J’aime dire que les personnes bisexuelles sont des flexitariens du cul.
On s’entend qu’il n’est pas ici question de comparer du tofu fumé à une orientation sexuelle, mais je m’explique. Les flexitariens ont un positionnement trop modéré aux yeux d’une société très exigeante. Quand nous y pensons, ils ne sont pas réellement pris au sérieux. Ils se font pointer du doigt par les véganes puisque, à leur goût, ils ne politisent pas assez leur assiette et sympathisent avec l’ennemi viandeux.
Mais ils se font aussi rire au nez par la majorité écrasante d’omnivores qui les considèrent comme des granos urbains sans conviction et ne comprennent pas pourquoi ils se privent de ce si bon pâté. Parfois, j’ai le sentiment qu’il faut choisir un camp pour se sentir légitime de consommer comme on l’entend?
Je vis ma bisexualité avec ce même manque de légitimité : trop proche de la frontière de l’hétéronormativité pour être une alliée de la communauté LGBTQIA2+, mais pas assez hétérosexuelle pour correspondre à ses codes.
Crédit photo : Laurie Masardo – IG @lauriemasa
Publicité
Pour beaucoup, les personnes bi papillonnent dans cette grande aire de jeux qu’est celle des relations humaines. Frivoles, nous nous dirigeons là où l’herbe est la plus verte. Puis, quand une nouvelle source de divertissement apparaît, nous tournons vite les talons pour vaquer à nos occupations printanières.
Entre étiquetage de femme légère, la décrédibilisation de mon orientation, les réflexions douteuses et l’hypersexualisation, j’ai été bien gâtée pendant ma première année de bisexualité assumée.
Avril 2022 – Le papillon sort de sa chrysalide.
En couple depuis 1 an et demi avec un homme, je décide de me défaire de cette relation. J’en ressens le besoin. Puis, une rencontre vient chambouler ma petite vie rangée.
Je suis en vacances, loin des tracas de la vie quotidienne, les pieds en éventail sur une plage martiniquaise – et sans doute en pleine introspection ou partie de mots fléchés – et je croise cette femme dans ce cadre idyllique. Elle vient me saluer et je suis assez perturbée par sa présence. Au bout de quelques jours, je comprends ce que je ressens : de l’attirance.
Publicité
Pendant plusieurs semaines, nous vivons une expérience légère et douce, mais aussi sincère et marquante. Vous savez cette relation qui vous permet d’être vraiment vous-même? Celle qui vous aide à vous libérer de nombreux schémas dans lesquels nous nous enfermons pendant trop d’années.
Grâce à cela, je découvre que je ne suis pas hétéro curieuse comme je le pense depuis toujours, mais bien bisexuelle. Le fait de mettre des mots dessus a été libérateur et salvateur pour la suite.
Merci à elle.
Les mois suivants sont tout de même compliqués. Remettre son orientation sexuelle en perspective à 30 ans a soulevé chez moi des questionnements plus ou moins rationnels : est-ce une passade? Depuis combien de temps suis-je bisexuelle? Vers quoi je me dirige?
Crédit photo : Laurie Masardo – IG @lauriemasa
Publicité
Je me confie d’ailleurs rapidement à mes amis à ce sujet car il faut que je verbalise tout ce qu’il m’arrive. Ils me sont d’un soutien considérable et m’aident à m’assumer doucement mais sûrement.
Merci à eux.
Mais la bienveillance des proches ne compense parfois pas les incompréhensions. Malgré beaucoup d’écoute, de douceur et de patience, je suis la seule à vivre ceci dans mon groupe. C’est à ce moment précis que je ressens une envie irrépressible de me rapprocher de la communauté LGBTQIA2S+ afin de me sentir mieux comprise.
Septembre 2022 – Le papillon commence à battre des ailes et tente de jouer dans la cour des grands
Quand je parle des « grands », je sous-entends Tinder, Bumble, Hinge et toutes autres applications de rencontres du genre qui te font devenir swippeuse à l’extrême.
Publicité
Malgré le choc initial de ce mode de rencontre, je trouve cette solution plus évidente pour me rapprocher de personnes qui vivent sensiblement la même chose que moi. J’aurais pu participer à des événements dédiés à la communauté, mais seule, je ne m’en sentais pas le courage.
L’expérience des applications a été tout aussi catastrophique que bénéfique à mes yeux.
Malgré les ghosting, la consommation poussée à son extrême et la confiance en soi qui en prend un sacré coup, cela me permet de découvrir des profils d’autres orientations que celle hétérosexuelle. Je décide de les rencontrer, mais aussi de m’y confronter.
Avec du recul, je suis arrivée avec beaucoup de naïveté dans le monde du dating. Je ne me rendais pas compte de la réalité du terrain.
Publicité
Je pensais arriver dans une communauté moins normée, mais je l’ai trouvée très codée, avec ses propres règles. Déjà que les normes sociales avec lesquelles je dois cohabiter ne m’ont jamais mises à l’aise, autant vous dire qu’avec ce nouveau code, ce n’est pas une mince affaire.
Mais je me lance, sors de ma zone de confort et décide d’aller à ma première “date” avec une femme.
Elle est bisexuelle et je crois que cela me rassure. Je la considère d’ailleurs très vite comme une alliée. Mais ce n’est pas aussi simple que ça en à l’air. Cette femme m’explique qu’elle rejette inconsciemment les bisexuelles. Cela peut paraître brutal, mais je la comprends. Elle m’explique plus en détails qu’elle n’assume pas encore cet effet miroir que je lui renvoie. Peu acceptée et non prise au sérieux, il est parfois difficile de se positionner en tant que personne bisexuelle. Souvent le cul entre deux chaises, certains choisissent ce biais du rejet comme moyen d’acceptation par autrui.
Une phrase que je retiendrai de ce date : « Tu es la seule personne bisexuelle et aussi féminine que je date ».
Publicité
Je trouve cette réflexion intéressante, car elle en dit long sur notre société. Si tu es trop féminine, trop masculine, pas assez gay ou pas assez hétéro, cela dérange.
Mars 2023 – Le papillon s’est un peu brûlé les ailes
Je termine la fin de l’hiver abîmée par les applications de rencontres. J’ai l’impression de n’appartenir à aucun groupe. Les bisexuelles me rejettent, les lesbiennes ne me prennent pas au sérieux et les hétérosexuels, venons-y.
En mars, j’enfile mon sac à dos et décide de partir à l’étranger prendre l’air.
Crédit photo : Laurie Masardo – IG @lauriemasa
Publicité
Rappelons qu’avant cette escapade, j’ai réalisé un grand travail personnel pour protéger ma chrysalide encore trop fragile.
En voyage, sorti de son doux cocon, il arrive parfois de se confronter à des individus aux idéaux opposés. Me concernant, je suis tombée nez à nez avec deux hommes peu renseignés sur la sexualité, remplis de clichés sociétaux et encore très enfermés dans une vision patriarcale. Assis sur leurs privilèges, sans même s’en apercevoir (je l’espère) et aveuglés de préjugés, ils m’ont donné du fil à retordre.
Je vous partage d’ailleurs ici quelques notes d’une conversation traitant de la sexualité avec deux de ces spécimens :
– Les femmes bisexuelles, c’est sexy, alors c’est chill. Les hommes bisexuels, c’est aaark.
– Mais tu ne penses pas qu’il y aurait une part de génétique dans le fait d’être gay ou bisexuel?
– C’est marrant, je n’aurais pas dit que tu étais bisexuelle. Après, maintenant que tu me le dis…
– Tu dis ça, mais tu finiras bien ta vie avec un homme?
Publicité
Note terminée. J’ai dû lâcher mon crayon d’épuisement ou de rage.
Le lendemain, assise sur une plage devenue visiblement mon endroit préféré pour la réflexion, je repense à cette discussion de la veille, aux expériences des mois précédents, à ces belles rencontres, mais aussi à ces remises en question.
Puis je décide de sortir de ces pensées et d’écrire une note à moi-même :
« Dis, ma grande, tu ne vas pas passer ta vie à être déçue. Tu ne te sens acceptée par aucun groupe, certes, mais tu es la première à détester les étiquettes. Alors si tu arrêtais de chercher l’approbation sociale? »
Publicité
« Les deux chaises sur lesquelles tu es installée ne sont visiblement pas confortables. Pourquoi tu ne t’aiderais pas de celles-ci pour te relever? Je suis certaine qu’un peu plus loin, tu trouveras une assise à ton goût, douce et confortable. »