ressemblerai jamais à Sylvester Stallone dans Rambo 2.
On ne ressent plus la pression d’avoir une vie extraordinaire en regardant la télé, parce que cette pression-là on la ressent ailleurs.
Aujourd’hui, plus besoin de ça. Parce qu’il y a votre p’tit cousin Louis-Christophe qui a l’air en vacances à Bali depuis 2012 et dont la seule mission dans la vie semble être de vous faire sentir cheap et laid quand vous ouvrez Instagram. Vous savez de quel cousin je parle. Celui qui se promène toujours en chest et qui porte une barbe de marin russe et un man-bun.
Les médias traditionnels ont encore leur part de blâme là-dedans. Mais maintenant qu’on a la «vraie vie» sur laquelle obséder et que le logiciel Photoshop est mieux compris des masses, cette part reste mineure. On ne ressent plus la pression d’avoir une vie extraordinaire en regardant la télé, parce que cette pression-là on la ressent ailleurs.
Y’a aussi que dans Bosch, on voit des gens à l’apparence somme toute normale. Des gens de tous âges avec des rides, des cicatrices, des bédaines de bière, etc. Les jeunes y sont naïfs et les vieux parfois sages et parfois cyniques. On y voit du monde ordinaire (à part peut-être Bosch) y vivre des choses extraordinaires. Ils sont pas assez intéressants pour que j’ai l’obligation de regarder, mais ça me fait du bien quand je le fais.
3) Par déficit d’attention
Le 5/8 de la société occidentale a regardé Game of Thrones lors que sa diffusion initiale, sur HBO. C’était vraiment ce que la télévision contemporaine avait de mieux à offrir… mais c’était aussi fucking dur à suivre. Presque 100 personnages, des intrigues qui se croisent et s’entrecroisent, du monde qui meurt, du monde qui arrive, du monde qu’on pensait mort et qui revient.
C’est bon, là. C’est excellent, mais c’est du sport pour les neurones et on finissait chaque épisode avec une peur sourde d’avoir manqué un détail important.
La vie d’adulte comporte tellement d’enjeux que c’est bien d’avoir un moment pour soi où y’en a absolument aucun.
Bosch, c’est LA série qui comprend le mal du siècle. Chaque épisode continent une intrigue autosuffisante et si on manque des détails de l’intrigue générale (qui fait une saison), ils seront répétés dans le prochain épisode. On peut plier du linge, texter avec quelqu’un ou même prendre 10 minutes pour se faire à manger sans que ça compte. La vie d’adulte comporte tellement d’enjeux que c’est bien d’avoir un moment pour soi où y’en a absolument aucun. Où on peut être une audience poche sans danger.
Le futur dU milieu
La série Bosch est-elle un doux anachronisme ou un trésor auquel on a trop peu porté attention depuis sa création en 2014? Eh bien, le divertissement ordinaire n’est pas mort. Il sera toujours le créneau des diffuseurs qui ont a) pas assez d’argent ou b) trop la chienne pour confier un projet à une tête créative unique (comme HBO le fait si bien). Il disparaîtra peut-être un jour, mais avec le nombre de plateformes de streaming qui augmente constamment et la demande qui suit la même trajectoire, on peut penser en toute quiétude qu’il existe un futur pour les chips au ketchup du divertissement télévisuel.
Il y a quelque chose de réconfortant à regarder une série télé qui n’essaie jamais de nous surprendre.
Il y a quelque chose de réconfortant à regarder une série télé qui n’essaie jamais de nous surprendre. C’est comme avoir un compagnon qui ne nous juge pas d’être effoiré sur le divan pendant des heures, parce qu’on ne le juge pas d’essayer juste à moitié. C’est un drôle de rituel qui calme l’esprit.
Les six saisons de Bosch sont disponibles sur Amazon Prime Video et Crave pour un weekend ordinaire, mais réconfortant!