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Bibittes pour emporter svp

Craquelins aux grillons, pâté aux coléoptères ou chips de larves.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Les bibittes sont sur toutes les lèvres (slurp!).

Un récent reportage publié dans La Presse faisait état de l’engouement pour les insectes comestibles (surtout en Europe) et de leur difficulté à se frayer un chemin dans les assiettes au Québec.

Des chroniqueurs ont ensuite saisi la sauterelle au bond (je me déteste).

D’un côté, nous avons Patrick Lagacé qui semble plus enclin à prendre un bain de pumpkin spice latte avec des millénariaux employant le mot «touste» plutôt qu’intégrer de la poudre de grillons à son mélange à crêpes (il adore les crêpes).

De l’autre, son collègue Philippe Mercure pense qu’on va finir par s’habituer, en rappelant au passage qu’une entrée d’escargots à l’ail, c’est pas forcément joli et qu’une visite dans un abattoir de porcs est à des années-lumière d’une séance photo à la Maison Lavande.

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Comme je suis le seul de la guilde des journalistes de terrain à avoir encore un peu de bon sens, pas le choix d’aller me faire une tête moi-même, en me rendant dans une ferme d’élevage d’insectes comestibles située dans le quartier industriel d’Ahuntsic.

Une mission que je vous promets d’honorer au nom du droit du public à l’information, parce qu’à la base, manger des bibittes, ça m’écœure.

PEUR OU DÉGOÛT?

Mais d’abord, un coup de fil à Marc-André Hébert, le président de l’Association des éleveurs et transformateurs d’insectes du Québec (AETIQ), pour lui demander pourquoi l’industrie tarde à sortir de son cocon, au Québec*

*Je ne vais jamais m’excuser ni arrêter.

« Autant on est en avance du côté de la structure et de la recherche*, autant on a du retard au niveau du développement industriel et du financement gouvernemental ou de partenaires privés. On songe même à aller chercher des fonds à l’étranger », résume Marc-André Hébert, également propriétaire de la compagnie Entologik, qui produit et transforme des grillons biologiques.

*Une chaire de l’Université Laval est consacrée à la recherche et au développement en production d’insectes comestibles à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation.

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Marc-André Hébert cite en exemple une enveloppe de 200 millions de dollars octroyée en Ontario pour financer un élevage ultramoderne de grillons.

Au Québec, la pandémie a fait mal aux premiers entrepreneurs qui s’étaient aventurés sur le marché autour de 2018-2019.

C’est lors d’une visite de l’activité écologique Greta Thunberg que M. Hébert a senti un engouement pour la première fois. « Il y a eu une grande conscientisation environnementale. L’ONU avait aussi mentionné que la consommation d’insectes est une façon de combattre les changements climatiques. On sent que l’intérêt revient après l’été qu’on vient d’avoir. Avec les feux de forêt et les inondations, les gens sont prêts à recommencer à poser des gestes », constate Marc-André Hébert.

Concrètement, le réchauffement climatique est aggravé par l’élevage animal. Pour leur part, les insectes – notamment les grillons – ont besoin de douze fois moins de nourriture que les bovins et de deux fois moins que les poulets et les porcs pour produire autant de protéines. Leur entretien demande aussi nettement moins d’eau.

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L’élevage d’insectes exige aussi pas mal moins d’infrastructures à entretenir. « Je fais ça (sa compagnie Entologik) dans un bâtiment agricole, mais ça peut être industriel ou n’importe où, toujours autour de l’autonomie alimentaire », souligne Marc-André, invitant les gens à voir les insectes comme un complément, et non une fin en soi. « L’idée n’est pas de tasser la viande, mais d’ajouter l’insecte à notre alimentation. Pourquoi ne pas intégrer à une boulette de viande un 20% de poudre de grillon? Ça goûterait pareil », assure-t-il.

Pourquoi intégrer les bibittes à notre alimentation, au-delà des raisons écologiques? Eh bien, parce que c’est nourrissant, riche en protéines et en certaines vitamines (B-12 notamment). Ça, c’est pas moi qui le dis, mais le nutritionniste urbain Bernard Lavallée qui est d’avis que la principale barrière à l’industrie est de nature psychologique. « C’est pourquoi l’industrie s’efforce de les invisibiliser en les vendant sous forme de farine, de barres protéinées, etc., afin de faire oublier l’insecte qui se cache derrière », explique-t-il.

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L’industrie en est pleinement consciente et c’est pourquoi on nous présente des produits sans pattes ou antennes qui dépasseraient d’un sandwich aux grillons.

« La peur des insectes n’est pas innée, mais acquise. Environ 25% de la planète, soit deux milliards de personnes, en mangent tous les jours », souligne Marc-André Hébert.

Outre la production de gros volumes et l’objectif de se frayer un chemin jusqu’aux rayons des supermarchés, l’industrie doit continuer à sensibiliser la population aux bienfaits de se nourrir d’insectes. « Il faut rendre le look attrayant. On sent déjà une ouverture pour les biscuits et les cupcakes. Et puis, les gens en consomment déjà sans le savoir. Après tout, il y a des insectes dans un champ de blé, quand la moissonneuse-batteuse passe… »

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Journaliste de terrain VS bibittes

Passons aux choses sérieuses. Je mets le cap vers l’entreprise TriCycle, qui partage ses locaux avec la Centrale agricole, une coopérative fondée en 2019 qui héberge diverses initiatives favorisant l’agriculture urbaine.

Chemin faisant, je repense à mes propres expériences gastronomiques avec des bibittes. Des fourmis qui goûtent la lime dans la jungle équatorienne, une sauterelle grillée en Thaïlande, une couple de mouches avalées en roller blade (je viens de Saint-Eustache) : rien de trop fou à date.

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Faut toutefois avouer que j’ai un pas pire dédain de la chose qui remonte vraisemblablement à l’époque où un monsieur cuisinait des vers de terre à la poêle dans un reportage à la télé. Un traumatisme d’enfance que j’ai d’ailleurs retrouvé sur le web.

Mais bon, je suis un tough crowd. J’ai commencé à manger des sushis quand c’était déjà plus à la mode et les huîtres m’écœurent encore. De la pieuvre, ça me dégoûte. Ah, et le homard aussi, à bien y penser, avec ses petits yeux qui ne clignent jamais. J’ai bouffé un hamster lors de mon dernier voyage, et je me lève encore la nuit en sursaut en voyant sa petite face de rongeur frit dans mes cauchemars.

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Hugo à la ferme (de ténébrions)

C’est donc rempli de doutes et d’appréhension que je cogne à la porte de TriCycle.

Stéphanie Hamel, la directrice marketing et administration, m’accueille chaleureusement. À date, tout va bien. Le bureau a l’air normal, spacieux, chill, avec 14 employés qui travaillent à temps plein, parmi eux une poignée sont éparpillés devant leurs ordinateurs.

Dans un vivarium, on retrouve aussi une tarentule, la mascotte de l’entreprise. Sinon, la « ferme » (oui, on la désigne ainsi) se trouve au sous-sol.

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On emprunte un escalier pour s’y rendre, une installation de 10 000 pieds carrés produisant 25 tonnes de larves fraîches par année.

TriCycle se consacre à l’élevage de ténébrions meunier (hi hi comme moi, faut croire que je suis une sacrée bibitte!), de la famille des coléoptères. « Ça a un goût léger par rapport à d’autres insectes et on le retrouve au Québec », souligne Stéphanie. TriCycle a aussi opté pour le ténébrion parce qu’une ferme de grillons, ça gigote dans tous les sens et c’est moins propice en milieu urbain.

Le grillon et la mouche soldat noire sont aussi prisés par les entrepreneurs, le premier parce qu’il s’est déjà taillé une place dans notre alimentation et l’autre dans celle des animaux d’élevage.

La première pièce de la ferme, soit la salle d’élevage, porte ce nom, car elle sert à élever les larves. Dans la pièce, le climat n’est pas sans rappeler la portion tropicale du Biodôme. « On essaye de reproduire un environnement idéal », résume Stéphanie. Cette première partie du processus s’échelonne entre 12 à 14 semaines. La production est autosuffisante, si bien que le cycle s’échelonne de l’œuf jusqu’à un stade larvaire avancé.

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Près d’immenses bennes bleues remplies de larves grouillantes, on retrouve une section de ténébrions à maturité qui s’occupent de la reproduction. Eh oui, ces insectes consacrent tout leur temps à manger et baiser, vivant clairement leur best life.

« Ils ont des ailes pour s’envoler, mais ils sont bien là », atteste Stéphanie avec un sourire en coin.

La salle voisine se nomme la cuisine. Pas besoin de chercher plus loin, c’est là qu’on transforme la larve en quelque chose qui deviendra comestible. Les larves y sont versées dans une blanchisseuse pour les brûler ou dans un autre appareil rappelant une machine à saucisses, afin de produire une sorte de moulée. Les larves blanchies, elles, passent ensuite dans des déshydrateurs avant d’être mises en sacs, prêtes à manger.

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Stéphanie rassure mon petit cœur sensible en m’informant que les larves meurent instantanément. En tout cas, leur sort est nettement moins cruel que celui des animaux d’élevage, note-t-elle.

Est-ce que les végétariens peuvent manger des insectes? La question provient de mon patron, JP, qui se demande sur quel pied danser lorsqu’il est question de bibittes. Stéphanie Hamel n’a pas de réponse arrêtée sur le sujet. L’insecte, tout comme la plante, est un organisme vivant, après tout. «Il y a différentes écoles de pensée, mais on sent une certaine ouverture de la part des végétariens », résume-t-elle enfin, soulignant toutefois que les végans, eux, préfèrent passer leur chemin.

Pis, c’est-tu bon?

Bon, est-ce que ça goûte bon, tout ça, finalement?

C’est pas mal la seule question qu’on me pose depuis ma visite de TriCycle.

Stéphanie m’a fait goûter leurs produits « vedettes » pour me faire une tête.

Parmi ces produits, on retrouve des craquelins à saveur de BBQ, de la poudre pour des shakes protéinés, des larves séchées servies telles quelles ou du pâté, grâce à un partenariat avec une autre compagnie.

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D’emblée, les craquelins au BBQ font la job et pourraient être servis dans n’importe quel événement et les gens n’y verraient que du feu. Le pâté au ténébrion est un brin plus confrontant, mais j’imagine une expérience semblable si je prenais une cuillerée de pâté de foie. C’est pas mauvais, mais c’est pas délicieux, non plus. Le goût se développe sans doute. Les genres de chips aux larves, par contre, ah ça, c’est super! Le pire, c’est que c’est le produit qui, sur le plan esthétique, nous rappelle le plus qu’on mange des bibittes. Mais le goût est bon, un brin salé. Je pourrais manger ça relaxe, en écoutant Braveheart sur mon sofa pour la millième fois.

Enfin, TriCycle concocte aussi un fertilisant pour les plantes à base de fumier d’insectes, qu’on appelle le « frass ». Mais ça, je n’y ai pas goûté.

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Pour l’heure, TriCycle tente de conquérir le marché un craquelin BBQ à la fois, en attendant que les institutions et partenaires privés embarquent à leur tour. Un projet de construction de ferme à Repentigny est dans l’air, qui permettrait de produire 400 tonnes par an.

« L’idée avec tout ça n’est pas de remplacer la viande, mais de donner une option supplémentaire. La clé, c’est la diversification », résume Stéphanie.

À mon retour au bureau, une surprise m’attendait dans le frigo d’URBANIA. Des cupcakes à base de poudre de grillons déposés par Marc-André Hébert de Entologik.

J’attends ma prochaine invitation au show de Lagacé pour lui apporter ça gentiment sans mentionner les ingrédients.

Ça sera notre secret.

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