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Beatfaiseuse du mois : Laurence Nerbonne

La musicienne s'est permis d'explorer le trap sur son dernier album.

Par
Hugo Bastien
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Peu de gens le savent, mais le Québec regorge de beatfaiseurs.es absolument incroyables. Ces forces tranquilles œuvrent malheureusement trop souvent dans l’ombre de l’Internet et de celui des rappeurs et rappeuses de la province. C’est donc pour vous faire découvrir ces talents cachés qu’URBANIA Musique vous présente sa série « beatfaiseur » qui, chaque mois, vous fera découvrir un.e producteur.rice en plus de vous présenter une playlist de son cru.

Laurence Nerbonne en a surpris plus d’un (dont nous) en sortant son premier single en automne dernier. Avec Fausses idoles, la musicienne marquait un changement drastique dans son style, troquant la pop de ses premiers projets pour un son résolument plus trap.

Si certaines langues sales ont pu dire que l’artiste ne faisait que surfer la vague, elle m’a prouvé dans notre discussion que ce changement de ton n’était pas forcé du tout. Au contraire, bercée par le trap de Cardi B, Travis Scott et tous les autres issus de la vague d’Atlanta, Laurence Nerbonne retombait tranquillement dans ces premiers amours musicaux : le hip-hop.

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Pendant plus de 2 ans, la musicienne s’est donc efforcée de comprendre le trap, en analysant une foule de productions, dont les siennes. Après avoir bûché avec sérieux sur la maîtrise de ce son, elle a pondu son nouvel album FEU paru le 19 avril dernier, un projet qui oscille entre beats lourds, tropical house et pop dansante. Assis dans les bureaux d’URBANIA Musique, nous avons jasé beats, diversité et boys club.

Faire ses classes

En commençant, je tiens à dire que tu es seulement la deuxième femme à être featurée dans la série des beatfaiseurs, pis ça me fait un peu capoter. Sérieusement, chaque mois je cherche les nouveaux projets, mais me semble qu’il n’y a presque pas de femmes qui occupent le poste de productrice au Québec. C’est-tu juste dans ma tête?

Y’en a pas beaucoup encore effectivement. C’est pour ça qu’il faut en parler parce que ça pourrait encourager d’autres filles à le faire aussi.

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Les seules filles que j’ai vues être des productrices style beatmaker dans un studio, c’est dans un camp national de la SOCAN au Nicaragua. Celles qui étaient là écrivaient pour Elie Goulding, Britney Spears, de tout : du country, du trap, du rap. C’était la première fois que je voyais des filles sur des laptops, qui roulaient ça.

C’est pas une image qui est assimilée encore on dirait.

Comment tu expliques que si peu de filles sont dans le beatmaking?

J’pense que ça va de pair avec le milieu musical. La musique a une histoire plus masculine, surtout au niveau du hip-hop, même dans le rock.

Ils vont avoir de la difficulté à te faire confiance, en tant que productrice. Surtout que ce sont des rappeurs masculins. Y a encore du machisme là-dedans, je pense.

Comment t’as commencé à t’intéresser au beatmaking?

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Depuis que je suis toute petite, j’écoute des beats et j’ai une attirance envers tout ce qui est hip-hop. Mon premier disque que j’ai acheté c’était LL Cool J, pour ensuite me procurer Puff Daddy et Missy Elliott. Après, le reggaeton est arrivé dans les clubs et j’ai commencé à écouter du Sean Paul. J’en ai écouté beaucoup au Cégep quand on sortait dans les bars. Puis, je me suis intéressée plus à la musique québécoise, au rock, à tout dans le fond.

Mais même avant FEU, mon premier album avait déjà des influences de beats hip-hop et de tropical house. J’utilisais déjà le 808 et mon Maschine. Ça me rappelait les sons de ma jeunesse, j’pense. Ma formation à la base est classique, alors le hip-hop c’était à l’opposé de tout ça.

Sur mon dernier album, j’avais envie de m’amuser et de me laisser aller. Sauter plus dans des beats hip-hop, en particulier dans le trap. Récemment, j’ai écouté Travis Scott et j’ai vraiment adoré ça. Ça m’a donné le goût de pousser mon beatmaking hip-hop, explorer un son plus raw.

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Ça fait vraiment longtemps que je travaillais là-dessus et au début mes beats étaient vraiment pas bons haha!

Qu’est-ce qui accrochait?

J’avais moins de connaissances techniques, et je comprenais moins les grooves. J’ai appris à développer mon oreille, analyser les chansons, trouver ce qu’il manque. Dans le trap, y a aussi une rythmique de triolet très mélodique que j’aime. Ça résonnait beaucoup en moi, surtout si je peux y ajouter des éléments de pop. Ce que je fais c’est pas du hip-hop à proprement dit. Ça reste avec une structure pop.

Au-delà de la pop

J’ai l’impression que ces temps-ci, les rappeurs chantent et les pop stars font du hip-hop. Pourquoi as-tu pris cette décision?

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Je me suis donné le droit de faire ça parce que ça me tentait. Parce que je voulais pas toujours recréer la même toune pop de radio.

Je pense aussi que j’avais des affaires à dire qui nécessitaient plus une énergie « agressive», pis pour ça t’as besoin d’un beat qui soutient ton propos.

Je me souviens quand ton single est sorti au printemps, on a tout de suite été surpris du changement de vibe. As-tu eu des échos du rap game, ou même de ton entourage sur ta nouvelle direction?

Les gens ont vraiment aimé ça en général. J’ai évolué en 3 ans et j’avais pas envie de garder le côté peut-être plus « pop-bonbon » de XO.

Le but c’était surtout d’enlever des filtres. C’est ça le plus dur, se rapprocher le plus de qui on est. Quand t’es devant ton ordi, tu t’autocensures et tu rentres dans des patterns. Au début, j’essayais de faire un album pop, mais plus je travaillais, plus je m’ennuyais là-dedans. Je me suis dit que c’était pas vrai que j’allais décevoir le milieu et mes fans en ne leur donnant pas ce que j’ai envie de leur donner.

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C’est là que j’ai pris un left turn et j’avais juste envie de faire quelque chose que je trouve bon, pis that’s it. Quand j’ai écouté Fausses Idoles j’ai su qu’on devrait la sortir. Pis le public est pas cave, et il aime la bonne musique, peu importe c’est quoi.

Pis c’est drôle parce qu’on dirait qu’on était plus excité de sortir quelque chose que les gens s’attendaient pas.

Dans tes entrevues tu dis que tu ne te prétends pas rappeuse. Comment tu t’es sentie la première fois que tu t’es mise devant le micro pour rapper?

Un peu conne haha! Ça s’est pas passé d’un coup par contre. Ça fait longtemps que j’essaie de déconstruire des trucs dans les paroles. Je voulais vraiment arriver avec quelque chose de prêt pour que tout le monde puisse avouer : « Ouais ok, c’est tight ».

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J’ai eu des coups de main de Banx & Ranx et Philippe Breault qui m’ont validé en disant: « Oui, vas-y, c’est vraiment bon ». Mais, j’ai pratiqué beaucoup beaucoup beaucoup mon flow. J’étais enfermée pendant deux ans à ne faire QUE ça. Faire des beats, pratiquer, réessayer, refaire des beats. Ça m’a pris des jours et des jours de travail à recommencer.

Je pense que c’est ça en fait le beatmaking : c’est de refaire toujours des beats, jusqu’à ce que t’en trouves un qui est bon. Je peux en faire 6 avant d’en trouver un qui vaut la peine. Le beat de Ride Along par exemple, je l’ai fait en vraiment peu de temps, mais c’est parce que ça faisait deux mois que j’étais obsédée par une autre chanson et quand j’ai commencé de quoi de nouveau, ç’a débloqué d’un coup.

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Profession : beatmakeuse

Est-ce qu’un jour tu aurais comme objectif de produire pour d’autres personnes que toi?

Oui vraiment! J’aimerais ça au boutte. Je pense par contre qu’il y a encore un préjugé dans le rap game québécois. Je sais pas s’il y a des gars qui seraient prêts à dire : « ce beat-là, c’est une fille qui l’a fait.» Je ne ressens pas cette ouverture de la part du boys club du rap québécois en ce moment. J’ai l’impression que les Québécois, on est ben protecteurs de nos petites affaires des fois.

Par contre je pense que ça pourrait arriver à l’international. Je me suis fait des contacts dans les camps d’écritures et si j’ai pas de demandes ici, je vais aller en faire à l’extérieur. Je pense que les gens sont prêts à travailler avec des filles.

On peut s’attendre à quoi pour ton lancement?

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Je vais présenter mon album FEU évidemment. Je me suis monté un band vraiment cool. Je voulais avoir quand même un crew sur la scène, et partager la musique. Je veux que ça sonne fat et loud. Il va avoir beaucoup de trucs électroniques, des pads, pour garder une texture hip-hop. Je vais faire quelque chose de pas mal explosif. Je trouve parfois que ça manque chez les filles alors j’avais envie d’explorer ça. Ce sera pas juste ça évidemment, il va y avoir de l’émotion aussi.

En terminant. Ton album s’appelle FEU : si tu pouvais brûler quelque chose de notre monde pour qu’on le revoie pus jamais, ce serait quoi.

Ouf, c’est une tough celle-là… Vraiment la violence. La violence je brulerais ça ben raide. On a besoin de gentillesse, d’humanité, d’empathie et d’amour en ce moment. Fak je brulerais la violence for sure.

En terminant, nous avons demandé à l’artiste de nous créer une playlist de ses chansons du moment. Voici donc la sélection de notre beatfaiseuse du mois, Laurence Nerbonne.

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