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Un samedi matin, une image circule sur Twitter qui sollicite un retweet. C’est une photo d’une fille atteinte d’un cancer, en plein sanglot. On inscrit une citation sur l’image : « Je suis malade. Je n’ai pas de cheveux, pas de sourcils, je suis pâle. Je ne suis pas bien dans ma peau. »
Le tweeteur commente : « Elle se trouve moche. RT si vous la trouvez belle. Ça mérite des RT infinis. »
Pourtant, elle n’a jamais dit qu’elle se trouvait laide, mais en disant qu’elle n’était pas bien dans sa peau, on se fait des idées.
Ma cousine est décédée d’un lymphome il y a quelques mois. Elle aussi se sentait mal dans sa peau, mais c’était parce que même sa peau lui faisait mal. Elle n’avait aucun moyen de se sentir bien sans être dopée de morphine, ce qui la rendait autant prisonnière de son corps que sa maladie.
Par rapport à son look, ce qui l’inquiétait, c’était qu’elle ne pouvait pas éviter d’avoir l’air malade. Elle savait bien que si quelqu’un la voyait pour la première fois depuis son diagnostique, ce serait un choc. Vous imaginez ? Souffrante comme elle l’était et elle s’inquiétait que son apparence dérange.
Non seulement elle n’avait pas les traits qu’on cherche chez une « belle » femme – chevelure coiffée et pas un seul gris, sourcils sculptés, joues roses, taille idéale de 36-24-36 – en plus, elle avait l’air mourante. Et la mort, ça fait tellement peur qu’on cherche vigoureusement à cacher ce qui suggère la moindre vieillesse.
Nous n’avançons pas très rapidement à cet égard. Certes, sur Facebook, on en voit beaucoup des « Partagez si vous appréciez la beauté dans toutes ses formes » et des « Aimez si vous pensez que la beauté n’a pas d’âge.
Même les publicités de Dove s’y mettent. Dans une des plus récentes, le slogan final nous dicte, « vous êtes plus belle que vous ne le pensez. »
Le message, ce n’est pas que la beauté est un concept ridicule; c’est plutôt que la beauté peut exister partout même si elle n’est pas à la hauteur de la norme. Remarquez qu’il n’est pas question d’abolir la norme.
On a beau dire qu’une femme peut être belle peu importe ce à quoi elle ressemble, n’empêche que la beauté demeure la mesure et la valeur qui compte, et là est le problème.
Un ami qui travaille en publicité m’a raconté une fois qu’il préférait créer pour les cigarettes plutôt que les produits de beauté. « Avec les produits de beauté, on te tourmente avec l’idée que tu n’es pas complète, » m’a t-il dit. « Tu ne seras jamais assez belle, assez jeune ou assez mince. »
Ceci n’est pas une condamnation de l’industrie de la beauté ou des publicités qui l’accompagnent. C’est plutôt la culture de la beauté qui devrait nous préoccuper. La revendication d’une norme esthétique dans un monde asymétrique occasionne nécessairement de dangereuses attitudes souvent contradictoires.
Ce sont les potins qui nous disent qu’une vedette est trop grassette pour son bikini, et une semaine plus tard, lui font la morale quand elle essaie de maigrir à l’aide d’un régime liquide.
C’est quand on félicite quelqu’un d’avoir maigri, pas parce qu’on est reconnaissant de ses efforts mais parce qu’il est devenu plus facile à regarder.
Ce sont les tendances alimentaires qui nous avaient convaincus, dans les années ’80, que les pâtes étaient la bouffe des athlètes, mais qui jugent maintenant qu’on doit omettre les grains afin de manger comme nos ancêtres paléo.
C’est le fait que l’alimentation est devenue une tendance à suivre.
Ce sont les agents blanchissants qu’on vend en Inde pour éclaircir le teint de la peau, et les salons de bronzage ici.
C’est le dégout qu’on a pour les rides, qui ne nous empêche aucunement de se moquer de Kim Novak quand elle tente de s’en débarrasser avec la chirurgie plastique.
C’est un tweeteur qui, malgré de bonnes intentions, pense que le meilleur compliment qu’on puisse faire à une fille atteinte d’un cancer, c’est qu’elle est belle.
Vous savez ce que ma cousine aurait préféré entendre ? « Tu es guérie. »
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