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Big Brother : il était une fois des paranos
*L’auteur est professeur de sociologie
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Un grand sociologue, Émile Durkheim, nous conseille d’étudier l’être humain en laissant nos émotions de côté. Cette règle est parfois difficile à respecter. Surtout quand les vedettes de Big Brother se font verser du sang et des vers dans la face sur du Heavy Metal, dans un challenge du patron orchestré par la parfaite tortionnaire. Il n’y a pas que les défis sadiques qui jouent avec les nerfs des candidats. La game sociale fait le gros de la job.
Big Brother ébranle cette foi en l’être humain, une croyance qui fonde notre vie en société.
La victoire de Jean-Thomas comme boss risque d’étouffer la révolution des filles. Chose certaine, le règne de Lysandre a installé pour de bon un climat de suspicion entre les candidats. Les chuchotements se multiplient dans les recoins du manoir. « Les murs nous écoutaient » chante Maxime. Dans le contexte, le système de surveillance du patron se révèle très utile. Repérer les visages angoissés ou voir qui parle à qui, ce sont des informations extrêmement précieuses. Knowledge is power.
Big Brother, ça rend fou?
On ne connaît jamais totalement les autres. Pour interagir avec eux, il faut leur faire confiance un minimum. Big Brother ébranle cette foi en l’être humain, une croyance qui fonde notre vie en société. Pour citer Manu : « Ici nos ennemis ce sont nos meilleurs amis donc c’est pas facile ». Dans l’alliance des gars du gym, c’est probablement Kevin le plus méfiant. Il suspecte rapidement une trahison dans l’« Alliance des gens qui s’entendent bien et qui votent de la même manière ». C’est possible que ses expériences à OD aient développé sa vigilance. Cependant, il y a un coût mental à sa lucidité : « juste d’avoir cette petite pensée-là dans ma tête que ça risque de switcher ça me rend fou, ça me rend fou ben raide ».
François Lambert et Jean-Thomas ont étudié d’autres moutures de Big Brother, mais c’est la 1re téléréalité qu’ils vivent de l’intérieur. Jusqu’à dimanche ils renouvellent leur confiance en Lysandre, malgré des signes de manigances rapportés par Kevin. Mercredi, alors que Kim sert de taupe pour les Valentins, Jean-Thomas croit « à 98% » qu’elle veut garder Manu. Une marge d’erreur de 2% pour prédire un comportement humain, c’est faible. Ce chiffre en dit long sur le besoin de repères de l’humoriste, dans une game hautement déstabilisante. Ses privilèges de patron (chèrement acquis) vont lui servir de baume psychologique. En contrepartie, Camille, Lysandre et Claude pourraient avoir besoin de mélatonine pour dormir.
Kim Clavel : agent double
À voir la manière dont le jeu se place depuis une semaine, c’est clair que Kim n’a rien d’un pion. Son repositionnement découle d’une phrase échappée par Camille : « Si tu vas avec les gars, tu vas être la première qu’on va tasser ». « Merci! » répond Lambert. Loin d’être un simple power trip de l’actrice, cette menace trahit son manque de confiance envers la boxeuse. Déjà mercredi, pendant que Kim travaille pour leur sous-alliance, Camille lui glisse entre deux phrases : « Mais toi tu vas-tu embarquer avec les gars ? ». Cette crainte se comprend d’un angle sociologique. Les agents doubles s’attachent souvent aux groupes qu’ils infiltrent, au point qu’ils risquent de changer de camp durant leur mission. Johnny Depp dans le film Donnie Brasco.
Kim semble être en train de migrer vers les gars du gym. Dans l’épisode de dimanche, elle utilise le cool down des tapis roulant pour rassurer Jean-Thomas : « Je veux pas que tu penses que je joue des deux bords ». Qu’importe. Déjà qu’ils ont un bon lien, elle a tout intérêt à se rapprocher du king dans la prochaine semaine. En même temps, chaque secret qu’elle partage avec Jean-Thom lui donne du pouvoir sur elle… Si elle veut retourner avec les filles, il n’aura qu’à briser leur pacte puis balancer les infos compromettantes qu’elle lui aura dévoilées. La queen est maintenant prisonnière de son rôle, condamnée à présenter une fausse image d’elle-même à l’une de ses deux équipes. Des remords et des larmes en perspective.
Causer pour la cause
Manu sort indemne de ses calls sur les lulus de Camille. Drainée par son expérience au manoir, il fallait que Varda bouge de là. Son départ volontaire expose la matrice de Big Brother. Aucun contact avec le monde extérieur, c’est une coupure plus intense que la prison ou l’asile (où les reclus côtoient des gardiens, des infirmiers et d’autres intervenants). À l’isolement total s’ajoute une proximité forcée dans la maison et les chambres à coucher. Il y a aussi le manque de divertissements. Les vedettes peuvent jouer aux cartes ou faire une partie d’échecs avec Kevin, en se retenant « d’y sacrer le board dans face ». Bref, rien à faire sauf parler de la game, planifier ou anticiper des attaques.
Les participants de BBC […] ont d’excellentes raisons de penser qu’ils vont se faire tromper, trahir ou exploiter.
François Lambert pense que Big Brother c’est « le royaume de la paranoïa ». Or, selon un manuel utilisé en psychiatrie, l’individu avec une personnalité paranoïaque souffre d’une méfiance démesurée envers les autres. Il leur prête des intentions malveillantes sans motifs raisonnables. De ce point de vue, les participants de BBC sont loin d’être fous. Au contraire, ils ont d’excellentes raisons de penser qu’ils vont se faire tromper, trahir ou exploiter. Pour préparer la sortie de Varda, Marie-Mai précise que « Le jeu a des répercussions sur le moral de tout le monde »… Quels sont ses impacts concrets sur la santé mentale de chacune des célébrités?
Ce serait délicat de poser des diagnostics grossiers en se basant sur des bouts de montages. Laissons ce genre de dérapages aux Docteurs d’une autre époque. Il s’agit surtout de montrer que Big Brother, c’est un système social qui jongle avec l’équilibre psychologique de ses membres. Fin janvier, Bell nous invitait à « causer pour la cause ».
Cette conclusion peut donc se lire comme une contribution amicale de la sociologie.