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BITCHOLOGIE : le dernier dildo dans le cercueil de Diddy

« Sean Combs : Reckoning » ou le rap beef en documentaire.

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La nouvelle série documentaire consacrée à la chute du magnat du hip-hop Sean “P. Diddy” Combs présentement disponible sur Netflix en vaut-elle vraiment la peine?

Pour faire court : oui.

Si je dois extrapoler : crisse que c’est bon.

D’abord, soulignons que la série, divisée en quatre chapitres tous plus explosifs les uns que les autres, est réalisée par une femme, Alexandra Stapleton (yé!), et produite par un rival notoire de Diddy, le rappeur Curtis Jackson mieux connu sous son nom de scène 50 Cent. Ce dernier, qui a connu la gloire durant les années 2000 avec son album Get Rich or Die Tryin’ et qui est loin d’être un enfant de chœur, vient de donner une tout autre dimension au concept de « rap beef ». Après tout, pourquoi se contenter d’égratigner son némésis dans une toune de 4-5 minutes quand on peut produire une série documentaire de plus de 4 heures pour le rayer de la surface de la Terre?

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Sans blague, le conflit entre Drake et Kendrick qui s’est transposé jusque sur la scène du Super Bowl en février dernier, c’est de la petite bière comparé à la vaste entreprise menée par 50 Cent qui multiplie les attaques au sujet de Diddy sur ses réseaux sociaux depuis déjà quelques années.

Il faut savoir que 50 Cent est un homme de son temps : le rappeur, aujourd’hui âgé de 50 ans, est habitué de régler ses comptes sur la place publique en s’appuyant notamment sur des memes pour ridiculiser ses adversaires. Ce n’est pas un justicier, mais bien un bully. Et attention, son terrain de jeu est loin de se limiter au web : 50 Cent est aussi un troll dans la vraie vie. En 2018, en plein conflit avec le rappeur Ja Rule, il avait décidé d’acheter 200 billets dans les premières rangées à un de ses concerts… uniquement pour les laisser vides. Il a ensuite déclaré que les billets « étaient tellement cheaps que c’était tout naturel de les acheter ».

Rough.

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D’ailleurs, depuis le lancement de sa série documentaire consacrée à Diddy, 50 Cent jubile. Il multiplie les blagues sur Instagram et le shade en entrevue. « Désolé à l’équipe de Stranger Things pour ma série numéro 1 un peu partout sur la planète », écrit-il sous différentes publications. 50 Cent a même poussé l’audace jusqu’à accepter de s’asseoir avec une journaliste du réseau ABC pour parler de son projet parce qu’il sait que ce réseau est un des seuls autorisés dans les prisons américaines et que Diddy, qui purge actuellement une peine de 50 mois, y sera confronté.

« I hear you like them young »
« I hear you like them young »
« I hear you like them young »

Bref, vous ne voulez pas avoir 50 Cennes comme ennemi.

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Avec Sean Combs : Reckoning, le rappeur s’aventure dans de nouveaux territoires, déterminé à lever le voile sur le parcours criminel de Sean P. Diddy Combs, de ses débuts comme jeune blanc-bec en quête de validation sur la scène hip-hop dans les années 1980-1990 à son ascension fulgurante au sein du gratin hollywoodien au tournant des années 2000.

Évidemment, ce qui nous intéresse, c’est la chute, amorcée en 2023 à la suite d’une plainte déposée devant la justice américaine par Cassie Ventura, une des protégées de Diddy devenue sa compagne de vie et principale victime d’une série de sévices qui lèvent le cœur.

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La plainte, scabreuse, secoue l’industrie et, comme une pièce de domino qui tombe, entraîne une réaction en chaîne marquant le début de la fin pour le magnat du hip-hop. À voir les témoignages recueillis dans la série documentaire de 50 Cent, cette chute, qui a mis fin à une grosse omertà dans le milieu, était attendue depuis longtemps. En date d’aujourd’hui, Diddy est visé par près de 80 autres plaintes liées à des affaires de pédophilie, de viol, de sextorsion et de trafic humain.

La fille officielle

C’est en 2006 que Cassie, alors âgée de 19 ans, fait la rencontre de Diddy, de 17 ans son aîné. Rapidement, la relation passe de relation d’affaires à relation amoureuse tordue, marquée par le contrôle et la coercition : Diddy dictait à Cassie comment s’habiller (sexy), comment se coiffer (le crâne à moitié rasé), et même quel vernis à ongles porter (blanc). Elle était sa chose. Si elle refusait de se soumettre, il la battait.

Le grand méchant loup en compagnie du petit Chaperon rouge
Le grand méchant loup en compagnie du petit Chaperon rouge
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Le rappeur poussait aussi sa victime à participer à des actes sexuels dégradants durant des trips à trois avec des travailleurs du sexe (le masculin l’emporte définitivement ici, croyez-moi) ou des partouzes qui pouvaient s’échelonner sur plusieurs jours et où substances illicites étaient de mise.

C’est ce que Diddy et son entourage appelaient des freaks offs. Vous l’avez peut-être vu passer sur les Internets : dans le cadre de l’enquête qui a suivi le dépôt de la plainte de Cassie, des agents fédéraux ont mené un raid dans les appartements de Diddy et ont notamment saisi plus de mille bouteilles d’huile pour bébé dont certaines étaient coupées avec du GHB.

Lors du procès qui a suivi, des témoins ont raconté avoir été contraints de boire des solutés pour se rendre au bout de ces marathons de sexe sans s’interrompre.

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Cassie aura passé plus d’une décennie entre les griffes de son tortionnaire. Ça me fait beaucoup de peine quand j’y pense parce que Cassie, c’est mon adolescence. Elle est arrivée sur la scène musicale alors que les femmes noires bénéficiaient d’un momentum qui leur a permis de percer la musique pop mainstream, malgré leur bagage hip-hop. C’était l’âge d’or des Aaliyah, TLC, Eve, Missy Elliott et Ciara de ce monde.

Sans Cassie, Jay-Z, « ennami » de longue date de Diddy, n’aurait probablement pas autant poussé pour imposer sa propre égérie, une certaine Rihanna. C’est dire.

Cassie n’a eu besoin que de 2-3 hits entre 2006 et 2008 pour laisser une marque indélébile dans le monde du hip-hop. Sa toune la plus connue, Me & U, aurait pu sortir cette année.

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Ça me fait royalement chier de voir comment la chanteuse a été ridiculisée par la gang la plus virulente du fandom de Diddy, constituée de beaucoup de masculinistes noirs naturellement engagés dans les luttes antiracistes, mais incapables de concevoir que les femmes noires subissent des violences spécifiques à l’intersection de la race et du genre. Cette armée de losers – dans laquelle on compte aussi beaucoup de femmes noires misogynes, trust –, était convaincue que Cassie cherchait à escroquer Diddy. Pendant je ne sais plus combien de semaines, on a été pognés à se farcir les commentaires d’usage sur les réseaux sociaux : pourquoi elle dénonce seulement maintenant? Pourquoi est-elle restée aussi longtemps si c’était si pire que ça? Ugh.

ll aura fallu que CNN diffuse des images capturées par des caméras de surveillance en 2016 et obtenues en exclusivité pour que la honte commence à changer de camp.

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(Attention : les images suivantes peuvent être difficiles à regarder.)

Diddy le magnifique

Pour détruire définitivement l’homme, il fallait donc s’attaquer au mythe. Défaire l’image avec des images. Le feu par le feu. Et ça, 50 Cent l’a bien compris.

Ce sont les archives inédites et la sélection des intervenants, toutes des personnes en première ligne, qui font la réussite de cette série documentaire. Grâce à eux, on revient sur la trajectoire de P. Diddy en braquant les projecteurs sur ceux qu’il a écrasés au passage pour se rendre au sommet. Rappelons qu’au plus fort de sa gloire, la fortune de Diddy, attribuable à ses moves d’homme d’affaires crapuleux plutôt qu’à un quelconque talent musical, le plaçait dans le club sélect des milliardaires américains aux côtés d’autres artistes tels que Taylor Swift, Bruce Springsteen, Kanye West pré-meltdown ainsi que le tandem formé par Beyoncé et Jay-Z.

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À Hollywood, Diddy faisait figure de magnat grâce à son label Bad Boy Records, sur lequel figuraient des stars prometteuses du rap telles que The Notorious B.I.G. et Faith Evans, et éventuellement, des Cassie, Pitbull et Machine Gun Kelly. Diddy savait dénicher des talents : c’est lui qui a aidé Mary J. Blige à se créer une niche dans le hip-hop soul, un sous-genre qui emprunte au gospel tout en restant street.

Diddy était aussi connu pour ses partys légendaires à la Great Gatsby attirant la crème de la crème du gratin hollywoodien : Oprah, Leonardo DiCaprio, Demi Moore, Michael Jordan, Salman Rushdie, Donald Trump, Paris Hilton, Aretha Franklin et j’en passe.

Une fois la nuit bien entamée, il arrivait que les partys de Diddy prennent un virage sulfureux. Selon les rumeurs, le producteur avait l’habitude de faire des avances sexuelles à de nombreuses célébrités, hommes comme femmes, pour participer à des freak offs. Et dans la communauté hip-hop, où l’homosexualité est encore considérée comme un crime de lèse-majesté, ce genre d’avance ne passe tout simplement pas. Diddy est par ailleurs soupçonné par le milieu d’avoir agressé sexuellement des hommes comme Justin Bieber et Usher, alors qu’ils étaient tous deux mineurs. 50 Cent aurait lui-même déjà été dans le viseur de Diddy d’où son aversion pour le personnage.

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Il faut le dire : c’est aussi l’homophobie généralisée au sein de la communauté noire qui contribue à sa disgrâce.

Howard Stern, Kelly Osbourne et I don’t know her en compagnie de Kim Porter, la baby mama de Diddy morte dans des circonstances louches, et le démon en personne.
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Leo et des hommes de plus de 25 ans
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La série documentaire retrace la jeunesse de Diddy passée auprès de Janice, une mère auxiliaire d’enseignement et mannequin à ses heures, qui trempait vraisemblablement dans le crime organisé, dans le sillage de son mari, un dealer de drogue raffiné (pensez le Parrain, genre), abattu au cours d’une transaction qui a mal viré. On comprend dans le documentaire que c’est cette matriarche qui a transmis son goût de la fête à Diddy. On comprend aussi que c’est cette même mère qui a cultivé la violence au sein de la maisonnée… une violence qui a fini par se retourner contre elle.

Diddy vivra toute sa vie avec l’impression qu’il était issu d’une famille spéciale, qui se distinguait des autres. Et cette figure du père gangster, plus grande que nature, serait sans contredit à l’origine de ses propres illusions de grandeur.

Un bien trop grand royaume

Personnage insaisissable s’il est en un, au cours de sa carrière, Sean P. Diddy a changé de nom presque autant de fois que Jean Leloup : Puffy, Puff, Puff Daddy, P. Diddy, Diddy, PD et Brother Love, qui est à Diddy ce que le Roi Ponpon est à Leloup. Son empire, loin de se limiter au monde de la musique, s’est construit autour de différents projets entrepreneuriaux comme sa marque de vêtements Sean John qui a fait le bonheur des wankstas entre 1998 et 2006 (je suis persuadée que Georges St-Pierre s’habillait comme ça à l’époque), avant que la mode emo ne prenne complètement le dessus pour paver la voie à la culture hipster et à ses vêtements néon.

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Avant de continuer, je me dois d’y aller d’une confession. Je suis une femme noire, oui, mais je n’ai pas grandi en écoutant du rap. Mon père, grand adorateur de la vieille chanson française devant l’Éternel, a limité mon exploration de la culture noire américaine à Eddie Murphy, Michael Jackson et Whitney Houston. C’est ma belle-mère, arrivée plus tard, qui a introduit Will Smith et Fresh Prince of Bel-Air chez nous. Avant ça, mon enfance avait été bercée au rythme des Acropolis plutôt que des Fuck Tha Police. Puis, quand est venu le temps de faire mes propres choix musicaux, je me suis tournée vers la musique pop, la musique noire hyper commerciale (#Destiné’s child), puis la musique indie.

Mon secondaire a été partagé entre la volonté de grinder sur du Sean Paul et celle, motivée par le racisme intériorisé, de fitter avec la clique des artisses blancs de mon secondaire privé en écoutant du Good Charlotte.

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J’ai connu Diddy quand il s’appelait Puff Daddy et qu’il sortait avec Jennifer Lopez. Pour les gens de mon âge, JLo était la star du couple, mais pour les milléniaux gériatriques et les jeunes X qui avaient connu les grosses années du gangsta rap marquées par des figures telles que Tupac, Notorious B.I.G., Dr Dre, Snoop Dogg et N.W.A., c’était plutôt Diddy, la superstar.

Tout ça pour dire que je n’avais pas vraiment conscience des guéguerres qui avaient déchiré le monde du hip-hop au cours des années 1990. Mon seul contact avec cet univers-là se limitait aux gars de mon école qui se promenaient dans les couloirs en criant : « East Coast/West Coast », en lien avec la fameuse rivalité qui opposait de nombreux rappeurs de New York et de Los Angeles.

Je savais que Tupac et Notorious B.I.G. étaient des rivaux, qu’ils étaient tous deux morts sous les balles et que Diddy en avait tiré une chanson qui échantillonne Every Breath You Take de The Police, mais sans plus.

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J’avais aussi entendu les rumeurs selon lesquelles Diddy avait joué un rôle dans l’un ou l’autre de ces décès, mais, compte tenu de son amitié avec Notorious B.I.G., j’étais sceptique. J’avais manifestement mal calibré le personnage et sous-estimé la jalousie comme moteur potentiel pour justifier l’impensable : trahir ses proches, manipuler un milieu entier et s’ériger en roi autoproclamé d’une industrie tandis que les corps s’empilaient à ses pieds. Sérieux, faudrait penser à ajouter une photo de P. Diddy à côté de la maxime « diviser pour mieux régner » dans le dictionnaire.

Pour moi, c’est LA plus grande leçon de Sean Combs : The Reckoning, outre le fait que le charisme et le prestige peuvent acheter à peu près n’importe qui (le jury, au secours, vous allez hurler en regardant le docu) : y’a rien de plus dangereux qu’un homme insécure.

Diddy, c’est un fou furieux, c’est le manipulateur narcissique par excellence, celui qui ment à tout le monde, mais d’abord à lui-même pour se convaincre qu’il est exceptionnel et que tout lui est dû alors que c’est un être d’une médiocrité abyssale, un parasite qui dépend de ses hôtes dont il draine les ressources pour garder la tête hors de l’eau. C’est un vampire émotionnel qui transforme ses failles en armes et ses traumatismes en excuses pour ses agissements.

Derrière ses grands discours sur l’excellence noire qu’il prétendait incarner, Diddy est un homme brisé et petit, terrifié à l’idée qu’on le voit pour ce qu’il est réellement : une coquille vide.

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Je pense que ce qui a bénéficié à P. Diddy, c’est qu’il est arrivé à un moment où la communauté noire avait besoin de rêver. Le rap était un genre musical relativement récent (rappelons que le hip-hop a célébré son 50e anniversaire en 2023) qui reflétait les frustrations de la première génération à avoir échappé de peine et de misère à la ségrégation raciale institutionnalisée, sans pour autant parvenir à cueillir les fruits d’une société soi-disant post-raciale parce qu’on ne surmonte pas des siècles d’oppression en trois ou quatre décennies. La communauté afro-américaine était ravagée par la pauvreté et sa petite soeur, la violence.

Et on va mettre quelque chose au clair tout de suite : je ne veux pas en entendre un estie parler de « Black on Black crime » dans les commentaires sous mon article. Il y a des crimes perpétrés TOUS LES JOURS dans des milieux défavorisés blancs, mais personne ne réduit ces crimes à la couleur de la peau des protagonistes. Les jeunes Noirs étaient [sont] stigmatisés, surveillés, réprimés par l’État. Ils étaient [sont] victimes de brutalité policière, incarcérés pour consommation de crack alors que les jeunes Blancs qui prenaient de la coke demeuraient [demeurent] libres. Ça crée une génération entière dans l’attente, prisonnière d’un rêve inachevé, celui de leurs parents, celui de Martin Luther King. Une génération désenchantée en quête de modèles émancipateurs, vu que les autres, comme le Dr King, avaient été tués.

Diddy incarnait, durant ses premières années de grand bonze de l’industrie de la musique, une forme de réussite jusque-là inédite pour les jeunes de sa communauté. Avec ses pairs, il a contribué à propulser la jeunesse noire hors des marges et au devant de la scène, au point où le public blanc n’était plus en mesure de détourner le regard.

Et c’est peut-être ça, le vrai drame, dans toute cette histoire : constater à quel point tout le monde, à différents degrés, a été complice de Sean P. Diddy Combs. Les rumeurs flottaient autour de lui depuis des années. Il a eu des démêlés avec la justice à plusieurs reprises. C’est franchement décevant de voir que, comme pour l’affaire Epstein, y’a pas grand monde qui sort éclaboussé du scandale Diddy, malgré tous ses liens avec l’industrie du divertissement. J’aurais bien pris une JLo à la barre des témoins, par exemple. Parce que les personnes vulnérables, celles qui sont à la recherche de héros ou de sauveurs, sont aussi parfois celles qui sont les plus susceptibles de couronner des imposteurs… ou leurs propres bourreaux.

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