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Dans mes souvenirs, Top model et les Feux de l’amour sont le prolongement de la même émission, leurs intrigues se nouaient comme deux langues en manque un soir d’été. Ridge, Kelly, Newman, rien que leurs noms racontaient une histoire tortueuse, une histoire qui sent le musc.
Les scénaristes visaient surement une clientèle âgée, ennuyée et blasée, pourtant j’étais hooked à l’âge de neuf ans.
Ça jouait tous les jours du lundi au vendredi, aucun répit, aucune excuse, l’histoire était cyclique. Chaque épisode résumait les deux derniers, régime infernal, rebondissements tonitruants, personnages en perdition : “J’ai perdu la mémoire, je suis ton frère perdu, j’ai perdu le bébé.” Personnages exaltés : “Épouse-moi, je t’ai trompé avec ton père, il me reste 3 jours à vivre.” Rythme effréné, c’était mon rush d’après-midi mieux que du Nutella.
À part avoir fucké ma vie sentimentale, Top modèle et les Feux de l’amour m’ont ouvert la voie vers le monde incroyable des téléséries.
Contrairement aux films, elles s’étalent sur plusieurs saisons; la profondeur et la complexité des personnages sont donc réellement exploitées. On connait ceux-ci de fond en comble comme s’ils étaient nos vieux amis : on leur prête une proximité qu’on réserve à nos familles, on les pleure quand ils meurent, et souvent la fin de la série est vécue comme un deuil. Scully m’a fait fantasmer pendant 10 ans, et j’ai vécu son retour dans X-Files comme des retrouvailles amoureuses. Wrong? Mehhh.
Pourquoi se donner cette peine de vivre de vraies émotions avec de vrais gens quand on peut trouver toute une gamme de sentiments synthétisés, de la romance en bouquet, de l’émotion préfabriquée, un tout inclus pour la rétine? Dehors c’est hostile : la gravité, les intempéries, la ligne verte, le parfum cheap, la lèpre. Rien de tel qu’une bonne télésérie drapée dans une robe de chambre, le chat qui ronronne pas loin, et savoir le frigo plein, pour être heureux.
Certains peuvent rester ainsi des jours durant.
Le binge watching justement est cette “nouvelle mode” de boulimie télévisuelle. Netflix encourage d’ailleurs cette pratique en offrant ses productions maison d’un seul coup, le même soir. Cette offrande est l’antithèse du modèle classique, celui d’attendre une semaine entre chaque épisode.
Une semaine, c’est ce que ça a pris à Dieu pour créer la Terre, bref c’est bibliquement trop long d’attendre 7 jours pour connaitre le prochain carnage dans Game of Thrones. C’est tellement sadique de nous faire languir surtout dans une époque où tout se passe dans l’instant, dans l’immédiat, où tout se consomme là, là. Frank Underwood pour mousser la venue de la quatrième saison d’House of Card tweetait WATCH EAT SLEEP REPEAT. Il devinait le comportement des fans de la série et les encourageait à cette pratique.
Évidemment, c’est un peu malsain de se farcir douze épisodes de suite, on en sort un peu sonné. Le monde a tourné 12 heures pendant que vous étiez tétanisés devant vos écrans. Si ça se trouve, la Corée du Nord a envahi les côtes de San Francisco pendant l’épisode où Walter White devenait Einsenberg.
Il est donc important d’avoir quelques trucs pour réussir une bonne séance de binge watching :
- Prévoir le coup côté bouffe, donc préremplir le frigo avant votre séance et privilégier des plats qui se préparent le temps d’un générique;
- Avoir un chat (les chiens nécessitent qu’on les promène dehors, ark, sorry) qui se contrefoute de vous voir passer la journée au lit. Impossible pour eux de vous juger, car se sont des animaux;
- Payer les comptes d’Internet et d’électricité, faut surtout pas qu’ils vous coupent faute de paiement, ça serait atroce! (et/ou voler le wifi du voisin);
- Entrainer sa vessie à contenir des fluides pour une longue période, la vessie c’est comme un muscle, non?
- Avoir des gouttes pour les yeux, café, et quelques claques dans la face aideront à passer une nuit blanche;
- Prévenir ses collègues de la future séance de binge watching et ne pas leur mentir afin qu’ils soient solidaires et compréhensifs avec vous, on est en 2016;
- Arrêter de vivre dans le déni, assumer que vous allez passer votre journée/nuit devant votre écran. Le “c’est le dernier épisode, ensuite dodo” est lourd et contreproductif.
Le lendemain, vous risquez de vous réveiller épris de regret, mais sachez que vous n’êtes pas seul, on est une communauté de cernés qui vivent cette vie trépidante.
La patience est une vertu, pfff c’est ça, parlez-en à Frank.
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Pour lire un autre texte d’Hamza Abouelouafaa :