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Bonne fête cannabis légal!
« J’étais ici le jour 1! Il y avait tellement de monde au début qu’on se partageait le spot à huit et qu’on pouvait faire jusqu’à 1000 $ par jour! », lance Justin, qui quête depuis trois ans en face de la SQDC de la rue Saint-Catherine au centre-ville de Montréal.
« La file était interminable et tournait le coin, des centaines de personnes venaient chaque jour. Là, il y a trop de succursales et le spot a perdu de sa valeur », soupire le jeune homme, recevant au même moment un joint préroulé d’un client sortant du magasin.
« Merci man! », rétorque-t-il, habitué.
Impossible de savoir s’il amassait vraiment 1000 $ par jour avec son bout de trottoir à l’époque, mais une chose est certaine, le fait de passer de 12 à 78 succursales en trois ans à travers la province (la dernière en lice a été ouverte à Chibougamau le 15 octobre) a certainement éparpillé l’achalandage. « C’est ma job, les gens me connaissent, mais depuis l’ouverture d’une succursale sur Crescent, c’est mort ici », se désole Justin devant le magasin tranquille en ce lundi après-midi, malgré un va-et-vient constant.
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Ce détour rue Sainte-Catherine pour dire que la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté n’est pas le seul anniversaire à être passé un peu dans le beurre le 17 octobre dernier.
Non, puisqu’on soulignait aussi ce jour-là les trois ans de la légalisation du cannabis au Canada et, par le fait même, de l’ouverture des premières succursales de la Société québécoise du cannabis (SQDC), dont celle du centre-ville.
Depuis, le porte-parole de l’organisme gouvernemental parle d’une « croissance soutenue ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes en fait. « On est passé de 200 à plus de 1000 employés et les bénéfices nets ont doublé de 33 millions de dollars (en 2019-2020) à 66,5 millions de dollars (en 2020-2021) », indique Fabrice Giguère, soulignant que l’impact concret de la pandémie sur la consommation est difficile à évaluer.
On peut toutefois affirmer sans trop de risque que la crise a été lucrative pour la SQDC – un service essentiel – qui n’a jamais interrompu ses activités.
Même la pénurie de main-d’œuvre qui secoue l’ensemble de la province épargne pour l’instant notre dispensaire national. « Jusqu’ici, globalement, les choses vont bien », résume M. Giguère.
Ce dernier impute au contexte pandémique et à l’expertise acquise le fait que ce troisième anniversaire passe un peu sous silence. « Il y avait beaucoup d’inconnus au début et on m’appelait souvent. L’approvisionnement était difficile, les producteurs n’avaient pas eu beaucoup de temps pour se préparer, mais aujourd’hui, nous avons de 200 à 300 produits disponibles », calcule Fabrice Giguère, qui louange au passage l’expérience acquise par le personnel depuis trois ans.
« Il reçoit une formation solide et après trois ans de légalité, beaucoup de recherches scientifiques se font pour comprendre l’ensemble des interactions chimiques de la plante sur le corps humain. Nos conseillers et conseillères ont des informations à jour », assure le porte-parole.
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Pot légal mais témoignages anonymes
Rien de mieux qu’un coup de sonde sur le terrain pour palper la satisfaction ambiante au sujet de la SQDC, voire de la légalisation du cannabis à usage récréatif.
De retour à la succursale de la rue Sainte-Catherine, où Justin lance une croûte de pizza à un moineau sur le trottoir. « Au début, on ouvrait la porte aux clients, mais le gouvernement nous l’a interdit », souligne-t-il, avant de me raconter la fois où il s’est fait poignarder à onze reprises en mai dernier. Une sale histoire, où il a failli y rester. « La plupart des clients sont cool, c’est plus les crackheads qui veulent mon spot qui me font peur », tranche-t-il.
Parlant de client.e.s, ceux et celles qui ont accepté de me parler l’ont presque tous fait anonymement. Un aspect révélateur des tabous qui subsistent encore entourant la consommation de drogue (légale), puisque personne n’hésiterait à parler à visage découvert en sortant d’une succursale de la SAQ.
Enfin, Jacob n’était pas venu depuis longtemps en magasin et admet être souvent déçu par les produits qu’il achète. « Le cannabis devient vite sec. J’aimerais avoir plus de qualité, mais en même temps, c’est peut-être parce que je ne paye pas assez cher », nuance le client dans la vingtaine, qui consomme surtout de la variété sativa pour se tenir éveillé. « C’est mon truc pour faire de la musique », souligne Jacob, encore irrité par le suremballage de certains produits, même si la SQDC assure avoir corrigé le tir à cet effet.
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« En France, c’est galère, alors qu’ici, on n’a qu’à marcher dix minutes pour en trouver! », résume Gaby, une étudiante européenne fraîchement débarquée à Montréal et bien consciente du piège que peut constituer cet accès direct au cannabis. « Je ne suis pas une fumeuse hard core, mais peut-être que je vais plus fumer ici », avoue-t-elle avec franchise, flanquée de son amie Romane.
C’est sa deuxième visite en deux semaines dans cette succursale. « C’est hyper bien présenté, pas glauque du tout et les commis sont professionnels », constate Gaby.
Si elles savaient que le pot était légal au Canada, les deux jeunes femmes ignoraient qu’un seul endroit était autorisé à en vendre. « Ça fait bizarre de dire que c’est le gouvernement qui vend du weed », admet Gaby.
Savoir ce qu’elle consomme : voilà le gros avantage de la légalisation aux yeux de Lilly, une enseignante du secondaire qui fume son petit joint tous les soirs. « Il y a de plus en plus de sortes, mais j’aimerais qu’on encourage plus nos producteurs québécois. Il y a le suremballage des produits aussi qui me dérange, mais au moins, on peut les recycler maintenant », commente la prof, d’avis qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour combattre les préjugés.
« Il n’y a pas de problèmes à partager sur les réseaux sociaux des photos de soirées entre ami.e.s autour d’une bouteille de vin, mais je suis encore mal à l’aise à l’idée de dire que je fume, surtout à mes élèves », admet Lilly.
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« Je ne fumerais pas sur la rue »
Sur l’avenue Mont-Royal, l’entrée de la succursale est noyée dans un bordel d’échafaudage. Un imposant agent de sécurité monte la garde, pendant que les client.e.s entrent et sortent à intervalle régulier. « Je viens une fois aux trois semaines, sinon je commande en ligne. Je cherche quelque chose de doux », raconte Justine, qui ne voit pas grand différence depuis la légalisation, sinon la facilité à se procurer du pot. « Je ne me cache pas, mais je ne fumerais pas sur la rue ou en public. J’ai une vieille mentalité là-dessus », admet la jeune cliente.
La mentalité finira par changer avec le temps, croit de son côté Martin, après sa visite hebdomadaire à la SQDC. « Je fume mon joint le soir pour relaxer, du “Jean-Guy” ou du “Horizon”. J’en ai appris un peu plus sur les produits en trois ans, des fois je demande conseil aussi », explique le client satisfait, content de savoir ce qu’il consomme. Malgré l’accès facile à quelques minutes de chez lui, Martin assure ne pas fumer plus qu’avant.
Tracy doit pour sa part marcher environ 40 minutes pour se rendre à la succursale de la rue Mont-Royal. Elle se réjouit donc de l’ouverture prochaine d’un magasin sur la rue Masson, plus près de chez elle. « Je trouve ça pratique et sécuritaire. On n’a plus à courir après des gens pour fumer, j’ai eu des mésaventures dans le passé… », avoue-t-elle. Elle observe que les gens autour d’elle consomment davantage depuis la légalisation, mais surtout du CBD ou des produits comestibles.
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Cinq joints par jour et des centaines d’employé.e.s
Ouverte depuis quelques mois seulement, la succursale du boulevard des Laurentides à Laval sent un mélange de peinture et de cannabis. Les clients rencontrés n’ont pas à se plaindre. « Ici, t’attends jamais! Je fume environ un trois et demie par semaine, j’ai ralenti pas mal. Je travaille, j’élève ma famille : il y a beaucoup d’éducation à faire par rapport aux perceptions », philosophe Maurice, qui fume son « Cotton candy kush » pour relaxer et remplacer les antidépresseurs. « La vie est stressante et ça me fait du bien. Ce n’est pas une piquerie ici, mais il y a encore du jugement. Pour certains, si tu entres ici, t’es un maudit poteux », déplore Maurice.
Frédéric en tout cas, déjoue les stéréotypes du poteux végétatif qui se tape un trip de bouffe devant Netflix dans son sofa. « Je suis surintendant de chantier, j’ai des centaines d’employés à ma charge et je fume cinq joints par jour pour être fonctionnel », avoue le gaillard, adepte des joints préroulés de la marque « Danse de fraise ».
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Avant d’entrer dans la succursale, il a remonté la manche de son manteau, aux couleurs de son entreprise. « Je sais que tout le monde fume en construction, mais je ne peux pas me permettre de le dire à cause de mon poste », souligne Frédéric, qui se défend d’avoir besoin d’une béquille pour fonctionner. « Il y a des gens qui prennent des pilules pour dormir, moi, je fume mon petit joint », laisse-t-il tomber.
Pour l’heure, la SQDC prévoit étendre la livraison express le jour même dans la région de Québec, une façon de contrer le marché illégal (un objectif atteint jusqu’ici à 50 % selon des statistiques rendues publiques sur leur site en mars dernier).
Si la clientèle est au rendez-vous, il faudra encore du temps et des efforts pour rendre la consommation de cannabis socialement acceptable.
Tiens, à quand un Espace cellier ou une carte Inspire version SQDC?