Un jour, en fouinant dans la discographie de mon oncle, j’ai aperçu la seule référence rap au milieu de centaines de cds rock des années 70. J’avais entre les mains l’anthologie The Sounds of Science (1999) des Beastie Boys, trio reconnaissable à mille lieux de par leur style inspiré de Run DMC. Ce légendaire groupe hip hop, qui a débuté son parcours en 1979 dans le punk hardcore et connu pour sa sensibilité avant-gardiste, a su pratiquer le mélange des genres avec brio.
Composé de trois hommes blancs de New York : Mike D (Michael Diamond), Ad-Rock (Adam Horovitz) et MCA (Adam Yauch), la carrière du groupe s’étendra sur plus de trente ans. Le décès de MCA d’un cancer à l’âge de 47 ans marquera le début de la fin pour le band originaire de New York. Mais en avril 2019, Michael Diamond et Adam Horovitz se sont réunis au Kings Theater de Brooklyn afin de raconter l’histoire du groupe et rendre hommage aux ami.e.s qui ont jalonné leur parcours.
Un documentaire pas comme les autres
Beastie Boys Story, maintenant disponible sur Apple TV+ et inspiré du livre Beastie Boys Book paru en 2018, est un documentaire live réalisé par l’ami du groupe et collaborateur Spike Jonze, au cours duquel les deux survivants racontent leur trajectoire incroyable devant un écran géant et une salle comble.
Beaucoup plus qu’un documentaire destiné uniquement aux fans, à la croisée des chemins entre un TED talk, du stand-up et un conte des temps modernes, Beastie Boys Story nous offre une biographie visuelle étonnante qui permet au spectateur de se sentir, pendant deux heures, comme s’il faisait partie de la gang.
Brisant les codes, il va sans dire que les Beastie Boys ont un parcours hors norme. Leur histoire, faite de prises de risques importantes, nous est racontée sous la forme d’une série d’anecdotes croustillantes dont on vous livre ici quelques extraits.
Ils ont été en tournée avec Madonna pour 500 $
Selon le groupe, Run-DMC a été invité au départ pour accompagner la tournée « Virgin » de Madonna en 1985, mais les coûts étaient trop élevés. Russell Simmons (cofondateur de Def Jam et frère de Rev Run, Joseph Simmons, de Run-DMC) qui gérait également les Beastie Boys à l’époque a proposé leurs services pour une somme minime. Pour la petite histoire, c’était leur première tournée et ils ont apparemment déstabilisé la foule solide en jouant les méchants. Rick Rubin, était un grand fan de lutte et leur a appris à cette période-là comment manipuler la caméra.
Ils ont été dépassé par le succès de (You Gotta) Fight for Your Right (To Party!)
À l’origine (You Gotta) Fight for Your Right (To Party!) était une joke composée par le groupe Brooklyn d’Adam Yauch, se moquant allègrement de la culture frat bro. À leur grande surprise, ce fut un énorme tube qui leur permettra d’obtenir beaucoup d’attention sur MTV avec un clip maison. Ironiquement, les Beastie ont séduit un public qu’ils caricaturaient. Alors qu’ils tournaient sans relâche, le band a également commencé à se comporter… un peu comme des frat boys. Après avoir quitté Rubin et Simmons qui ne leur accordaient plus de redevances sur l’album parce qu’ils tardaient à enregistrer un nouvel album, ils ont dû recommencer à neuf. Mike D dira à ce sujet : « Lorsque Russell nous a signés, nous pensions qu’il croyait en nous d’une manière très importante. Mais avec le recul, il avait juste besoin de trois rappeurs blancs pour MTV. Nous aurions pu être n’importe qui. »
N’empêche, c’est ce qui les mènera à un contrat avec Capitol Records.
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Paul’s Boutique fut leur plus gros échec
Après le succès critique de Licensed To Ill (1986), la sortie en 1989 de leur deuxième album, Paul’s Boutique, se révèle être un flop commercial. Ils repartent à zéro en enregistrant ce nouvel album dans les collines d’Hollywood. Ne faisant confiance à personne, ils conçoivent eux-même l’album. Arriva la sortie et… rien. Aucune radio ne faisait jouer les nouvelles pièces. Cette période ils la rebaptiseront Paul’s Purgatory (Le purgatoire de Paul). Puis vint Check Your Head (1992). Pour l’enregistrement de ce dernier, le band construit un studio à Atwater Village à Los Angeles, et y installent une rampe de skate, un filet de basket, le tout avec un modeste budget. Yauch commencera aussi à habiter une cabane rustique, loin du mode de vie luxueux hollywoodien.
Parce qu’elle était une Girls
Il est difficile de croire que l’aventure des Beastie Boys a commencé alors que ses membres avaient à peine 20 ans. Dans le documentaire, ils racontent (avec des remords évidents) le moment où ils ont remercié Kate Schellenbach, leur drummeuse d’origine, simplement parce qu’elle était une fille et ne correspondait pas à l’image qu’ils voulaient projeter… Pourtant, à leur début, les Beastie Boys étaient majoritairement entourés d’amies musiciennes. Cette période coïncide aussi avec la sortie de Girls, dont les paroles ont été à l’époque interprétées au premier degré par les frat boys qui trippaient sur eux. Pas exactement une source de fierté pour le band.
Girls – To do the dishes / Girls –To clean up my room / Girls – To do the laundry / Girls – And in the bathroom / Girls – That’s all I really want is girls
Des années plus tard, dans un geste de réconciliation, les Beastie Boys se réuniront avec le band de Kate, Luscious Jackson.
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Essentiel à la culture hip hop
Dans ces deux heures intimes d’immersion, on retrouve ce qu’il y a de si inspirant chez ce trio. Si Beastie Boys Story est digne d’intérêt, c’est avant tout parce que ce documentaire ne fait pas que retracer l’histoire du groupe. Ce conte des temps modernes met en valeur la force créatrice sans limite qui aura guidé leurs pas durant un parcours imparfait, mais tellement libre au final. Menés par l’extraordinaire Adam Yauch, qui trouvait constamment de nouvelles façons de se réinventer, c’est aussi un vibrant hommage à son personnage de MCA. Ce dernier, considéré comme le leader et génie artistique du groupe, a influencé ses pairs, de ses meilleurs amis au réalisateur derrière la caméra. C’est notamment lui qui a aidé le band à trouver son style musical en expérimentant des loops (inspirées de Led Zeppelin et Sly And The Family Stone) pour créer l’introduction de Licensed to ill, Rhymin and Stealin.
Au bout du compte, le spectateur appréciera passer du temps en compagnie de deux vieux amis, rire de leurs erreurs, être touché par l’absence de celles et ceux qui ne sont plus, mais qui ont grandement contribué au succès de ces derniers. L’histoire des Beastie Boys, c’est avant tout celle d’une bande d’amis qui ont cru en leurs rêves, et qui ont su faire rimer authenticité, liberté et unicité (qui en français riment déjà!). C’est l’histoire d’une légende, bien ancré dans la réalité. Pas pire choix hip hop pour un amateur de rock à la base #legende