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« Blonde » est une œuvre brutale et monumentale
Dans son roman Blonde publié en 2000, Joyce Carol Oates racontait une version sombre et fictionnalisée de la vie de Marilyn Monroe, née « Norma Jeane Mortenson » avant de devenir un sex-symbol et une icône culturelle. Sur près de 800 pages, le livre progresse de manière chronologique, des six ans de la petite Norma Jeane jusqu’à sa mort en 1962. Son style unique alterne entre différents points de vue, rêves, souvenirs traumatiques et monologues intérieurs, entrecoupés de poèmes ou de courriers de fans.
C’est une œuvre littéraire colossale, qui réinvente la vie et la carrière de Norma/Marilyn à la manière d’un conte de fées tordu, rythmé par l’addiction, l’anxiété et l’exploitation sexuelle.
Adaptation fidèle
Après plus de dix ans de développement, plusieurs changements d’actrice principale (le rôle de Norma Jeane devait d’abord être interprété par Naomi Watts, puis Jessica Chastain, avant d’être attribué à Ana de Armas), et des rumeurs sur la nature explicite de son contenu, l’adaptation cinématographique de Blonde a enfin fait ses débuts à la Mostra de Venise et est sorti sur Netflix le 28 septembre.
Ce faux biopic retranscrit fidèlement la surcharge sensorielle et l’atmosphère anxiogène créées par le roman.
Ce faux biopic monumental, réalisé par Andrew Dominik, retranscrit fidèlement la surcharge sensorielle et l’atmosphère anxiogène créées par le roman. Sombre, frénétique et parfois violent, il risque de ne laisser personne indifférent. Car c’est une chose d’imaginer la détresse émotionnelle et physique de l’icône américaine sur le papier : c’en est une autre de la représenter graphiquement et de la projeter sur grand écran.
D’une durée de 2 h 45, Blonde est une proposition visuelle dense et radicale, qui désarçonne le spectateur ou la spectatrice et mérite un temps d’assimilation assez lent (imaginez notre désarroi à l’idée de formuler un avis dessus quelques heures seulement après l’avoir vu). Sans craindre la surdose stylistique, Andrew Dominik multiplie les registres et les idées, passe de la couleur au noir et blanc, change sans cesse de formats et de ratios selon l’émotion de son héroïne.
Beaucoup de scènes se fondent l’une dans l’autre, Norma Jeane passant, dans un même plan, de sa chambre au cockpit d’un avion, ou d’une plage paisible à une avant-première fourmillant de photographes. Certaines séquences colorées et champêtres rappellent l’univers idyllique des contes de fées, d’autres évoquent le registre de l’horreur, Norma Jeane filmée en infrarouge dans l’obscurité de sa chambre, les yeux presque entièrement noirs et le torse couvert de veines apparentes.
Violent, chaotique, et sublime
Une fois la désorientation initiale passée, le mieux est de s’abandonner à cette « avalanche d’images » concoctée, selon ses propres termes, par le réalisateur de L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Andrew Dominik développe ainsi un langage riche et complexe qui traduit visuellement un des motifs récurrents du roman de Joyce Carol Oates : le fait que Norma Jeane imagine des moments clés de sa vie comme des scènes de film. Le résultat s’apparente à un chaos sublime où, en presque trois heures, pas un seul plan n’est négligé.
Blonde est assurément une œuvre brutale, que certains considèreront sans doute comme blasphématoire. Mais les moments choquants qui ponctuent le film ne sont pas gratuits.
Au centre de presque tous ces plans se trouve Ana de Armas, actrice cubaine talentueuse aperçue entre autres dans Knives Out ou No Time to Die. Dès la sortie des premières images du film, la question de sa ressemblance avec Marilyn Monroe et sa capacité à l’incarner a fait couler beaucoup d’encre. Mais son interprétation est un tour de force. La jeune femme passe avec aisance du pur mimétisme (lorsqu’elle recrée des scènes iconiques de la filmographie de Marilyn), à une appropriation plus personnelle et viscérale du rôle – à l’image de ce récit « biographique » fictif, où il est plus question d’interprétation que d’exactitude.
Cette licence artistique est peut-être ce qui causera le plus de débats à la sortie de Blonde. Au fil des mois, le film a développé une réputation sulfureuse, notamment en récoltant une interdiction aux moins de 17 ans (NC-17), la classification la plus stricte pour un film aux États-Unis. Il est vrai que celui-ci se montre parfois très cru, notamment dans sa représentation de la violence sexuelle.
Blonde est assurément une œuvre brutale, que certains considèreront sans doute comme blasphématoire (après tout, le roman de Joyce Carol Oates a lui aussi été qualifié de « sacrilège » par certain.e.s critiques offensé.e.s lors de sa sortie). Mais les moments choquants qui ponctuent le film ne sont pas gratuits, et contrairement à ce que la rumeur laissait croire, ne contribuent pas à une sur-sexualisation de Marilyn Monroe. Au contraire, ils cherchent à égratigner l’image lisse de l’actrice blonde, et montrer ce qui se cache derrière ce sex symbol créé de toutes pièces.
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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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